samedi 28 août 2021

La guerre des clans, hors-série : L'épreuve d'Etoile de Ronce - Erin Hunter

La Guerre des clans, Erin Hunter

Hors-série : L’épreuve d’Etoile de Ronce

 Editeur : Pocket Jeunesse (PKJ)

Nombre de pages : 536

Résumé : Au lendemain de la grande bataille, les tensions entre les différents Clans n'ont jamais été aussi fortes. Alors que les alliances se défont, Etoile de Ronce s'apprête à succéder à Étoile de Feu à la tête du Clan du Tonnerre. Mais il va devoir préparer son Clan, plus affaibli que jamais, à faire face à la nouvelle menace qui se profile à l'horizon...

 

 

 

- Un petit extrait -

« Chats de tous les clans. Nous ne devons pas être ingrats envers les défunts, et cela implique de sécuriser l'avenir commun des quatre clans. En temps de paix, nous nous débrouillons seuls, nous chassons seuls, nous nous battons les uns contre les autres pour des questions de frontière. Et, plus que cela, le Clan des Étoiles nous a montré qu'il doit toujours y avoir quatre clans près du lac et qu'en temps de troubles les frontières ne veulent plus rien dire. Je souhaite ajouter une nouvelle règle au code du guerrier : que chaque clan ait le droit d'être fier et indépendant mais que, en temps de guerre, tous doivent oublier leurs frontières et se battre côte à côte pour protéger l'intégrité des quatre. Chaque clan doit aider les autres, de manière à ce qu'aucun d'eux ne disparaisse jamais. »

- Mon avis sur le livre -

 J’ai toujours détesté les changements, les bouleversements … et c’est d’ailleurs ce que je trouvais si « rassurant » dans La guerre des clans : les intrigues avaient beau se succéder, les personnages principaux avaient beau varier au fil des générations, il y avait tout de même cette sorte de permanence, de persistance. D’immuabilité, d’une certaine façon. Et cela tenait à la seule présence de tous ces chats rencontrés au cours du premier cycle : Etoile de Feu, bien évidemment, mais aussi Plume Grise, Tempête de Sable, Pelage de Poussière … Que des noms familiers, des présences « stabilisantes », en quelque sorte. Mais toutes les meilleures choses ont une fin, et arrive un moment où il faut dire adieu à tous ces chats qui accompagnent le lecteur depuis le tout premier tome de la saga. Même si c’est un pur crève-cœur et qu’on aimerait tant que la fin du quatrième cycle ne soit pas ce qu’elle est, qu’on aimerait tant pouvoir tout effacer pour tout réécrire autrement. Mais ce n’est pas possible, et il faut donc aller de l’avant … Et pour cela, les autrices nous propose cet hors-série, en guise de transition, pour nous aider à accepter la fin d’une ère et le début de la suivante.

Au lendemain de la Grande Bataille contre les cruels guerriers de la Forêt Sombre, les quatre Clans pleurent et honorent leurs morts et leurs ancêtres, ruminent et ressassent leurs peines et leurs rancœurs. L’heure n’est plus à l’unité mais au repli sur soi : jamais les tensions n’ont été aussi fortes, aussi tenaces … Mais Etoile de Ronce, le nouveau chef du Clan du Tonnerre, a bien d’autres préoccupations : les siens sont affaiblis, meurtris par les derniers événements. Tandis qu’il se demande comment être à la hauteur de son prédécesseur, comment être digne de cette responsabilité qui est désormais la sienne, Etoile de Feu lui apparait justement en songe et lui transmet une prophétie obscure. Et voici que les nuages se déchainent et déversent un déluge tel que les chats n’en ont jamais vu, voici que l’eau du lac monte tant et si bien que tous les Clans sont obligés d’évacuer en catastrophe leur camp. Dans cette désolation, Etoile de Ronce trouvera-t-il en lui-même la force de devenir le meneur dont les siens ont désespérément besoin ?

