mercredi 28 décembre 2022

Les Chroniques occultes, tome 3 : L'Ombre de Nyarlathotep - Guy-Roger Duvert

Les chroniques occultes3, Guy-Roger Duvert

L’ombre de Nyarlathotep

 Editeur : Autoédition
Nombre de pages : 383
Résumé :
Les événements qui se sont déroulés à Arkham ne laissent aucun doute : un sinistre épisode s’est déroulé, deux ans plus tôt, dans le détroit du Bengale, et dont les répercussions pourraient être terribles. Financés par la Miskatonic University, Milton, Kristen, Lillian et Howard traversent donc la planète en direction des Indes Britanniques, afin d’y remonter la piste et tenter d’identifier l’origine de la menace, sans se douter qu’un nouveau drame s’apprête à s’y produire...

 

Un grand merci à Guy-Roger Duvert pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« La journaliste acquiesça amicalement. Oui, après tout, il s’agissait là d’un passe-temps traditionnel des classes aisées de la société. Jusqu’à son séjour à Arkham, elle avait toujours vu ces histoires avec condescendance. Qui pouvait croire à de telles fadaises ? Maintenant qu’elle savait l’innommable possible, elle avait du mal à faire la part de ce qui était envisageable ou non. Dans tous les cas, se retrouver à nouveau face à l’étrange la mettait terriblement mal à l’aise. »

- Mon avis sur le livre -

 Novembre 1934 : moins de deux mois après les sinistres événements qui secouèrent la petite ville d’Arkham, quatre voyageurs pas tout à fait comme les autres embarquent pour les Indes. Milton, Kristen, Lillian et Howard doivent à tout prix comprendre ce qu’il s’est passé deux ans plus tôt, dans des ruines nichées au cœur du détroit du Bengale, lors d’une expédition financée et menée par un certain Lord Koenig. L’objectif ? Déterminer quelle sombre entité est apparue aux individus présents sur place, ce qu’elle a bien pu leur enseigner ou leur ordonner, et évaluer ainsi la dangerosité de ces-dits individus … Tandis que Milton, ancien détective privé désormais entièrement dévoué à la lutte contre les occultistes, et Kristen, ancienne archéologue qu’un contact prolongé avec un artefact maudit a doté de capacités surnaturelles mais aussi d’un certain déséquilibre psychologique, se rendent directement sur place, Howard, ancien agent secret revenu changé d’un long exil dans une autre dimension, et Lillian, journaliste ayant encore du mal à assimiler l’existence de ces forces occultes, vont à la rencontre du fameux Lord. Eux qui craignaient que les assauts de moustique soient leur plus grand désagrément dans leur enquête vont rapidement se retrouver face à des menaces autrement plus dangereuses que de simples démangeaisons …

Six petites pages de prologue : voilà tout ce que le lecteur a à sa disposition pour reprendre le wagon en marche, se remémorer vaguement les événements précédents avant d’entamer cette nouvelle aventure. Au début, le service est rude : les premiers chapitres m’ont quelque peu perdue, mais tout doucement, les pièces du puzzle ont retrouvées leur place et j’ai réussi à tout remettre en ordre. Il faut dire que Guy-Roger Duvert est tout sauf avare de rebondissements et révélations : ses récits sont particulièrement denses, il s’y passe toujours énormément de choses, et si cela rend l’ensemble absolument croustillant, difficile de nier que cela nécessite une certaine concentration (et une bonne mémoire) de la part du lecteur, si ce dernier ne veut pas rester sur la touche et nager dans le brouillard ! Alors accrochez-vous bien : une fois encore, l’auteur nous embarque dans une folle épopée, entre course contre la montre et lutte contre des forces obscures, entre mystères entremêlés et légendes plus ou moins oubliées, entre soupçons et trahisons, entre effroi et exaltation. Impossible de rester impassible lorsqu’on lit du Guy-Roger Duvert : d’une façon ou d’une autre, on a toujours le cœur qui s’emballe, la gorge qui se noue, les yeux qui s’écarquillent, la respiration qui se coupe. Peur, surprise, peine, colère : si vous envisagez de vous plonger dans Les Chroniques occultes (ce que je vous conseille ardemment), préparez-vous à vivre une montagne-russe d’émotions !

