
La quête d’Ellie
Editeur : Bayard jeunesse
Nombre de pages : 374
Résumé : Alors qu’elle participe à un concours pour devenir apprentie chevaleresse, Ellie, une Moineau, rencontre le Corbeau Nox, un voleur. Malgré leurs différences, tous deux doivent s’unir pour rejoindre Thelantis, la capitale du royaume. Les voilà qui s’envolent pour une aventure pleine de magie, mais aussi de dangers. Car les gargouilles, ces monstres venus du ciel, ne sont jamais très loin…
« Je veux un autre monde, dans lequel les rois se soucient du bien-être de leur peuple, et où les règles sont faites pour aider les gens à s’élever, pas pour les oppresser et les écraser. »
Trop souvent, les auteurs de littérature jeunesse s’imaginent qu’il suffit de divertir les enfants, de leur faire aimer l’histoire : je ne dis pas que c’est faux, mais j’estime que c’est insuffisant. Pour moi, un bon livre pour enfant ou jeune adolescent doit non seulement plaire au jeune lecteur, mais aussi le faire grandir. Lui faire prendre conscience que le monde est bien plus vaste que son petit quotidien, et que la vie est plus complexe que ce qu’il pouvait imaginer jusqu’alors. Tout le monde s’accorde pour dire qu’un héros de roman, s’il est bien construit et qu’il vit des aventures dignes de ce nom, évolue au cours de son parcours ; la force d’un roman, c’est de permettre au lecteur de tirer lui aussi les mêmes leçons que ce héros, mais sans avoir à risquer sa vie pour cela. Ce que j’aime donc, ce sont les romans jeunesse qui ne prennent pas les petits lecteurs pour des idiots, mais bien comme de petits héros « de la vraie vie » en devenir, à qui il faut offrir l’opportunité de mûrir grâce à sa lecture.
Et sur ce point-là, ce roman a tout bon. L’autrice nous plonge au cœur d’un univers qui, au premier abord, fait rêver : des humains-oiseaux, n’est-ce pas féérique au possible ? Je pense qu’on est nombreux à s’être déjà demandé ce que cela ferait, de pouvoir s’envoler, s’extirper de la pesanteur, être parfaitement libre d’aller dans toutes les directions, de danser avec le vent, de prendre de la hauteur. J’ai donc trouvé l’idée vraiment sympathique, et assez originale car je n’ai pas le souvenir d’avoir déjà croisé ce genre de « croisement » dans une lecture ! Mais pour moi, la grande force de cet univers est ailleurs : derrière ce côté un peu féérique se cache une réalité sociale (sociétale ?) bien plus compliquée, bien moins réjouissante d’ailleurs. Des castes supérieures, des castes inférieures. Des destins bien tracés pour les uns ou les autres, sans possibilité de s’échapper de cet ordre bien établi pour s’élever plus haut que sa « condition » de naissance : si tu es né Moineau, on estimera que tu es condamné à être paysan, que tu es « fait » pour cela et pour rien d’autre. Et bien évidemment, aucun membre d’un Clan « supérieur » ne s’abaissera à faire quelque chose d’aussi dégradant, alors que le simple fait d’être né Faucon fait de vous un noble.