Transition, disais-je donc … Et plus particulièrement, transmission. Etoile de Feu n’est plus, et c’est désormais au tour d’Etoile de Ronce de veiller sur le Clan du Tonnerre, de le guider et le protéger. Mais il est difficile de passer après un chef aussi inoubliable que le rouquin : notre pauvre Etoile de Ronce ne se sent pas à la hauteur de cette tâche. Il ne cesse de se demander ce qu’Etoile de Feu aurait fait à sa place, dans cette situation, il ne cesse de se comparer à celui qui fut son mentor, son modèle. Lui qui a toujours semblé si sûr de lui ne cesse désormais de douter de lui-même et de ses décisions. J’ai vraiment eu beaucoup de peine pour lui, car nous partageons finalement la même douleur, la même perte, le même vide au fond du cœur. C’est aussi difficile pour nous de le voir à la tête du Clan du Tonnerre à la place d’Etoile de Feu que pour lui d’assumer cette lourde responsabilité de mener et protéger ce Clan fortement éprouvé après cette Grande Bataille … Car les dégâts et les blessures ne sont pas que physiques : les traces du conflit disparaitront progressivement de la forêt, et les cicatrices se refermeront à force de soin, mais les maux du cœur et de l’âme mettront bien plus de temps avant de s’estomper.

En effet, Etoile de Feu est loin d’être le seul à peiner dans ce hors-série. Nous retrouvons également les Trois, qui ont perdu tous leurs pouvoirs suite à la Grande Bataille : Aile de Colombe a le sentiment d’être sourde et aveugle, et donc parfaitement inutile, Pelage de Lion a encore du mal à assimiler le fait qu’il n’est désormais plus invulnérable et ne doit donc pas prendre de risques inconsidérés s’il ne veut pas être blessé, et Œil de Geai doit s’habituer à ne plus ressentir les douleurs et les émotions de ses camarades qui ont besoin de ses talents de guérisseur. Difficile de redevenir « des chats normaux » après avoir été « exceptionnels » aussi longtemps : ils doivent apprendre à servir les leurs d’une façon plus « banale », reprendre confiance en eux autrement. Et plus globalement, c’est le Clan du Tonnerre tout entier, et même les quatre Clans finalement, qui doivent faire leur deuil. Car chacun a perdu quelqu’un lors de la Grande Bataille … C’est donc vraiment un hors-série centré avant tout sur la difficulté à aller de l'avant sans jamais oublier, à prendre des décisions difficiles et discutées, à faire face à ses responsabilités nouvelles, à avoir le courage de faire ce qui nous semble être juste quoi que peuvent en dire les autres.

Ce qui n’empêche pas à l’action d’y tenir une place de choix ! Car un danger terrible menace les Clans déjà bien affaiblis : le lac, qui était complétement asséché il y a quelques lunes à peine (au début du quatrième cycle), déborde ! Et voici qu’il inonde complétement la forêt, obligeant chaque Clan à évacuer précipitamment son camp, à trouver un nouvel abri pour permettre aux plus faibles d’être au chaud et au sec, en sécurité. Un danger bien plus « palpable » que celui qui planait subtilement dans le quatrième cycle … et du coup, c’est la panique assurée. Exténués, effrayés, les chats sont sur les nerfs, et on sent qu’il suffirait d’un petit rien pour déclencher une nouvelle échauffourée. Comme si la situation n’était pas assez difficile comme cela – il pleut tant et si bien que trouver de la mousse sèche pour garnir les tanières relève de l’impossible, et le gibier est soit noyé soit réfugié bien loin du lac et du territoire du Clan, le froid et l’humidité menace de rendre les plus fragiles malades –, voilà que les Clans se réfugient derrière leur fierté et refusent catégoriquement la patte tendue, allant même jusqu’à proférer des menaces à l’encontre de ceux qui veulent les aider ! C’est un récit vraiment riche en tension, on est toujours sur le qui-vive, on a le cœur qui bat à cent à l’heure …