Nous retrouvons donc ici nos quatre héros, très différents les uns les autres, mais liés par la même envie, viscérale, de lutter contre les effroyables entités du Mythe et leurs serviteurs occultistes, humains si avides de puissance, de richesse ou de gloire qu’ils n’hésitent pas à ouvrir grandes les portes aux forces sombres. Et c’est d’ailleurs ce désir qui me les rend sympathiques : dans l’absolu, je n’ai aucune affinité avec Howard ou Milton, peu avec Lillian ou Kristen, mais je les rejoins et les soutiens farouchement dans leur combat, et je désire donc profondément les voir triompher de leurs ennemis, qu’ils soient humains ou non. Qu’ils débarrassent le monde de toutes ces aberrations qui ont conduit tant de gens dans l’erreur, la folie sanguinaire, la folie tout court, la mort, toutes ces croyances ésotériques qui ont causé tant de mal et de souffrance, oui, qu’ils nous en débarrassent une bonne fois pour toutes ! Leurs motivations sont différentes (soif de vengeance pour Milton qui a vu sa femme égorgée pour un de ces sacrifices rituels, joie du combat pour un Howard quelque peu perturbé par sa longue errance dans une dimension peuplée par une de ces étouffantes entités, curiosité enfantine pour Kristen qui ne sait plus vraiment faire la distinction entre la réalité et ses réalités, désir de vérité pour Lillian qui ne sait toujours que penser de toutes ces histoires), mais leur quête finale est la même : mettre fin à ces atrocités.

Mais on s’en doute, leur tâche est loin d’être facile : il est par définition même difficile de localiser, puis de vaincre des individus versés dans les arts occultes, dans ce qui est « caché », ce qui est « mystérieux », incompréhensible, insaisissable. Si certains aiment les démonstrations publiques et spectaculaires, à l’instar de certains « médiums » qui apprécient « entrer en transe » au milieu d’une foule ébahie et béate, d’autres préfèrent œuvrer dans l’ombre, fomentant en silence leurs funestes desseins, sans attirer l’attention. Si les premiers distillent une fascination pour ses forces venues du mal, et sont donc dangereux à leur manière, les seconds sont assurément les plus nuisibles : bien souvent aveuglés, ils ne se doutent pas qu’ils s’apprêtent à déverser sur le monde et ses innocents des fléaux qui dépassent tout ce qu’ils peuvent imaginer. Ou s’ils s’en doutent, l’égoïsme et l’avidité ont tant dévoré leur cœur et leur âme qu’ils s’en contrefichent allégrement … certains même le désirent, s’en délectent, influencés par les entités maléfiques qui se servent d’eux. Oui, vraiment, nos quatre héros vont devoir s’armer de courage, de détermination, de sang-froid, d’ingéniosité pour réussir à démêler le vrai du faux, distinguer l’innocent du coupable, prendre rapidement la meilleure décision, tout en veillant les uns sur les autres. Tâche d’autant plus difficile qu’ils prennent conscience, tout comme le lecteur, que tout ceci n’est finalement qu’écran de fumée, que diversion : il semblerait que la vraie menace reste encore fermement cachée, indiscernable, méconnaissable. Ils ne font encore que se battre contre des moulins à vent, des moulins terrifiants qui, pourtant, ne sont rien à côté de ce qu’ils ont encore à affronter. S’ils le peuvent encore …

En bref, vous l’aurez bien compris, c’est encore une fois un récit des plus captivant, époustouflant, palpitant, fascinant, saisissant que nous offre Guy-Roger Duvert avec ce troisième opus ! Même si l’intrigue semble n’en être encore qu’à ses premiers balbutiements, même si nous avons bien souvent le sentiment qu’il reste encore tant de choses à découvrir et à vivre aux côtés de ces héros qui ne manquent pas de vaillance et d’obstination, la tension est telle que nous sommes d’ores et déjà happés comme si nous étions arrivés au moment fatidique de l’ultime bataille … C’est vraiment tout le génie de l’auteur, qui sait parfaitement comment rendre chaque scène haletante au possible, chaque chapitre totalement addictif. Impossible de s’ennuyer une seule seconde : il n’y a aucun temps mort, rien qui nous donne l’occasion de reprendre notre souffle. Quand bien même tout semble calme, le lecteur sent bien que ce calme est trompeur, et qu’il annonce une tempête imminente et fracassante : quand c’est trop beau pour être vrai, c’est forcément faux. Et, parfois honteusement, le lecteur se rend compte qu’il attend cette tempête autant qu’il la redoute : d’un côté, la peur qu’il arrive quelque chose de terrible aux personnages est belle et bien là, mais de l’autre, il y a cette curiosité un peu malsaine qui nous donne terriblement envie de voir ce qu’il va leur arriver ! Vous devinez donc bien que j’attends avec une impatience indicible la sortie du prochain tome, qui promet d’être encore follement passionnant !