Et voici qu’Ellie, une jeune Moineau, orpheline de surcroit, est bien déterminée à prouver sa valeur et à devenir une Aile d’Or, une super-sentinelle des cieux. Jamais aucun enfant d’un Clan inférieur n’a revêtu l’uniforme de ce corps d’élite. Il faut dire que jamais aucun enfant d’un Clan inférieur n’a essayé de participer aux courses de sélection : le règlement ne l’interdit pas, mais « cela ne se fait pas ». De toute manière, un Moineau, c’est trop fragile pour porter l’épée, pas assez endurant, pas assez rapide, trop petit, trop … inférieur. Mais Ellie refuse de laisser qui ou quoi que ce soit la décourager. Déterminée, et même obstinée, la fillette est prête à tout pour réaliser son rêve … Ellie est tellement attachante, tellement adorable, qu’on lui souhaite de réussir, même si en tant qu’adulte, je pressentais que les choses n’allaient pas être aussi simples, et j’avais donc beaucoup de peine par anticipation pour elle. Car c’est vraiment une enfant avec un cœur d’or, qui ne désire rien d’autre que de faire le bien, que de rendre la vie plus sure et plus belle pour tout le monde. J’ai aimé sa candeur, sa naïveté, son altruisme, son dévouement : elle représente ce qu’il y a de meilleur dans la nature humaine …
Mais nous ne le savons que trop bien : dans la vie, le meilleur côtoie le pire. Et c’est le jeune Nox qui se fait en quelque sorte le dépositaire de la noirceur de l’existence. Né dans un Clan brisé, un Clan déchu, un Clan qui n’a même plus le statut de Clan, il est encore plus inférieur que n’importe quel membre d’un Clan inférieur. Il fait partis des rebuts parmi les rebuts, des moins que rien, aux côtés de ceux qui souffrent de la terrible « lépraille » que l’on parque dans des « camps » de fortune, de ceux que les plus grands de son monde souhaitent garder bien caché, le plus loin possible d’eux. Car la misère, quand on fait partie des nantis, on ne veut pas la voir. Par pure indifférence, par mépris, voire même pour certains … par profit. Certains sont prêts à tout pour assouvir leur soif de richesse ou de pouvoir, y compris à exploiter la misère des plus petits, des plus fragiles, des plus désespérés … Nox est un jeune homme désabusé, profondément blessé par la vie, qui a tellement côtoyé la noirceur qu’il est incapable de voir la lumière. Si Ellie est attachante, Nox est touchant : on sent bien que derrière ses airs de voyous sans foi ni loi se cache un cœur sensible et torturé, et on espère vraiment qu’il retrouvera un jour un peu d’espoir …
Et comme on peut s’en douter, nos deux héros vont … se rencontrer. Et bien sûr, ça fait des étincelles : même si ce roman est bien plus profond qu’il ne peut en avoir l’air au premier abord, on reste dans un roman destiné en premier lieu à des jeunes lecteurs de 9 à 12 ans. Donc ça se crêpe le chignon, ça n’est jamais d’accord, ça s’envoie des noms d’oiseaux à la figure (presque littéralement, sur le coup), ça boude, ça se réconcilie pour recommencer trois heures plus tard … C’est vraiment le petit côté léger de toute cette histoire, leur relation, même si on voit venir la super belle histoire d’amitié à des kilomètres à la ronde. Mais voilà, même si c’est prévisible, j’aime toujours ces duos « mal assortis » et pourtant si complémentaires : c’est souvent bien plus intéressant à suivre que des amis « fusionnels » qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Là, chacun est invité à se confronté à la vision de l’autre, ce qui aide le lecteur à en faire de même (surtout qu’il se sentira, de base, plus « proche » de l’un ou de l’autre). Face à toutes les embûches qui se dressent sur leur chemin, ils vont réagir différemment, et c’est souvent en trouvant une voie médiane entre leurs deux positions qu’ils parviennent à s’en sortir. Ils forment une bonne équipe, non pas parce qu’ils pensent pareil, mais justement parce qu’ils finissent par accepter que c’est normal de ne pas toujours penser pareil.
Je pense que je pourrais continuer à vous parler de ce premier opus pendant des heures et des heures ! D’un côté, c’est vraiment un récit d’aventure palpitant, avec beaucoup de rebondissements, le genre de roman qui se dévore d’une traite car il arrive toujours une nouvelle péripétie à nos héros et qu’on a terriblement envie de savoir comment ils vont pouvoir se sortir de ce nouveau mauvais pas … Et de l’autre, c’est aussi un roman qui véhicule pas mal de choses, qui illustre sans les nommer les inégalités sociales et les injustices qui en découlent, qui dénonce également l’indifférence et l’égoïsme des plus « grands » qui ne voient que leurs privilèges à conserver coute que coute (même si cela nécessite de laisser des gens souffrir), sans oublier l’hypocrisie et la jalousie qui gangrènent les relations entre les individus … Vraiment, je suis sous le charme, j’ai très envie de découvrir la suite de la saga, et je vous la conseille à 100 000% !