mercredi 5 février 2025

Les clans du ciel, tome 1 : La quête d'Ellie - Jessica Khoury

Les clans du ciel1, Jessica Khoury

La quête d’Ellie

 Editeur : Bayard jeunesse

Nombre de pages : 374

Résumé : Alors qu’elle participe à un concours pour devenir apprentie chevaleresse, Ellie, une Moineau, rencontre le Corbeau Nox, un voleur. Malgré leurs différences, tous deux doivent s’unir pour rejoindre Thelantis, la capitale du royaume. Les voilà qui s’envolent pour une aventure pleine de magie, mais aussi de dangers. Car les gargouilles, ces monstres venus du ciel, ne sont jamais très loin…

 

- Un petit extrait -

« Je veux un autre monde, dans lequel les rois se soucient du bien-être de leur peuple, et où les règles sont faites pour aider les gens à s’élever, pas pour les oppresser et les écraser.  »

- Mon avis sur le livre -

 Trop souvent, les auteurs de littérature jeunesse s’imaginent qu’il suffit de divertir les enfants, de leur faire aimer l’histoire : je ne dis pas que c’est faux, mais j’estime que c’est insuffisant. Pour moi, un bon livre pour enfant ou jeune adolescent doit non seulement plaire au jeune lecteur, mais aussi le faire grandir. Lui faire prendre conscience que le monde est bien plus vaste que son petit quotidien, et que la vie est plus complexe que ce qu’il pouvait imaginer jusqu’alors. Tout le monde s’accorde pour dire qu’un héros de roman, s’il est bien construit et qu’il vit des aventures dignes de ce nom, évolue au cours de son parcours ; la force d’un roman, c’est de permettre au lecteur de tirer lui aussi les mêmes leçons que ce héros, mais sans avoir à risquer sa vie pour cela. Ce que j’aime donc, ce sont les romans jeunesse qui ne prennent pas les petits lecteurs pour des idiots, mais bien comme de petits héros « de la vraie vie » en devenir, à qui il faut offrir l’opportunité de mûrir grâce à sa lecture.

Et sur ce point-là, ce roman a tout bon. L’autrice nous plonge au cœur d’un univers qui, au premier abord, fait rêver : des humains-oiseaux, n’est-ce pas féérique au possible ? Je pense qu’on est nombreux à s’être déjà demandé ce que cela ferait, de pouvoir s’envoler, s’extirper de la pesanteur, être parfaitement libre d’aller dans toutes les directions, de danser avec le vent, de prendre de la hauteur. J’ai donc trouvé l’idée vraiment sympathique, et assez originale car je n’ai pas le souvenir d’avoir déjà croisé ce genre de « croisement » dans une lecture ! Mais pour moi, la grande force de cet univers est ailleurs : derrière ce côté un peu féérique se cache une réalité sociale (sociétale ?) bien plus compliquée, bien moins réjouissante d’ailleurs. Des castes supérieures, des castes inférieures. Des destins bien tracés pour les uns ou les autres, sans possibilité de s’échapper de cet ordre bien établi pour s’élever plus haut que sa « condition » de naissance : si tu es né Moineau, on estimera que tu es condamné à être paysan, que tu es « fait » pour cela et pour rien d’autre. Et bien évidemment, aucun membre d’un Clan « supérieur » ne s’abaissera à faire quelque chose d’aussi dégradant, alors que le simple fait d’être né Faucon fait de vous un noble.

Et voici qu’Ellie, une jeune Moineau, orpheline de surcroit, est bien déterminée à prouver sa valeur et à devenir une Aile d’Or, une super-sentinelle des cieux. Jamais aucun enfant d’un Clan inférieur n’a revêtu l’uniforme de ce corps d’élite. Il faut dire que jamais aucun enfant d’un Clan inférieur n’a essayé de participer aux courses de sélection : le règlement ne l’interdit pas, mais « cela ne se fait pas ». De toute manière, un Moineau, c’est trop fragile pour porter l’épée, pas assez endurant, pas assez rapide, trop petit, trop … inférieur. Mais Ellie refuse de laisser qui ou quoi que ce soit la décourager. Déterminée, et même obstinée, la fillette est prête à tout pour réaliser son rêve … Ellie est tellement attachante, tellement adorable, qu’on lui souhaite de réussir, même si en tant qu’adulte, je pressentais que les choses n’allaient pas être aussi simples, et j’avais donc beaucoup de peine par anticipation pour elle. Car c’est vraiment une enfant avec un cœur d’or, qui ne désire rien d’autre que de faire le bien, que de rendre la vie plus sure et plus belle pour tout le monde. J’ai aimé sa candeur, sa naïveté, son altruisme, son dévouement : elle représente ce qu’il y a de meilleur dans la nature humaine …