samedi 29 octobre 2022

Frère noir, noir de frère - Jewell Parker Rhodes

Frère noir, noir de frère, Jewell Parker Rhodes

 Editeur : Hachette

Nombre de pages : 243

Résumé : Donte, douze ans, aimerait parfois être invisible. Disparaître loin de son école. Loin d’Alan, le «  Roi  » du club d’escrime, qui le harcèle. Loin des professeurs et du directeur qui l’accusent en permanence, en raison de sa couleur de peau. Et ce, bien qu’il soit innocent. Après une énième accusation, Donte est embarqué par la police. Effrayé et apeuré, le jeune garçon ne sait plus vers qui se tourner. Même son frère Trey, plus clair de peau que lui, ne trouve pas les mots pour l’aider. À la recherche d’un endroit où il aurait enfin sa place, Donte finit par rejoindre un club d’escrime, bien loin de celui de son école privée. Il est bien décidé à montrer à Alan et aux autres que, lui aussi, mérite le respect.

 

- Un petit extrait -

« En sport, c'est toujours moi qu'on siffle pour des fautes que je n'ai pas commises. Mais jamais personne ne se fait siffler quand je suis victime d'une faute. Tout le monde me harcèle. Les profs. Les élèves. Je suis poursuivi par des murmures, des cris. On dirait toujours que quelqu'un a quelque chose de mal à me dire : "Tu t'habilles comme une racaille." "Tes dreadlocks sont moches." Les filles se moquent de moi, me montrent du doigt. "Pourquoi tu ne peux pas être comme ton frère ?" "Il arrive à te trouver dans le noir ?" C'est blessant.»

- Mon avis sur le livre -

 Mon 2022. Un petit garçon de sept ans, en pleurs parce qu'un camarade l'avait bousculé, se fait menotté et embarqué par la police pour ne pas s'être calmé quand son professeur le lui a demandé, pour l'unique et "simple" raison qu'il est noir de peau (et que, « bien évidemment », cela le rend « dangereux » pour la communauté). Une scène tellement incongrue qu’on ne sait pas trop si on doit en rire ou en pleurer : on se dit que c’est forcément une caméra cachée, que cela ne peut pas être la réalité. Qu’un directeur d’école n’a pas appelé la police parce qu’un enfant refuse d’arrêter de pleurer. Que la police ne s’est pas effectivement déplacée pour arrêter ce pauvre gamin sanglotant. Et pourtant … pourtant c’est la vérité. Aujourd’hui encore, aux Etats-Unis, il suffit d’avoir la peau « trop sombre » pour être considéré dès le plus jeune âge comme un « délinquant en puissance », à envoyer au tribunal pour mineurs pour « troubles à l’ordre public » à chaque fois qu’un camarade de classe envoie son stylo sur un autre, car, « forcément », le coupable ne peut être que l’enfant racisé …