En bref, vous l’aurez bien compris, c’est encore une fois un très bon hors-série. Je dois bien avouer qu’au début, pourtant, je n’étais pas particulièrement convaincue : je me demandais vraiment à quoi il allait bien pouvoir servir au sein de l’intrigue globale de la saga, ce qu’il allait apporter à l’histoire des Clans, car si une inondation est un événement tragique, catastrophique, ça n’en reste pas moins anecdotique comparé au reste de la saga. Mais je pense qu’il faut vraiment voir cet hors-série comme une transition : une ère vient de s’achever, brutalement, et une autre va s’ouvrir. Il faut aider le lecteur à panser ses plaies, l’aider à accepter l’inacceptable pour lui permettre de continuer plus sereinement la saga après ce cataclysme émotionnel auquel rien ne pouvait le préparer. Délicatement, cet hors-série referme donc tout une époque et ouvre doucement la voie à la suite, une suite dont on ne devine absolument rien mais qu’on est désormais bien plus « disposés » à accueillir. C’est aussi une lueur d’espoir, la preuve que les Clans peuvent toujours se redresser même après les plus terribles épreuves, la preuve que la vie est toujours plus forte que la mort et la peine. C’est puissant, émouvant, palpitant, bref, c’est excellent !

samedi 21 août 2021

L'adieu à Camille - Guy-Roger Duvert

L’adieu à Camille, Guy-Roger Duvert

 Editeur : Autoédition

Nombre de pages : 270

Résumé : Installé depuis deux ans à la PJ de La Rochelle, le capitaine Gabriel Podilsky gère son deuil aussi bien que possible, ayant préféré s’aider de récentes technologies révolutionnaires là où d’autres se laissent tomber dans la dépression ou dans l’alcoolisme. Lorsqu’on l’envoie enquêter sur la mort d’une actrice hollywoodienne venue tourner un long métrage international sur l’Île d’Aix, il n’est pas surpris d’y trouver des histoires de sexe, de drogue, de pouvoir et d’argent. Il l’est déjà beaucoup plus en découvrant que la même technologie dont il profite s’avère possiblement liée au meurtre …

 Un grand merci à Guy-Roger Duvert pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« - Merci beaucoup, Mesdames.

- Pas de problème, Inspecteur. Officier ? Faut vous appeler comment, au fait ?

- Poliment.  »

- Mon avis sur le livre -

 Alors même que j’ai finalement été obligée de prendre la (dure) décision de ne plus demander ou accepter de nouveaux services de presse pendant une durée indéterminée, mes troubles anxieux étant plus vivaces que jamais et la pression des dates de traitement pesant bien trop lourdement pour que je puisse continuer ainsi sans m’effondrer, je n’ai cependant pas pu me résoudre à laisser de côté le petit dernier de Guy-Roger Duvert … On va dire que c’est une exception qui confirme la règle ! Et c’est ainsi qu’à peine Les chroniques occultes lues et chroniquées, j’ai reçu dans ma boite aux lettres L’adieu à Camille : quand y en a plus, y en a encore ! Et même sans avoir lu le résumé – avec Guy-Roger, je sais désormais que je peux me « permettre » d’y aller les yeux fermés, de me laisser embarquer sans savoir dans quoi je mets les pieds, je sais que je ne serai jamais déçue – je sentais bien que l’ambiance allait être fort différente de ses récits précédents : de quoi titiller ma curiosité ! Et même si l’adage « chassez le naturel, il revient au grand galop » est particulièrement juste chez lui, puisqu’il ne peut visiblement pas s’empêcher de glisser une petite touche de futurisme un petit peu partout, mon intuition était la bonne : on est vraiment dans quelque chose de tout à fait nouveau pour lui, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est aussi bon en polar qu’en planet-opera !

« Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé » … Ces quelques mots de Lamartine, associés aux progrès fulgurants des recherches sur l’intelligence artificielle, ont donné naissance à la technologie Alter permettant de palier à la perte d’un être cher ou bien à la simple solitude. Il suffit désormais d’un simple implant cérébral pour permettre d’interagir à nouveau avec l’être aimé décédé ou l’ami créé de toutes pièces … C’est grâce à cette technologie que Camille, décédée trois ans auparavant, continue d’accompagner le capitaine Gabriel Podilsky dans toutes ses enquêtes, quand bien même l’utilisation des implants Alter est théoriquement interdite durant le service. Lorsqu’il est envoyé sur la petite île d’Aix, reconvertie en plateau de tournage pour un film historique, afin d’élucider les causes de la mort d’une célèbre active hollywoodienne ayant fait l’objet d’un véritable scandale médiatique quelques temps auparavant, il s’attend à croiser le traditionnel quatuor « sexe, drogue, gloire, argent » et à ce que l’affaire soit rondement menée. Mais tandis que les meurtres et tentatives de meurtres se multiplient sur l’île, certains éléments le poussent à envisager l’implication d’un Alter dans l’équation ...

Il semblerait que Guy-Roger Duvert ait voulu rendre hommage à son « autre monde » en plongeant le lecteur sur un plateau de tournage : c’est bien sur une petite île choisie comme décor pour une grosse production hollywoodienne que se déroule ce polar pas tout à fait comme les autres ! Il y a donc cette petite ambiance de huis-clos à la Agatha Christie qui s’entremêle avec celle, tumultueuse et fantasque, du monde du cinéma : une association surprenante mais drôlement efficace ! D’autant plus qu’on s’en doute bien, l’enquête de ce brave Gabriel – dont j’ai apprécié le côté un peu « bourru » et cynique, même s’il est parfois bien trop … bourrin à mes yeux d’hypersensible – ne va pas être aussi évidente qu’elle n’en a l’air au premier abord. En effet, à première vue, tout semble le pousser sur la piste d’un bain de minuit qui a mal tourné : des falaises abruptes, une actrice réputée pour se droguer retrouvée morte sur la plage … Mais il n’y aurait pas d’histoire si les choses étaient aussi simples que cela ! Et pour tout dire, tout semble au contraire de plus en plus compliqué à chaque nouvel interrogatoire et découverte : petit à petit, le nombre de suspects augmente de façon exponentielle, tandis que le nombre de mobiles se multiplie comme jamais. Est-ce une histoire de cœur brisé et de vengeance, de jalousie et de possessivité, ou bien une magouille pour évincer une actrice devenue trop gênante au profit d’une autre jusqu’alors habituée à l’ombre des petits rôles ?

L’intrigue, et donc l’enquête, tient en cinq jours : c’est peu, très peu, trop peu sûrement (j’y reviendrais plus tard), mais cela a au moins l’avantage d’instaurer un rythme absolument trépidant. Il n’y a aucun temps mort : Gabriel, son coéquipier « physique » et sa collègue « virtuelle » courent d’un bout à l’autre de l’île pour tenter d’interroger tout ce beau petit monde sans perturber plus que nécessaire le tournage qui a déjà pris beaucoup de retard. Et le temps presse : contre toutes attentes, il semblerait qu’ils soient en réalité sur la piste d’un tueur en série … Toutes leurs théories s’effondrent à chaque fois qu’un nouveau meurtre vient briser la série de constantes : comment vont-ils parvenir à démasquer le meurtrier s’ils ne parviennent même pas à comprendre sa logique ? Comment vont-ils réussir à l’empêcher de sévir à nouveau s’ils ne peuvent pas deviner qui sera sa prochaine cible ? Petit à petit, une sorte de compte à rebours s’enclenche, une véritable course contre la montre s’entame. Et clairement, ça marche : on dévore chaque chapitre, la gorge un peu plus nouée à chaque fois, de peur qu’une nouvelle victime ne soit découverte, tandis que notre esprit s’efforce de tourner dans tous les sens les quelques certitudes et indices à sa disposition pour tenter de découvrir qui est le coupable. On aimerait comprendre avant le capitaine … mais peine perdue.

