samedi 29 octobre 2022

Frère noir, noir de frère - Jewell Parker Rhodes

Frère noir, noir de frère, Jewell Parker Rhodes

 Editeur : Hachette

Nombre de pages : 243

Résumé : Donte, douze ans, aimerait parfois être invisible. Disparaître loin de son école. Loin d’Alan, le «  Roi  » du club d’escrime, qui le harcèle. Loin des professeurs et du directeur qui l’accusent en permanence, en raison de sa couleur de peau. Et ce, bien qu’il soit innocent. Après une énième accusation, Donte est embarqué par la police. Effrayé et apeuré, le jeune garçon ne sait plus vers qui se tourner. Même son frère Trey, plus clair de peau que lui, ne trouve pas les mots pour l’aider. À la recherche d’un endroit où il aurait enfin sa place, Donte finit par rejoindre un club d’escrime, bien loin de celui de son école privée. Il est bien décidé à montrer à Alan et aux autres que, lui aussi, mérite le respect.

 

- Un petit extrait -

« En sport, c'est toujours moi qu'on siffle pour des fautes que je n'ai pas commises. Mais jamais personne ne se fait siffler quand je suis victime d'une faute. Tout le monde me harcèle. Les profs. Les élèves. Je suis poursuivi par des murmures, des cris. On dirait toujours que quelqu'un a quelque chose de mal à me dire : "Tu t'habilles comme une racaille." "Tes dreadlocks sont moches." Les filles se moquent de moi, me montrent du doigt. "Pourquoi tu ne peux pas être comme ton frère ?" "Il arrive à te trouver dans le noir ?" C'est blessant.»

- Mon avis sur le livre -

 Mon 2022. Un petit garçon de sept ans, en pleurs parce qu'un camarade l'avait bousculé, se fait menotté et embarqué par la police pour ne pas s'être calmé quand son professeur le lui a demandé, pour l'unique et "simple" raison qu'il est noir de peau (et que, « bien évidemment », cela le rend « dangereux » pour la communauté). Une scène tellement incongrue qu’on ne sait pas trop si on doit en rire ou en pleurer : on se dit que c’est forcément une caméra cachée, que cela ne peut pas être la réalité. Qu’un directeur d’école n’a pas appelé la police parce qu’un enfant refuse d’arrêter de pleurer. Que la police ne s’est pas effectivement déplacée pour arrêter ce pauvre gamin sanglotant. Et pourtant … pourtant c’est la vérité. Aujourd’hui encore, aux Etats-Unis, il suffit d’avoir la peau « trop sombre » pour être considéré dès le plus jeune âge comme un « délinquant en puissance », à envoyer au tribunal pour mineurs pour « troubles à l’ordre public » à chaque fois qu’un camarade de classe envoie son stylo sur un autre, car, « forcément », le coupable ne peut être que l’enfant racisé …

Cette réalité, aussi incroyable et effroyable soit-elle, Donte la connait bien : il la subit chaque jour. Dans son école privée, son frère Trey (qui a hérité de la blancheur de peau des ancêtres nordiques de leur père) est aimé de tous, élèves comme enseignants, tandis que lui, aussi noir que sa mère et sa famille africaine, est trainé dans le bureau du directeur à la moindre erreur dans son exercice de mathématiques ou au moindre éternuement lâché dans l’étage. Jour après jour, on lui balance des moqueries ou des injures à la figure, jusqu’au jour où il termine au poste de police. A douze ans. Parce que son casier, son propre casier, a été saccagé, ses livres déchirés. Parce que quelqu’un, quelque part dans l’établissement, a renversé sa chaise. Parce qu’il est le seul élève noir du collège. Parce qu’il a tiré des « mauvais » gènes à la loterie de sa conception. « Pourquoi n’es-tu pas plus comme ton frère ? », lui jette-t-on souvent à la figure (du moins pour ceux qui sont prêts à reconnaitre que Trey est effectivement son frère). Comme s’il avait choisi d’être lui … Donte donnerait n’importe quoi pour ne pas être lui. Jusqu’au jour où il rencontre « Coach », ancien champion olympique d’escrime reconverti en animateur de loisirs. Et si, finalement, être lui était justement ce dont il avait besoin pour faire changer les choses, en battant Alan le harceleur sur son propre terrain ?