Cette réalité, aussi incroyable et effroyable soit-elle, Donte la connait bien : il la subit chaque jour. Dans son école privée, son frère Trey (qui a hérité de la blancheur de peau des ancêtres nordiques de leur père) est aimé de tous, élèves comme enseignants, tandis que lui, aussi noir que sa mère et sa famille africaine, est trainé dans le bureau du directeur à la moindre erreur dans son exercice de mathématiques ou au moindre éternuement lâché dans l’étage. Jour après jour, on lui balance des moqueries ou des injures à la figure, jusqu’au jour où il termine au poste de police. A douze ans. Parce que son casier, son propre casier, a été saccagé, ses livres déchirés. Parce que quelqu’un, quelque part dans l’établissement, a renversé sa chaise. Parce qu’il est le seul élève noir du collège. Parce qu’il a tiré des « mauvais » gènes à la loterie de sa conception. « Pourquoi n’es-tu pas plus comme ton frère ? », lui jette-t-on souvent à la figure (du moins pour ceux qui sont prêts à reconnaitre que Trey est effectivement son frère). Comme s’il avait choisi d’être lui … Donte donnerait n’importe quoi pour ne pas être lui. Jusqu’au jour où il rencontre « Coach », ancien champion olympique d’escrime reconverti en animateur de loisirs. Et si, finalement, être lui était justement ce dont il avait besoin pour faire changer les choses, en battant Alan le harceleur sur son propre terrain ?

Au premier abord, il faut bien le reconnaitre, c’est une histoire tout ce qu’il y a de plus classique, pour ne pas dire de plus banale : des histoires de gosses harcelés qui se découvrent une passion et surtout un talent naturel pour un sport et qui prend sa revanche en surpassant tous ses harceleurs, il y en a pléthore. A croire que tous les gamins mis à l’écart sont forcément des petits génies du sport qui s’ignorent : je ne nie pas qu’il y en a sans doute, mais en faire une telle généralité est loin d’être une bonne idée selon moi. A la fois parce que cela manque de réalisme … et parce que ça peut finir par représenter une pression et une « déception » supplémentaire pour tous ces gamins harcelés « normaux » qui ne trouvent jamais cette espèce de révélation quasi-mystique de leur « super pouvoir », et qui sombrent donc un peu plus dans la dévalorisation d’eux-mêmes. De plus, il faut bien l’avouer, il y a quelque chose de particulièrement improbable dans le fait que Donte rencontre pile au bon moment au bon endroit un ancien athlète qui accepte de l’entrainer sans même le connaitre : c’est une « surprenante » et formidable coïncidence, vous ne trouvez pas ? Et en plus, il y a une jolie fille tout aussi douée que lui dans le même club, c’est vraiment incroyable ! Question originalité et complexité de l’intrigue, on repassera …. 

Mais cela ne m’a pas empêché de passer un très agréable moment de lecture, et d’apprécier ce petit roman bourré de bonnes valeurs. Il ne se contente ainsi pas de valoriser le respect et l’égalité ou encore la lutte contre les injustices et les discriminations, il appelle aussi et surtout à l’estime et à l’amour de soi-même, à la persévérance, à la reconnaissance de nos forces et à l’indulgence envers nos limites et nos fautes passées. Comment voulez-vous être tolérant avec les autres si vous ne l’êtes pas avant tout avec vous-mêmes ? Comment voulez-vous être bienveillant envers les autres ni vous ne l’êtes pas en premier lieu avec vous-mêmes ? Cela peut sembler « évident » pour ceux qui se sentent bien dans leur peau et leur tête, mais pour ceux qui sont plus fragiles, c’est loin d’être aussi facile : cela demande un immense effort pour changer de perspective, de vision. J’ai sans aucun doute plus apprécié encore la relation entre Donte et Trey : qu’ils sont beaux, ces deux frères, inséparables, toujours là l’un pour l’autre, chacun se faisant le reflet et la béquille de l’autre, chacun sachant s’effacer devant la réussite de l’autre sans aucune trace de jalousie ou de compétition. J’ai également beaucoup aimé le fait que, finalement, la revanche, la vengeance, ne soit plus le seul vrai objectif de Donte : celui qu’il cherche à vaincre n’est pas seulement Alan ou l’Injustice, c’est avant tout lui-même. C’est avant tout à lui-même qu’il a besoin de prouver quelque chose, et c’est bien en cela qu’il est vainqueur, parce qu’il a su dépasser la simple soif de revanche ou de victoire.