Mais nous ne le savons que trop bien : dans la vie, le meilleur côtoie le pire. Et c’est le jeune Nox qui se fait en quelque sorte le dépositaire de la noirceur de l’existence. Né dans un Clan brisé, un Clan déchu, un Clan qui n’a même plus le statut de Clan, il est encore plus inférieur que n’importe quel membre d’un Clan inférieur. Il fait partis des rebuts parmi les rebuts, des moins que rien, aux côtés de ceux qui souffrent de la terrible « lépraille » que l’on parque dans des « camps » de fortune, de ceux que les plus grands de son monde souhaitent garder bien caché, le plus loin possible d’eux. Car la misère, quand on fait partie des nantis, on ne veut pas la voir. Par pure indifférence, par mépris, voire même pour certains … par profit. Certains sont prêts à tout pour assouvir leur soif de richesse ou de pouvoir, y compris à exploiter la misère des plus petits, des plus fragiles, des plus désespérés … Nox est un jeune homme désabusé, profondément blessé par la vie, qui a tellement côtoyé la noirceur qu’il est incapable de voir la lumière. Si Ellie est attachante, Nox est touchant : on sent bien que derrière ses airs de voyous sans foi ni loi se cache un cœur sensible et torturé, et on espère vraiment qu’il retrouvera un jour un peu d’espoir …

Et comme on peut s’en douter, nos deux héros vont … se rencontrer. Et bien sûr, ça fait des étincelles : même si ce roman est bien plus profond qu’il ne peut en avoir l’air au premier abord, on reste dans un roman destiné en premier lieu à des jeunes lecteurs de 9 à 12 ans. Donc ça se crêpe le chignon, ça n’est jamais d’accord, ça s’envoie des noms d’oiseaux à la figure (presque littéralement, sur le coup), ça boude, ça se réconcilie pour recommencer trois heures plus tard … C’est vraiment le petit côté léger de toute cette histoire, leur relation, même si on voit venir la super belle histoire d’amitié à des kilomètres à la ronde. Mais voilà, même si c’est prévisible, j’aime toujours ces duos « mal assortis » et pourtant si complémentaires : c’est souvent bien plus intéressant à suivre que des amis « fusionnels » qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Là, chacun est invité à se confronté à la vision de l’autre, ce qui aide le lecteur à en faire de même (surtout qu’il se sentira, de base, plus « proche » de l’un ou de l’autre). Face à toutes les embûches qui se dressent sur leur chemin, ils vont réagir différemment, et c’est souvent en trouvant une voie médiane entre leurs deux positions qu’ils parviennent à s’en sortir. Ils forment une bonne équipe, non pas parce qu’ils pensent pareil, mais justement parce qu’ils finissent par accepter que c’est normal de ne pas toujours penser pareil.

Je pense que je pourrais continuer à vous parler de ce premier opus pendant des heures et des heures ! D’un côté, c’est vraiment un récit d’aventure palpitant, avec beaucoup de rebondissements, le genre de roman qui se dévore d’une traite car il arrive toujours une nouvelle péripétie à nos héros et qu’on a terriblement envie de savoir comment ils vont pouvoir se sortir de ce nouveau mauvais pas … Et de l’autre, c’est aussi un roman qui véhicule pas mal de choses, qui illustre sans les nommer les inégalités sociales et les injustices qui en découlent, qui dénonce également l’indifférence et l’égoïsme des plus « grands » qui ne voient que leurs privilèges à conserver coute que coute (même si cela nécessite de laisser des gens souffrir), sans oublier l’hypocrisie et la jalousie qui gangrènent les relations entre les individus … Vraiment, je suis sous le charme, j’ai très envie de découvrir la suite de la saga, et je vous la conseille à 100 000% !