Car c’est finalement le seul petit point « noir » que je peux « reprocher » à ce roman, le seul élément qui me fait dire que ce n’est assurément pas le meilleur de Guy-Roger Duvert : le dénouement. Trop rapide, précipité … et un peu tiré par les cheveux. J’ai bien conscience que tout était fait pour nous mener sur une fausse piste pour mieux nous surprendre le moment venu, mais cela donne plutôt le sentiment que l’enquête (et donc l’histoire) est partie dans tous les sens pour finalement pas grand-chose, et c’est un petit peu dommage de nous avoir « appâté » avec cette technologie pour qu’elle ne soit finalement que si peu exploitée … Tant et si bien qu’on a quelque peu du mal à comprendre le bien-fondé du titre : bien sûr, on peut très vaguement discerner une petite pointe de réflexion chez Gabriel concernant cette fameuse technologie, mais rien de suffisamment poussé pour justifier ce titre. Cela me chagrine d’autant plus que, jusqu’à présent, l’auteur m’avait justement habitué à la présence d’une véritable réflexion sur les avantages et les inconvénients des avancées technologiques mises en œuvre dans ses univers futuristes, des avancées qui ne sont pas si éloignées de ce que nous tentons d’ores et déjà de créer en s’imaginant « améliorer » notre mode de vie … La résolution de l’enquête est surprenante, certes, et on comprend bien en quoi l’existence de cette technologie nous a induit, ainsi que les enquêteurs eux-mêmes, en erreur, mais c’est justement un peu dommage qu’elle n’ait servi qu’à cela … Mais cela ne gâche rien au plaisir de lecture, heureusement !

En bref, vous l’aurez bien compris,  même si ce n’est clairement pas mon roman préféré de Guy-Roger Duvert, ça reste un petit polar « subtilement futuriste » fort sympathique, qui fait passer un bon moment de lecture. Il est vrai que les adeptes du roman policier « pur et dur » resteront sans doute un peu sur leur fin face au dénouement un tantinet trop rapide et facile, et que les amoureux de la science-fiction « bien carabinée » grimaceront face au peu d’importance de cette technologie futuriste, mais pour un lecteur « éclectique » qui aime un peu tous les genres, ce roman est vraiment idéal ! J’ai énormément apprécié de faire une incursion dans le monde du cinéma, d’en apprendre un peu plus sur la réalité des tournages, sur la complexité des tournages également, sur le travail de toutes ces petites mains de l’ombre sans qui aucun film ne verrait le jour, véritable petite armée de fourmis courageuses qui courent dans tous les sens pour veiller au bon déroulement de cette incroyable machine qu’est le cinéma. Cela confère vraiment une ambiance assez unique à ce polar ! Ajoutez à cela le caractère plutôt haut en couleur de notre héros et narrateur, avec son cynisme à toute épreuve, et vous comprendrez que c’est un roman policier que j’ai pris grand plaisir à lire !

samedi 14 août 2021

Les enfants des Feuillantines - Célia Garino

Les enfants des Feuillantines, Célia Garino

 Editeur : Sarbacane

Nombre de pages : 468

Résumé : Bienvenue aux Feuillantines. Nous sommes dans une maison normande, secouée par les vents et surtout par ses habitants : la famille Mortemer. L'aînée des Mortemer, c'est Désirée. Elle a 24 and et sept enfants à sa charge. Dans cette maison, il y a : un perroquet malpoli, des tunnels à creuser, un cochon, des additions ratées, un piano désaccordé, un lapin mollasson, une grand-mère en fauteuil... Bref, aux Feuillantines, il y a cette famille qui ne demande qu'à être aimée, et que toi, lecteur, lectrice, vas rencontrer.