En bref, vous l’aurez bien compris : même si ce roman ne sort pas forcément des sentiers battus, même s’il reprend une intrigue déjà maintes et maintes fois exploitée par des dizaines et des dizaines de livres, films et séries, il n’en reste pas moins un récit puissant et bouleversant, qui tire d’une certaine façon sa force de sa simplicité et de sa « banalité ». Il pointe du doigt sans sourciller une vérité qu’on aimerait bien garder bien cachée, car nous sommes si fier de notre « société inclusive et égalitaire », parce que c’est bien plus facile de se convaincre que ça y est, le combat est terminé, qu’on est désormais des gens bien civilisés … Et c’est justement parce qu’on estime que « c’est fini » que les injustices continuent à gagner du terrain, que le mépris continue à être la norme et que ce sont toujours les mêmes qui souffrent, souvent en silence, parce que le petit gamin de l’introduction vous le dira bien : quand on est différent, même pleurer peut devenir un crime. Passible d’arrestation. De condamnation. Même souffrir fait de vous un criminel. Comme diraient les anciens : dans quel monde de fou vivons-nous ?

samedi 22 octobre 2022

Quatre filles et un jean, tome 4 : Le dernier été - Ann Brashares

Quatre fille et un jean4, Ann Brashares

Le dernier été

 Editeur : Gallimard

Nombre de pages : 403

Résumé : Après leur première année loin de chez elles, à l'université, Carmen, Tibby, Bridget et Lena ont chacune des projets différents pour l'été : Carmen participe à un festival de théâtre, Tibby reste au campus à New York pour suivre un séminaire d'écriture de scénarios, Bridget part en Turquie sur un chantier de fouilles archéologiques et Lena suit un atelier de dessin ... Au seuil de leur vie d'adulte, c'est l'heure des grandes questions et, parfois, des déceptions. Mais une chose est sûre : avec ou sans le jean, leur amitié restera éternellement dans le bleu.

 

- Un petit extrait -

« Il me semble que j’ai compris… On n’habite plus à Bethesda, on n’est plus au lycée. On ne vit plus chez nos parents et on n’a pas encore de chez-nous. C’est là que nous avons grandi, que nous avons passé du temps ensemble, mais ce ne sont que des lieux, des époques, ce n’est pas nous. Si on s’imagine que nous quatre, c’est lié à un endroit ou à un moment précis, c’est fichu, car le temps passe et les lieux changent. Nous quatre, ce n’est ni un moment ni un lieu. Nous quatre, c’est partout. »

- Mon avis sur le livre -

 L’adage veut que les blagues les plus courtes soient toujours les meilleures … se pourrait-il qu’il en soit de même pour les sagas ? Je suis une grande amoureuse des longues sagas à rallonge, mais cela ne m’empêche pas, parfois, de trouver que certaines sagas trainent inutilement en longueur. Cela me coute quelque peu de le dire, mais les aventures des quatre filles et de leur jean magique font parti de ces sagas qui auraient selon moi mérité de compter au moins un tome de moins. J’ai comme le sentiment que l’autrice s’est fixé pour impératif absolu de faire « quatre tomes pour quatre filles » (le « cinquième » opus étant en réalité plutôt un hors-série), mais qu’elle n’avait pas la matière pour remplir « intelligemment » ces quatre tomes. Il y a donc un sérieux déséquilibre entre les trois premiers volumes, que je n’hésite pas à qualifier d’excellents, et cet ultime opus, qui fait bien pâle figure en comparaison. On a l’impression que l’autrice elle-même ne savait absolument pas que faire de ses quatre héroïnes dans ce tome … Et résultat, elle en a fait n’importe quoi. Je comprends désormais mieux pourquoi je ne me souvenais absolument pas de cet opus : il dénote tellement par rapport au reste que mon cerveau a visiblement décrété qu’il ne faisait point partie de la même série. L’histoire aurait pu, aurait dû, s’achever très harmonieusement à la fin du troisième opus, alors que les quatre filles s’apprêtaient à rentrer à l’université … Pas la peine d’ajouter si artificiellement un quatrième été.