mercredi 29 janvier 2025

Le miroir de Cassandre - Bernard Werber

Le miroir de Cassandre, Bernard Werber

 Editeur : Albin Michel

Nombre de pages : 628

Résumé : Ses parents disparus ont voué Cassandre au malheur en la programmant à devenir voyante! Comme l'héroïne grecque dont elle porte le nom, la jeune fille est capable de prévoir les catastrophes, et comme elle, personne ne l'écoute...Aux lisières d'un Paris futuriste hanté par des êtres revenus à l'état sauvage, Cassandre et ses étranges amis vont essayer de sauver un monde qui court à sa perte, menacé par la surpopulation, la pollution, les guerres, les épidémies et le terrorisme.

 

- Un petit extrait -

« Elle se la répète.

Réussir c’est aller d’échec en échec sans perdre l’enthousiasme.

En soupèse chaque mot et l’enregistre, consciente de tout ce que la phrase renferme de promesse, d’espoir, de force contre l’adversité et de résistance aux épreuves.  »

- Mon avis sur le livre -

 Dans ce roman, le meilleur côtoie le pire … mais le pire gâche le meilleur. Je peux comprendre pourquoi la jeune moi de quinze ans a apprécié ce livre : jusqu’alors, je n’avais lu que de la science-fiction « pour ado », où l’action prime souvent sur la réflexion. C’était donc la première fois qu’un ouvrage m’invitait à réfléchir moi-même au futur, à l’avenir. Au fait que ce futur, cet avenir, est le résultat de choix présents (et même passés), que c’est ce qui se passe aujourd’hui qui détermine ce que sera demain. Bien sûr, en tant qu’adulte, on se dit que c’est évident … mais quand on sort du collège et qu’on commence seulement à prendre pleinement conscience de la complexité du monde, c’est assez grisant comme « découverte ».

Je me souviens avoir été fascinée par l’idée du « tribunal des générations à venir », lorsque Cassandre, représentante de notre génération, se retrouve face à cette cohorte de bébés enragés qui lui reprochent son égoïsme, son inactivité, sa complaisance dans l’aveuglement et son je-m’en-foutisme, son appétence pour les loisirs sans penser aux conséquences pour la terre et ses habitants (qu’ils soient déjà nés ou non). Déjà à l’époque, cela m’avait fait songer à la phrase de Saint-Exupéry : « Nous n'héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants ». Désormais, cela me fait également penser à l’encyclique Laudato si’ du Pape François, dans lequel il affirme que « la notion de bien commun inclut aussi les générations futures » et qu’il faut donc envisager une véritable solidarité intergénérationnelle. « Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous succèdent ? » : sans la poser aussi explicitement que le souverain pontife (qui ne s’adresse pas seulement aux croyants, mais « à chaque personne qui habite cette planète »), ce roman est traversé par cette question. Et en cela, oui, je continue à le trouver intéressant.

De même, l’idée de l’Arbre des Possibles, avec toutes ces éventualités d’avenirs (souhaitables ou non), m’avait également beaucoup marquée. Je commençais seulement à me plonger dans la science-fiction, et donc à envisager une infinité de futurs possibles, et ce roman m’a véritablement fait « prendre conscience » de l’importance de ce genre littéraire, justement. Il y a un petit côté « méta-science-fiction » dans ce roman, qui interroge sur l’importance d’écrire des romans sur le futur, d’aider le lecteur à se représenter ce qui peut advenir « si » on fait ceci ou « si » on ne change pas cela. Isaac Asimov s’était donné pour mission, à travers ses romans de science-fiction, de proposer à l’humanité présente des futurs « souhaitables » et des futurs « horrifiques », pour lui montrer qu’il ne tenait qu’à elle de prendre le bon ou le mauvais chemin, tantôt en lui agitant au bout du nez quelque chose d’attirant, tantôt en lui mettant le nez dans le plus terrifiant … Mais lui-même avait fini par se dire que c’était inutile, car l’être humain choisira toujours le chemin le plus mortifère, même si des scientifiques et auteurs avaient pris la peine de réfléchir à ce que cela donnera. C’est également la conclusion à laquelle arriveront certains personnages du roman : cela ne sert finalement à rien d’essayer d’avertir l’humanité qu’elle fonce dans le mur, car elle n’aspire qu’à appuyer toujours plus fort sur l’accélérateur.