 

- Un petit extrait -

« Elle se rassit et se mit à faire le point. Certes, sa situation était triste ; éprouvante. Les triplées éparpillées entre ciel et terre, la famille mutilée, les enfants orphelins et blessés. Mais, en observant la joyeuse tablée unie dévorant les frites dégoulinantes d'huile et se battant à coups de ketchup - Mais arrête Pernelle ça tache ! - elle se rendit compte que, oui, elle aimait cette situation comme elle était. Elle aimait être la mère par intérim de tous ces petits Enfants Perdus.  »

- Mon avis sur le livre -

 En 2018, j’avais acheté environ 150 livres. En 2020, seuls 30 livres ont rejoint les étagères de mes bibliothèques (sans compter les cadeaux et services presse) … Comment expliquer cette baisse drastique des achats ? Contrairement à ce qu’on pourrait penser, non, ce n’est pas la faute de la pandémie si j’achète beaucoup moins qu’avant. La preuve, c’est qu’en 2019, la baisse était déjà fort significative, avec environ 40 achats seulement ! L’explication est finalement fort simple : poussée par l’envie de prouver que j’étais capable d’être raisonnable et de gérer correctement mon budget, j’ai décidé d’y réfléchir à plusieurs fois avant d’acheter un livre sur un coup de tête. Terminés, les achats systématiques en passant dans une librairie ou un rayon culture de supermarché ! Mais pour tout avouer, même si je m’en sors fort honorablement, cette restriction me pèse : à chaque fois que je pense à toutes ces potentielles merveilleuses lectures qui me sont passées sous le nez, j’ai envie de pleurer ! Heureusement, certaines de mes amies sont là pour m’offrir quelques pépites que je n’aurai jamais pu découvrir sans elles !

Au début de l’histoire, il y avait trois sœurs, des triplées. Les triplées Mortemer, élevées par leur grand-mère Granny, aussi rêveuses les unes que les autres. Avant de se jeter du haut de la falaise, le cœur brisé par une tragique histoire d’amour, Isabella a donné naissance à Désirée et Brunehilde. Avant de disparaitre on ne sait trop où, Wilhelmina ramena de ses voyages les jumeaux Honoré et Isidore, puis la petite Callie. Enfin, avant d’être internée à l’hôpital psychiatrique du coin, Rosemonde avait eu Hermeline, Warren et petite Pernelle, de trois pères différents. Au fil des années, c’est donc Désirée, vingt-cinq ans, qui est devenue la tutrice légale de toute cette petite tribu de cousins âgés de 2 à 16 ans. Elle s’occupe également de Granny, leur arrière-grand-mère plus que centenaire, de Justin le « terrible » cochon nain (qui attaqua sur demande son ex-petit-copain), de Pirate le perroquet accro aux injures, sans oublier Fricassé le lapin bélier, qui ferait mieux de cesser de grignoter les fils de la télévision s’il ne veut pas voir son nom devenir réalité ...

Les familles dysfonctionnelles sont à la mode dans la littérature jeunesse, ces dernières années : ça pullule de partout, ça surenchérit d’extravagance et d’excentricité jusqu’à perde toute notion de vraisemblance … Et si Les enfants des Feuillantines s’inscrit dans cette mouvance, nous sommes bien loin de cette surabondance de situations farfelues qui peut parfois desservir ce genre. Bien sûr, la famille Mortemer est indiscutablement une drôle de famille, qui accumule les petits et gros tracas, mais on reste finalement dans des situations parfaitement « plausibles » : une maman qui se suicide, une autre qui prend le large, une dernière qui souffre de troubles psychiatriques, il n’y a rien de farfelu dans tout cela. Juste les dures réalités de la vie. La malchance de la famille Mortemer, c’est que ces trois mamans étaient triplées et laissent derrière elle toute une tripotée de gamins esseulés et perturbés … Mais quand on y regarde bien, malgré tout, cette petite tribu n’est pas si malheureuse que cela : ils ont eu la chance de ne pas être séparés, et au contraire d’être placés sous la tutelle de leur cousine Désirée. Bien des enfants n’ont pas cette chance et se retrouvent en foyer, entourés d’illustres inconnus, alors que leur frère ou leur sœur est en famille d’accueil, avec autant d’illustres inconnus !