Car pour Carmen, Tibby, Bridget et Lena, l’été est désormais comme le reste de l’année : elles sont séparées. Chacune a ses propres projets pour les vacances. Toujours plus décidée à améliorer toujours plus sa technique, Lena reste dans sa prestigieuse école d’art pour suivre des ateliers de dessin : elle espère qu’en occupant ainsi son corps et son esprit, elle parviendra à tirer définitivement un trait sur Kostos. Peut-être que Léo, si talentueux et si attirant, l’aidera à tourner une bonne fois pour toutes la page … Bridget, quant à elle, s’envole pour la Turquie afin de participer à un chantier de fouilles archéologiques. Elle va découvrir que contrairement à ce qu’elle imaginait, l’adage « loin des yeux, loin du cœur » ne s’applique pas à elle, et qu’elle aime bien plus Eric qu’elle ne pouvait le penser … Tibby reste au campus pour tenter d’avancer dans l’écriture de son scénario. Mais parviendra-t-elle véritablement à écrire une histoire d’amour alors qu’elle semble totalement incapable de profiter vraiment de l’amour inconditionnel que lui offre Brian ? Et si la véritable histoire d’amour tragique de son été n’était pas celle qu’elle s’efforce d’écrire, mais celle qu’elle est en train de vivre ? Carmen, elle, n’est plus que l’ombre d’elle-même : alors que ses deux parents s’accordent pour affirmer qu’elle a toujours eu un sacré sens théâtral, elle reste obstinément dans l’ombre des coulisses à agrafer des décors et retaper des accessoires. Mais peut-être est-pour elle l’heure de briller à nouveau sous les feux des projecteurs, quoi que puisse en penser sa « nouvelle amie » Julia …

Pour être parfaitement honnête, j’ai beau me creuser la tête, je ne sais absolument pas quoi dire sur cet opus. D’un côté, j’étais bien évidemment heureuse de retrouver une fois de plus nos quatre filles, auxquelles je me suis irrésistiblement attachée au fil des tomes … mais de l’autre, c’est comme si la magie s’était soudainement brisée, comme s’il manquait ce petit quelque chose indéfinissable qui rendait cette saga absolument unique. A l’instar de nos quatre filles, ou plutôt de nos quatre jeunes femmes, désormais, je n’ai pas mis bien longtemps avant de me rendre à l’évidence : cet été n’a absolument rien à voir avec les précédents. Sans doute parce que, désormais, pour elles, ce n’est plus une nouveauté d’être séparées, éloignées les unes des autres : c’est maintenant leur normalité, leur quotidien, leur lot commun. Comme le disait mon arrière-grand-mère, « l’habitude rend la chose facile » : ce n’est désormais plus un déchirement de passer l’été chacune de leur côté, puisque c’est ce qu’elles font déjà toute l’année. Deux mois de plus, deux mois de moins, ça ne fait plus la moindre différence. Et ce qui m’a chagrinée, ce n’est pas tant le fait qu’elles soient à nouveau séparées, mais c’est très probablement qu’elles soient passées d’une belle amitié à la limite du fusionnel à … une sorte d’indifférence teintée de résignation. En trop peu de temps pour que ça fasse naturel. A trop forcer le trait, à trop vouloir montrer qu’elles ont appris à vivre indépendamment les unes des autres, l’autrice a esquissé une sorte de caricature absolument absurde de ses quatre héroïnes. Au point que, parfois, j’ai eu le sentiment de rencontrer de parfaites inconnues et non pas de retrouver les quatre filles des étés précédents. Les quatre filles au jean.

Prenons Bridget, par exemple. Bridget qui, je vous le rappelle, est une forcenée de sport et plus particulièrement de foot. Qui ne sait pas rester concentrée plus de deux secondes, en bonne petite Bee l’abeille hyperactive qu’elle est : elle virevolte, butine, volette, infatigable. Et là voici qui se retrouve, on ne sait pas trop bien comment, au beau milieu d’un chantier de fouilles archéologiques, à dépoussiérer fort patiemment et fort délicatement son minuscule petit bout de terre à la recherche d’aussi minuscules petits bouts d’argile. Le contraste est bien trop gros : la vraie Bridget a probablement été enlevée par des extraterrestres et l’autrice l’a remplacée par un clone bugué, c’est la seule explication probable. Même constat pour Carmen : à ma connaissance, elle n’avait jamais montré le moindre soupçon d’intérêt pour le théâtre et les arts dramatiques, alors comment a-t-elle atterri dans ce festival, exactement ? Et je veux bien admettre que l’entrée à l’université, ça « change une vie », mais au point de transformer Carmenita la solaire, Carmenita l’impulsive, en petite souris de l’ombre qui grappille avidement le moindre petit bout de fromage, le moindre petit sourire et compliment d’une illustre inconnue, j’ai du mal à y croire. Carmen est peut-être en manque constant d’amour et d’attention, mais sauf si elle a subit une lobotomie entre les deux tomes, elle n’est quand même pas stupide au point de devenir un petit toutou sans le moindre sens critique : la vraie Carmen ne serait pas tombée aussi profondément dans le piège de Julia, elle n’aurait pas gobé aussi bêtement ses faux-semblants.