Au premier abord, il faut bien le reconnaitre, c’est une histoire tout ce qu’il y a de plus classique, pour ne pas dire de plus banale : des histoires de gosses harcelés qui se découvrent une passion et surtout un talent naturel pour un sport et qui prend sa revanche en surpassant tous ses harceleurs, il y en a pléthore. A croire que tous les gamins mis à l’écart sont forcément des petits génies du sport qui s’ignorent : je ne nie pas qu’il y en a sans doute, mais en faire une telle généralité est loin d’être une bonne idée selon moi. A la fois parce que cela manque de réalisme … et parce que ça peut finir par représenter une pression et une « déception » supplémentaire pour tous ces gamins harcelés « normaux » qui ne trouvent jamais cette espèce de révélation quasi-mystique de leur « super pouvoir », et qui sombrent donc un peu plus dans la dévalorisation d’eux-mêmes. De plus, il faut bien l’avouer, il y a quelque chose de particulièrement improbable dans le fait que Donte rencontre pile au bon moment au bon endroit un ancien athlète qui accepte de l’entrainer sans même le connaitre : c’est une « surprenante » et formidable coïncidence, vous ne trouvez pas ? Et en plus, il y a une jolie fille tout aussi douée que lui dans le même club, c’est vraiment incroyable ! Question originalité et complexité de l’intrigue, on repassera …. 

Mais cela ne m’a pas empêché de passer un très agréable moment de lecture, et d’apprécier ce petit roman bourré de bonnes valeurs. Il ne se contente ainsi pas de valoriser le respect et l’égalité ou encore la lutte contre les injustices et les discriminations, il appelle aussi et surtout à l’estime et à l’amour de soi-même, à la persévérance, à la reconnaissance de nos forces et à l’indulgence envers nos limites et nos fautes passées. Comment voulez-vous être tolérant avec les autres si vous ne l’êtes pas avant tout avec vous-mêmes ? Comment voulez-vous être bienveillant envers les autres ni vous ne l’êtes pas en premier lieu avec vous-mêmes ? Cela peut sembler « évident » pour ceux qui se sentent bien dans leur peau et leur tête, mais pour ceux qui sont plus fragiles, c’est loin d’être aussi facile : cela demande un immense effort pour changer de perspective, de vision. J’ai sans aucun doute plus apprécié encore la relation entre Donte et Trey : qu’ils sont beaux, ces deux frères, inséparables, toujours là l’un pour l’autre, chacun se faisant le reflet et la béquille de l’autre, chacun sachant s’effacer devant la réussite de l’autre sans aucune trace de jalousie ou de compétition. J’ai également beaucoup aimé le fait que, finalement, la revanche, la vengeance, ne soit plus le seul vrai objectif de Donte : celui qu’il cherche à vaincre n’est pas seulement Alan ou l’Injustice, c’est avant tout lui-même. C’est avant tout à lui-même qu’il a besoin de prouver quelque chose, et c’est bien en cela qu’il est vainqueur, parce qu’il a su dépasser la simple soif de revanche ou de victoire.

En bref, vous l’aurez bien compris : même si ce roman ne sort pas forcément des sentiers battus, même s’il reprend une intrigue déjà maintes et maintes fois exploitée par des dizaines et des dizaines de livres, films et séries, il n’en reste pas moins un récit puissant et bouleversant, qui tire d’une certaine façon sa force de sa simplicité et de sa « banalité ». Il pointe du doigt sans sourciller une vérité qu’on aimerait bien garder bien cachée, car nous sommes si fier de notre « société inclusive et égalitaire », parce que c’est bien plus facile de se convaincre que ça y est, le combat est terminé, qu’on est désormais des gens bien civilisés … Et c’est justement parce qu’on estime que « c’est fini » que les injustices continuent à gagner du terrain, que le mépris continue à être la norme et que ce sont toujours les mêmes qui souffrent, souvent en silence, parce que le petit gamin de l’introduction vous le dira bien : quand on est différent, même pleurer peut devenir un crime. Passible d’arrestation. De condamnation. Même souffrir fait de vous un criminel. Comme diraient les anciens : dans quel monde de fou vivons-nous ?

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