Je vais m’arrêter là, mais vous comprenez, je pense, que je continue à trouver que ce roman offre tout un tas de pistes de réflexion au lecteur. C’est, selon moi, le point fort de ce récit : on sent que l’auteur a une fascination (plus ou moins morbide, il faut le reconnaitre) pour l’avenir de l’humanité, ainsi que pour la figure du visionnaire qui parle dans le vide.

Mais voilà, le gros problème, c’est qu’on sent que monsieur Werber s’estime être un de ces visionnaires incompris, un de ces êtres à l’intelligence et  à la lucidité supérieures qui sont « condamnés » à vivre entourés de faibles idiots aveugles. L’héroïne est d’une vanité et d’un égocentrisme monstrueux, qui prend de haut toutes les personnes qu’elle côtoie … sauf son génie de grand frère qui a le droit à un peu plus de considération (mais pas trop, quand même, car elle s’estime quand même meilleure que lui, vu qu’après tout, elle est l’expérience la plus aboutie, la mieux réussie, lui n’était que le « prototype » trop faible pour exploiter pleinement toutes ses facultés). C’est vraiment ce qui m’a agacée dans cette relecture : cet écrasement de ceux qui ne sont pas aussi « éclairés » que ces rares élus capables de voir plus loin que le court terme. Oui, je veux bien reconnaitre qu’une bonne partie des individus ne passent pas l’intégralité de leur journée à s’interroger sur les conséquences au long terme de leur dernier passage chez le coiffeur, mais cela ne veut pas dire que toutes ces personnes « méritent » d’être méprisées.

Six-cent pages à subir les élucubrations mégalomanes d’une ado de seize ans qui se croit « charismatique » et s’imagine investie d’une mission unique (« je suis la seule à pouvoir changer le cours de l’histoire, l’unique à pouvoir ouvrir les yeux de mes contemporains, celle qui doit leur montrer le chemin, celle qui doit subir le martyre de leur aveuglement et de leur cruauté »), je peux vous dire que c’est long. Je vous épargnerais donc l’étalage de tous les autres points négatifs de ce roman, car celui-ci les résume tous. Toutes les bonnes idées sont parasitées par un déballage de réflexions pseudo-philosophiques qui ne font que mettre en lumière l’orgueil démesuré de l’auteur qui, en plus, se croit drôle (alors que franchement, son « humour » est de très mauvais goût). Les personnages sont caricaturaux au possible, mais ils se croient « complexes et subtils ». La narration est lourde, mais se prétend « poétique ». Cela peut convaincre ceux qui ne sont pas très difficiles et qui n’ont pas encore lu de meilleurs livres du même genre … mais c’est tout. Il y a quelques pistes de réflexions qui peuvent être intéressantes, mais elles sont bien mieux amenées et traitées dans un tas d’autres romans de science-fiction, donc clairement, pas la peine de s’embêter avec celui-ci. J’ai (re)testé pour vous, il n’en vaut pas la peine.

mardi 31 décembre 2024

Les rôdeurs de l'Empire, tome 3 - Guy-Roger Duvert

Les rôdeurs de l’empire3, Guy-Roger Duvert

Editeur : Autoédition
Nombre de pages : 319
Résumé : Peu après leur fascinante découverte à Endetra, les Rôdeurs se sont embarqués à bord d’un navire afin de fuir le royaume de Derenos, en pleine guerre avec l’Empire. Malheureusement, frappés par une tempête, ils n’ont pas pu atteindre leur destination. Logan et Trevor, rescapés sur une plage au sud de l’Empire, décident de le traverser afin de rejoindre les contrées nordiques de Helgard, dans l’espoir d’y retrouver leurs compagnons, mais aussi d’y découvrir la probable ruine de Ceux d’Avant qui s’y cache.