Et comme si cela ne lui suffisait pas de dénaturer complétement la personnalité de ses héroïnes, voici que l’autrice sombre dans le pire travers des romans pour adolescents qu’elle avait pourtant très bien évité jusqu’à présent : les amourettes niaises. D’un côté nous avons Lena qui passe ses journées entières à se lamenter parce que Kostos lui a brisé le cœur, qu’elle veut à tout prix l’oublier, mais qu’elle l’aime encore, et que Léo est absolument sublime, que mince elle n’a pas pensé à Kostos une journée et qu’elle commence à l’oublier, que Léo est talentueux au possible … et qui passe de « petite vierge grecque prude et effarouchée » à « jeune femme totalement décomplexée qui pose nue devant un illustre inconnu et qui se jette sur lui pour l’embrasser à pleine bouche ». De l’autre nous avons Tibby qui, suite à une frayeur que je reconnais compréhensible à son âge, décrète soudainement qu’elle ne veut plus de l’amour fidèle et inconditionnel de ce brave Brian, qui lui jette des horreurs à la figure et qui va même jusqu’à affirmer à Effie qu’elle n’en a absolument plus rien à faire de lui, mais qui deux minutes après se lamentent parce qu’elle a laissé filé l’amour de sa vie et qu’elle est jalouse d’Effie qui a saisi sa chance et qui n’hésite pas à mettre une de ses meilleures amies en porte à faux vis-à-vis de sa propre sœur. Sans oublier Bridget qui ne cesse de rappeler à qui veut bien l’entendre qu’elle est désormais « une fille avec un petite amie » mais qui ne met pas deux secondes avant de loucher sur un nouveau mec tout aussi inaccessible que l’était Eric quelques années plus tôt, mais qui ose encore prétendre qu’elle a appris de ses erreurs en ayant eu le cœur brisé … Que du mélodrame, et parmi les plus insupportables en plus !

En bref, vous l’aurez bien compris, même si cela me coute de l’admettre car c’est vraiment une saga qui compte beaucoup pour moi … ce tome n’est clairement pas à la hauteur des précédents et m’a plus déçue qu’autre chose. C’est un peu comme quand on a plus assez de peinture pour terminer la toile : on étire, on étale tant et si bien que dans les derniers traits, la couleur est toute pâlichonne, toute fade, toute délavée. A vouloir faire trainer l’histoire en longueur pour remplir coute que coute un quatrième opus, l’autrice n’a fait qu’affadir l’intrigue, que délaver la personnalité même de ses personnages. Les filles ayant grandi et muri, la logique aurait voulu que l’histoire gagne en profondeur, mais c’est vraiment tout le contraire qui s’est produit : alors que les tomes précédents abordaient des thématiques sérieuses et réfléchies, nous sombrons ici dans la superficialité et la frivolité les plus niaises qui soient. Tout ce qui avait été acquis auparavant semble balayé d’un revers négligeant de la main : régressons donc allégrement pour mieux combler le vide, pour remplir page après page d’atermoiements grandiloquents et dignes des plus grandes tragédies grecques ! Ce que j’aime dans cette saga, c’est certes cette légèreté très estivale, cette douce amitié qui permet aux quatre filles de surmonter toutes les épreuves, mais c’est également les moments plus tristes, plus douloureux, les moments qui tirent les larmes aux yeux, qui serrent la gorge. C’est en somme l’équilibre dont ce tome est totalement dénué : tout au plus ici, on se dit qu’il « vaut mieux en rire qu’en pleurer », même si ça m’a plutôt attristé de voir le carnage, les filles valent et méritent mieux que cela. Heureusement, il me semble que le « tome suivant » rattrape le coup !