mercredi 29 janvier 2025

Le miroir de Cassandre - Bernard Werber

Le miroir de Cassandre, Bernard Werber

 Editeur : Albin Michel

Nombre de pages : 628

Résumé : Ses parents disparus ont voué Cassandre au malheur en la programmant à devenir voyante! Comme l'héroïne grecque dont elle porte le nom, la jeune fille est capable de prévoir les catastrophes, et comme elle, personne ne l'écoute...Aux lisières d'un Paris futuriste hanté par des êtres revenus à l'état sauvage, Cassandre et ses étranges amis vont essayer de sauver un monde qui court à sa perte, menacé par la surpopulation, la pollution, les guerres, les épidémies et le terrorisme.

 

- Un petit extrait -

« Elle se la répète.

Réussir c’est aller d’échec en échec sans perdre l’enthousiasme.

En soupèse chaque mot et l’enregistre, consciente de tout ce que la phrase renferme de promesse, d’espoir, de force contre l’adversité et de résistance aux épreuves.  »

- Mon avis sur le livre -

 Dans ce roman, le meilleur côtoie le pire … mais le pire gâche le meilleur. Je peux comprendre pourquoi la jeune moi de quinze ans a apprécié ce livre : jusqu’alors, je n’avais lu que de la science-fiction « pour ado », où l’action prime souvent sur la réflexion. C’était donc la première fois qu’un ouvrage m’invitait à réfléchir moi-même au futur, à l’avenir. Au fait que ce futur, cet avenir, est le résultat de choix présents (et même passés), que c’est ce qui se passe aujourd’hui qui détermine ce que sera demain. Bien sûr, en tant qu’adulte, on se dit que c’est évident … mais quand on sort du collège et qu’on commence seulement à prendre pleinement conscience de la complexité du monde, c’est assez grisant comme « découverte ».

Je me souviens avoir été fascinée par l’idée du « tribunal des générations à venir », lorsque Cassandre, représentante de notre génération, se retrouve face à cette cohorte de bébés enragés qui lui reprochent son égoïsme, son inactivité, sa complaisance dans l’aveuglement et son je-m’en-foutisme, son appétence pour les loisirs sans penser aux conséquences pour la terre et ses habitants (qu’ils soient déjà nés ou non). Déjà à l’époque, cela m’avait fait songer à la phrase de Saint-Exupéry : « Nous n'héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants ». Désormais, cela me fait également penser à l’encyclique Laudato si’ du Pape François, dans lequel il affirme que « la notion de bien commun inclut aussi les générations futures » et qu’il faut donc envisager une véritable solidarité intergénérationnelle. « Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous succèdent ? » : sans la poser aussi explicitement que le souverain pontife (qui ne s’adresse pas seulement aux croyants, mais « à chaque personne qui habite cette planète »), ce roman est traversé par cette question. Et en cela, oui, je continue à le trouver intéressant.

De même, l’idée de l’Arbre des Possibles, avec toutes ces éventualités d’avenirs (souhaitables ou non), m’avait également beaucoup marquée. Je commençais seulement à me plonger dans la science-fiction, et donc à envisager une infinité de futurs possibles, et ce roman m’a véritablement fait « prendre conscience » de l’importance de ce genre littéraire, justement. Il y a un petit côté « méta-science-fiction » dans ce roman, qui interroge sur l’importance d’écrire des romans sur le futur, d’aider le lecteur à se représenter ce qui peut advenir « si » on fait ceci ou « si » on ne change pas cela. Isaac Asimov s’était donné pour mission, à travers ses romans de science-fiction, de proposer à l’humanité présente des futurs « souhaitables » et des futurs « horrifiques », pour lui montrer qu’il ne tenait qu’à elle de prendre le bon ou le mauvais chemin, tantôt en lui agitant au bout du nez quelque chose d’attirant, tantôt en lui mettant le nez dans le plus terrifiant … Mais lui-même avait fini par se dire que c’était inutile, car l’être humain choisira toujours le chemin le plus mortifère, même si des scientifiques et auteurs avaient pris la peine de réfléchir à ce que cela donnera. C’est également la conclusion à laquelle arriveront certains personnages du roman : cela ne sert finalement à rien d’essayer d’avertir l’humanité qu’elle fonce dans le mur, car elle n’aspire qu’à appuyer toujours plus fort sur l’accélérateur.

Je vais m’arrêter là, mais vous comprenez, je pense, que je continue à trouver que ce roman offre tout un tas de pistes de réflexion au lecteur. C’est, selon moi, le point fort de ce récit : on sent que l’auteur a une fascination (plus ou moins morbide, il faut le reconnaitre) pour l’avenir de l’humanité, ainsi que pour la figure du visionnaire qui parle dans le vide.

Mais voilà, le gros problème, c’est qu’on sent que monsieur Werber s’estime être un de ces visionnaires incompris, un de ces êtres à l’intelligence et  à la lucidité supérieures qui sont « condamnés » à vivre entourés de faibles idiots aveugles. L’héroïne est d’une vanité et d’un égocentrisme monstrueux, qui prend de haut toutes les personnes qu’elle côtoie … sauf son génie de grand frère qui a le droit à un peu plus de considération (mais pas trop, quand même, car elle s’estime quand même meilleure que lui, vu qu’après tout, elle est l’expérience la plus aboutie, la mieux réussie, lui n’était que le « prototype » trop faible pour exploiter pleinement toutes ses facultés). C’est vraiment ce qui m’a agacée dans cette relecture : cet écrasement de ceux qui ne sont pas aussi « éclairés » que ces rares élus capables de voir plus loin que le court terme. Oui, je veux bien reconnaitre qu’une bonne partie des individus ne passent pas l’intégralité de leur journée à s’interroger sur les conséquences au long terme de leur dernier passage chez le coiffeur, mais cela ne veut pas dire que toutes ces personnes « méritent » d’être méprisées.

Six-cent pages à subir les élucubrations mégalomanes d’une ado de seize ans qui se croit « charismatique » et s’imagine investie d’une mission unique (« je suis la seule à pouvoir changer le cours de l’histoire, l’unique à pouvoir ouvrir les yeux de mes contemporains, celle qui doit leur montrer le chemin, celle qui doit subir le martyre de leur aveuglement et de leur cruauté »), je peux vous dire que c’est long. Je vous épargnerais donc l’étalage de tous les autres points négatifs de ce roman, car celui-ci les résume tous. Toutes les bonnes idées sont parasitées par un déballage de réflexions pseudo-philosophiques qui ne font que mettre en lumière l’orgueil démesuré de l’auteur qui, en plus, se croit drôle (alors que franchement, son « humour » est de très mauvais goût). Les personnages sont caricaturaux au possible, mais ils se croient « complexes et subtils ». La narration est lourde, mais se prétend « poétique ». Cela peut convaincre ceux qui ne sont pas très difficiles et qui n’ont pas encore lu de meilleurs livres du même genre … mais c’est tout. Il y a quelques pistes de réflexions qui peuvent être intéressantes, mais elles sont bien mieux amenées et traitées dans un tas d’autres romans de science-fiction, donc clairement, pas la peine de s’embêter avec celui-ci. J’ai (re)testé pour vous, il n’en vaut pas la peine.

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