 Un grand merci à Guy-Roger Duvert pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« L’idée n’était pas venue à l’esprit du mercenaire jusque-là, mais la grimace qu’il fit confirma qu’elle n’était pas à son goût.

- Ça y est, t’as gagné : tu m’inquiètes, soupira-t-il. Pourquoi est-ce que les choses ne peuvent pas être simple pour une fois ?

- Notre déveine de pendus ? s’amusa cyniquement Logan.

- Arrête. Je vais finir par y croire.  »

- Mon avis sur le livre -

 Laissant derrière eux le royaume de Derenos, nos cinq Rôdeurs ont embarqué à bord d’un navire, bien décidés à ne plus laisser les puissants de ce monde leur dicter leur conduite : désormais, Logan, Ethan, Cassandra, Astrid, Shenneah, Trevor et Tobias ne poursuivront plus que leurs propres objectifs, leurs propres intérêts. Le petit groupe, décidemment mal assorti mais indiscutablement fort soudé, décide donc de partir en quête de ces mystérieux vestiges de Ceux d’Avant : ils ont bien l’intention de garder une longueur d’avance sur toutes les organisations (officielles et officieuses) qui s’intéressent à ces ruines anciennes … et à leurs secrets. Mais il semblerait que le sort s’acharne sur nos infortunés compères : voici qu’une tempête s’abat sur leur embarcation. Logan et Trevor en sortent indemnes … mais isolés. Ne sachant si leurs compagnons s’en sont sortis, et si c’est le cas, où ils se sont échoués, les deux Rôdeurs prennent la décision de se mettre en route vers le Nord. Direction : l’un de ces fameux vestiges !

Autant le dire tout de suite : ce tome-ci m’a un peu moins convaincue que les deux précédents. Est-ce parce que je sais désormais que cet univers et celui d’Outsphere n’en forment en réalité qu’un seul, et que j’ai passé une bonne partie de ma lecture à tenter de faire le lien entre les deux, ce qui n’est pas toujours évident et avait donc tendance à me « sortir » de l’histoire ? Ou bien est-ce surtout parce que nos Rôdeurs sont soudainement séparés, et que cela fait drôlement bizarre de passer du groupe de sept héros auquel nous nous étions habitués à un simple duo ? Ou bien est-ce parce que l’intrigue de cet opus est basé sur un scénario de jeu de rôle que l’auteur a (certes brillamment) recyclé pour l’intégrer à cet univers, et qu’on ne peut s’empêcher de se dire que cette péripétie « greffée » n’apporte au final pas grand-chose à l’intrigue globale de la saga ? Il est fort probable que toutes ces raisons se sont entremêlées pour générer chez moi une certaine frustration : c’était fort sympathique (les romans de Guy-Roger Duvert le sont toujours), mais je dois bien reconnaitre que je n’ai pas trouvé ce tome à la hauteur des précédents …

Malgré tout, j’ai apprécié suivre nos deux Rôdeurs dans cette aventure : le chasseur de primes et le mercenaire forment un duo détonant, mais finalement assez équilibré. Et même si ce sont l’un comme l’autre des crapouilles finies, impossible de nier qu’on finit par s’attacher à ces deux bonhommes, ces deux compagnons d’infortune qui ne cessent de se demander ce qu’ils ont bien pu faire dans une précédente vie pour mériter tout ceci (pour cette vie-ci, vu leur profession respective, ils ne se posent pas la question). Il est vrai qu’ils vont de déveines en malchances, nos Rôdeurs : à croire qu’où qu’ils passent, quoi qu’ils fassent, si une calamité ou un complot doit s’abattre sur quelqu’un, cela sera forcément sur eux ! Et nous autres lecteurs sommes forcément tiraillés entre la compassion (« mais les pauvres, quand même, ça fait beaucoup à force ! ») et la satisfaction (« chic, une nouvelle mésaventure ! comment vont-ils se tirer de ce mauvais pas cette fois-ci ? »), parce que tout le monde le sait bien : il n’y a pas plus palpitant qu’un héros malchanceux ! Et clairement, avec les protagonistes des ouvrages de Guy-Roger Duvert, nous sommes toujours servis sur ce plan-là : c’est même un service cinq étoiles, aux petits oignons, j’ai rarement croisés des héros aussi déveinards ! Ce qui ne rend le récit que plus croustillant …