Plus que dysfonctionnelle, cette famille est finalement absolument déjantée et délurée : quand on passe la porte de la maison des Feuillantines, on a le sentiment d’entrer dans un asile de fou. Ici, le cochon de la famille est en train de grignoter une paire de chaussure, dans l’indifférence générale. Là, l’ainée tente de faire entrer les tables de multiplications dans le cerveau ralenti de son cousin, tout en surveillant l’avancée du repas, que chacun des « grands » prépare à son tour. Ici, une petite fille tente de creuser un immense tunnel pour rejoindre la Californie, où se cache peut-être sa maman. Là, un adolescent se fait passer pour sa cousine sur des sites de rencontre, dans l’espoir de leur trouver à tous un papa. Dans ce véritable roman-choral, nous suivons tour à tout chaque membre de cette drôle de famille recomposée, et tout ceci forme un formidable kaléidoscope qui nous fait tournoyer la tête et le cœur. Car comment ne pas tomber sous le charme de ces gamins, aussi attachants les uns que les autres ? Alors bien sûr, chaque lecteur se retrouvera plus ou moins dans tel ou tel enfant, mais une chose est sûre et certaine : aucun ne le laissera indifférent.

Comment l’être, face au « grand projet » de la petite Calliope, princesse pirate armée de sa cuillère en guise de pelle ? Comment l’être, face au mal-être de la jeune Brunehilde qui n’a trouvé que la violence pour s’exprimer ? Comment l’être, face au désir impérieux d’Honoré de se distinguer de la masse de ses frères, sœurs, cousins et cousines ? Comment l’être, face au petit Warren, si doux et si lent, si sensible et si insouciant ? Comment l’être, face l’innocence enfantine de la toute petite Pernelle ? Comment l’être, face à la rage plus ou moins contenue d’Hermeline la pianiste ? Comment l’être, face au désarroi d’Isidore qui oscille entre colère et espoir ? Comment l’être, enfin, face à l’abnégation de la jeune Désirée, qui se retrouve mère par intérim d’autant de gamins cabossés par la vie, mais qui n’a personne sur qui s’appuyer ? Ils sont touchant, tous ces enfants, plus ou moins grands, et on se sent vraiment privilégiés d’avoir l’honneur de les accompagner pendant quelques centaines de pages. De les voir cheminer dans la vie, faire face aux petites vaguelettes et aux grands tsunamis. D’être spectateur de cet amour infini qui les unit, eux les « petits Mortemer », que tantôt on plaint, tantôt on craint.

En bref, je pense qu’il est inutile d’en dire plus, vous l’aurez bien compris : ce fut un formidable, un incroyable coup de cœur. J’ai beaucoup aimé la douceur qui se dégage de ce récit : alors même que leur situation familiale est complexe et tragique, alors même que la petite Brunehilde subit du harcèlement scolaire (et en fait subir à un autre élève), alors même que le jeune Honoré se brouille avec ses amis dans sa quête de gloire, alors même que le petit Warren se met à dériver progressivement vers une forme de folie, alors même que la brave Désirée se sent parfois au bord de la rupture … C’est un roman tout empli de tendresse et de légèreté, avec un humour délicat qui ne vient pas effacer la dure réalité qui se cache derrière cette situation rocambolesque, mais vient au contraire l’exposer sans pathos indésirable. La vie aux Feuillantines n’est pas rose tous les jours, mais elle n’est pas noire non plus : elle est tel un arc-en-ciel, un improbable mais joyeux mélange de couleurs. L’histoire n’a rien de particulièrement palpitante, c’est juste un délicat tableau de cette petite famille pas tout à fait comme les autres … une famille que j’ai, personnellement, bien du mal à quitter. Leur dire au revoir, c’est dur, car on se sent bien avec eux. C’est vraiment un très beau roman, à découvrir et faire découvrir, à offrir et à s’offrir !