Et comme bien souvent chez Guy-Roger Duvert, nos Rôdeurs se retrouvent bien malgré eux embarqués dans les machinations de plusieurs groupuscules aux objectifs totalement opposés … Tandis qu’ils n’aspirent qu’à retrouver leurs compagnons et trouver les vestiges de Ceux d’Avant, Logan et Trevor se retrouvent sans vraiment le savoir (et surtout sans du tout le vouloir) au beau milieu d’enjeux qui les dépassent. C’est assez fascinant de les voir se débattre avec leurs objectifs propres, totalement inconscient du jeu funeste qui se joue à leurs dépens autour d’eux, complétement ignorants du fait que leur simple présence est en passe de bouleverser l’équilibre entier de toute une ville, si ce n’est d’une région, voire du pays tout entier. Il y a ce petit côté « effet papillon » que je trouve vraiment captivant à suivre, en tant que spectatrice qui ne risque absolument rien puisque je suis du bon côté du papier ! Nos héros, pourtant fermement décidés à ne plus laisser qui que ce soit dicter leurs actions et diriger leurs existences, ne peuvent jamais se libérer de l’imbroglio de toute société humaine : on a beau essayer de vivre indépendamment de tout et de tous, on reste inexorablement liés à cette grande toile qu’est l’Histoire. Pour le meilleur comme pour le pire …

En bref, vous l’aurez bien compris, même si je n’ai pas apprécié ce tome autant que les deux précédents, ce roman n’en reste pas moins un récit particulièrement palpitant, qui se dévore d’une traite, sans qu’on ne voie les pages se tourner ! Même si je suis vraiment déçue de ne pas avoir de nouvelles des autres membres du groupe, j’ai apprécié suivre les aventures (ou plutôt les mésaventures, il faut le dire) de Logan et Trevor : j’ai fini par m’attacher à eux, et même si ce sont de drôles de loustics aux professions pour le moins douteuse, j’ai passé le roman entier à trembler pour eux ! Car comme toujours, l’auteur nous offre beaucoup de rebondissements, d'actions, de mystère, de retournements de situation, de situations désespérées, de machinations, de coups du sort, de coups de théâtre : on ne s'ennuie jamais, on vit juste de formidables aventures épiques par procuration, et c'est drôlement cool ! Et comme toujours, j’ai hâte de connaitre la suite de l’histoire, en espérant retrouver Cassandra et les autres Rôdeurs, et en espérant également que la convergence avec Outsphere se fera plus « flagrante » !

lundi 23 décembre 2024

Le monde de Gigi - William Maurer

Le monde de Gigi, William Maurer

 Editeur : Le lys bleu

Nombre de pages : 152

Résumé : Un pigeon et un chat nouent une amitié insolite à Paris, accusés de bouleverser l’équilibre naturel entre proie et prédateur. L’affaire est portée devant les tribunaux avec Gigi, une jeune fille précoce, comme avocate. Coupables ou innocents ? La question se complexifie lorsque les végétaux et les forces célestes s’en mêlent et qu’un ange nommé Hermès est appelé à témoigner…

 Un grand merci aux éditions Le lys bleu pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« TOUT LE RESTE (en chœur) : Alors ? Tu votes ?

L’ÉCREVISSE : Oui ! Oui ! Pardon ! Pardon ! Mais oui ! Mais oui ! Mais bien sûr que je vote enfin ! Je vote maintenant, même ! Enfin, qui n’aime pas voter !? C’est très bien de voter ! Je fais toujours mon devoir de citoyen ! Je vote même tous les jours ; matin, midi et soir ! Je me lève vote, je mange vote, je me reproduis vote. Le vote, c’est ma grande passion dans la vie, je vote corps et âme ! …

Silence.

L’ÉCREVISSE (ferme les yeux et se concentre puis rouvre les yeux): C’est bon, j’ai voté. Vous avez besoin d’autre chose ?

LA COLOMBE (excédée mais avec un sourire hypocrite, à l’écrevisse) : Donc, mon cher ami, que votez-vous ?

L’ÉCREVISSE : Ah ! Euh ! … Moi, je vote toujours… pour la paix et l’égalité dans le monde ! Dans la pure tradition républicaine !

Désespoir de la colombe.

LE VER (à bout de nerfs) : Mais pour les accusés ! Coupable ou non-coupable !?

L’ÉCREVISSE : Ah ! Euh ! … Comme vous voulez ! Je ne suis pas difficile ! Ce qui est le moins dérangeant et surtout, ce qui vous fait plaisir !  »

- Mon avis sur le livre -

 Depuis la nuit des temps, les chats et les pigeons sont ennemis jurés. Lorsqu’il se retrouve face à un pigeon, tout chat digne de ce nom ne peut résister à l’envie de lui sauter dessus. Et lorsqu’il voit un chat, tout pigeon qui se respecte ne tarde pas à s’enfuir à tire d’ailes. C’est l’ordre naturel, normal et immuable des choses, dit-on … Mais voilà, lorsque Mao le chat s’est retrouvé face à Meredith le pigeon, il n’a pas ressenti la moindre envie de l’étriper. Et lorsque Meredith le pigeon a vu Mao le chat, elle n’a pas ressenti le besoin de s’envoler loin de lui. À plusieurs reprises, désireux de bien faire, nos deux compères ont tenté de jouer le rôle qu’on attendait d’eux : le félin a tâché d’agir en prédateur féroce, le volatile en proie apeurée. Mais rien à faire : ils avaient beau essayer de toutes leurs forces, ils ne sont pas parvenus à se détester. Au contraire. C’était plus fort qu’eux : ils s’appréciaient. Ils avaient envie de devenir amis … Mais ce n’est pas du goût de leurs congénères respectifs : un chat et un pigeon qui deviennent amis, on n’avait jamais vu cela, c’est contre-nature, c’est forcément un crime, punissons sans tarder cet odieux outrage à la chaine alimentaire !

Avec ce petit roman, qui flirte très allégrement avec la pièce de théâtre et les fables animalières, l’auteur nous offre une délicieuse satire sociale pleine de rebondissements. Tout commence par une rencontre au détour d’une ruelle parisienne : un chat, un pigeon. Jusque-là, rien à signaler : c’est parfaitement banal, à Paris, de voir un chat et un pigeon se retrouver face à face. Mais voilà, ce chat n’a pas ressenti d’instinct de prédation vis-à-vis de cette proie, et ce pigeon n’a pas ressenti d’instinct de fuite vis-à-vis de ce prédateur. Ils en sont les premiers surpris, pour ne pas dire les premiers perturbés, mais les faits sont là : en se rencontrant, ils se sont rendus compte qu’ils n’avaient pas envie de faire semblant de se détester. Car la vérité … c’est qu’ils ont pressentis qu’ils pouvaient s’apprécier. En dépit de toutes leurs différences, en dépit également de la haine millénaire qui existe entre leurs deux espèces. Au plus profond d’eux-mêmes, ils ont trouvé ça terriblement stupides, de devoir se détester car « on a toujours fait comme cela » : s’ils n’ont pas envie de se détester, pourquoi devraient-ils s’y forcer pour rentrer dans le moule de la « normalité » ? Après tout, ils ne font rien de mal : ils s’apprécient, ils s’aiment, ils sont amis. N’est-ce pas mieux que de se faire la guerre, de s’étriper mutuellement au nom d’une hostilité ancestrale dont nul ne connait plus vraiment l’origine ?

Mais on s’en doute bien, les autres animaux ne voient pas cette relation d’un très bon œil. Tout ceci est définitivement bien trop anormal pour être toléré : on ne peut tout de même pas laisser un prédateur et sa proie devenir amis, cela risquerait de créer des émules et de faire voler en éclat tout l’équilibre du monde animal ! Non, vraiment, il ne faut pas laisser passer cela : il faut sévir, le plus vite possible, le plus fort possible. Condamnons ces deux dissidents avant que d’autres ne suivent leur exemple ! Assurons-nous que plus personne n’aura plus jamais l’envie de remettre en question l’ordre naturel et immuable des choses : exécutons-les, et que ça saute ! Notons d’ailleurs l’ironie de la situation : les représentants des chats et ceux des pigeons reprochent à leur congénère respectif de s’entendre avec un membre de l’autre espèce … mais quand il s’agit de s’accorder sur le châtiment à exécuter, ils sont tout à fait disposés à s’entendre ! Faites ce que je dis, pas ce que je fais, cela ne vous rappelle rien ? Figurez-vous que le doyen des chats propose à son homologue pigeon de s’inspirer de l’article 49.3 des bipèdes pour contourner le procès équitable demandé par la petite Gigi, 10 ans, avocate autoproclamée de la défense ! De la farce tragi-comique à la satire politique, il n’y a qu’un pas que ce « conte » n’hésite pas à franchir à quelques reprises !

C’est d’ailleurs pour cette raison que, personnellement, je ne pense pas qu’on puisse considérer cet ouvrage comme un « roman jeunesse » : il ne suffit pas de mettre des animaux qui parlent dans un roman pour que celui-ci soit adapté au jeune public. Qu’il le veuille ou non, l’auteur s’adresse ici à des adultes. Un enfant ne comprendrait pas pourquoi le poulpe se reprend et se corrige lui-même : on dit « haut-potentiel », et non plus « surdoué ».  Un enfant ne comprendrait pas ce que la colombe entend par « lubie des wokistes ». Un enfant ne comprendrait pas non plus pourquoi l’araignée estime que cela « change » que l’intégriste soit une catholique … Vous l’aurez compris, l’humour de ce roman est résolument destiné aux adultes. Et même, il faut le signaler, aux adultes qui aiment l’humeur un peu lourd : pour ma part, j’ai trouvé que ça allait un moment, mais au bout d’un certain temps, je ne pouvais pas lire plus de deux pages d’affilée sans ressentir une forme de lassitude, et même de malaise. L’auteur, parfois, va un peu trop loin, et ça en devient presque irrespectueux et blessant vis-à-vis de certaines catégories de personnes. Pour un livre qui est supposé prôner la tolérance, le respect des tolérances et le libre choix de chacun … c’est un peu limite. Et c’est d’autant plus dommage que cela aurait très facilement pu être éviter : tous ces passages un peu « dérangeants » se trouvent dans des sous-intrigues totalement inutiles pour l’histoire « principale » qui est celle du fameux procès. L’auteur se serait abstenu d’ajouter toutes ces histoires d’anges, d’organistes tyranniques et de personnages de romans qui découvrent qu’ils en sont, le récit ne s’en serait que mieux porté !

En bref, je pense que vous l’aurez bien compris : sur le principe, je trouve l’idée de ce roman absolument géniale … mais je ne suis pas entièrement convaincue par les choix de l’auteur. J’ai savouré le côté très théâtral de cette farce animalière, riche en comiques de situation, de parole, de répétition, riche également en rebondissements, avec même quelques bribes d’émotions (la mort du papillon est une tragédie grecque à elle toute-seule) … Par contre, j’ai eu beaucoup de mal avec la ribambelle d’intrigues secondaires qui, à mes yeux, non seulement n’apportent rien de particulier à l’histoire, mais peuvent même rebuter plus d’un lecteur car c’est d’une irrévérence à la limite de l’irrespect. Il est parfaitement possible de rigoler sans blesser … d’autant plus ici où la joyeuse ménagerie suffit amplement à faire pleurer de rire, pas besoin d’en rajouter inutilement. Et même si j’aime beaucoup le Petit Prince, je trouve que tout ce pan de l’histoire où Gigi se questionne sur « la facticité » de son monde n’a finalement rien à faire là. Pour que cet ouvrage me plaise véritablement et me convainque au point que je puisse le conseiller sans hésitation, il aurait fallu que l’auteur se contente d’en rester à l’essentiel : un chat et un pigeon devienne amis, et se retrouvent pris au milieu d’un procès. C’était amplement suffisant, et c’était délicieux. Le reste ne l’est pas.