mercredi 31 mars 2021

La voie des oracles, tome 2 : Enoch - Estelle Faye

La voie des oracles2, Estelle Faye

Enoch

 Editeur : Scrineo

Nombre de pages : 333

Résumé : Poursuivis par les hommes d’Aedon, Thya, Enoch et Aylus fuient dans les terres barbares… Sur les routes, les trois acolytes vont découvrir un monde très divers, coloré, fabuleux, où des magies et des mystiques plusieurs fois centenaires côtoient des aspirations farouches à la liberté. Un monde plus vaste et plus étrange que tout ce qu’ils auraient pu imaginer. Au cours de ce nouveau voyage, Thya et Enoch vont à nouveau être mis à l’épreuve, et se révéler, ou se perdre…. Avec, en fond, la menace grandissante d’Aedon, soutenu cette fois par un nouvel allié surnaturel…

 

- Un petit extrait -

« Les Étrusques sont un peuple courageux, et pourtant ils craignent des dieux dont ils ne parlent quasiment jamais, pour lesquels ils ne construisent pas de temple, et qui n'ont même pas de nom. Le seul matelot qui a accepté de m'instruire, après quelques carafes de vin, m'a dit qu'ils étaient partis loin vers l'est, là où il n'y a plus que du vide. Voilà des divinités bien terribles, pour qu'on tremble à leur évocation alors même qu'elles ne sont plus là. »

- Mon avis sur le livre -

 Je ne me fais absolument aucune illusion : mes fameuses « bonnes résolutions littéraires de 2021 », préparées avec soin et espoir, vont très assurément sombrer dans l’oubli dans quelques semaines, quelques mois tout au plus (si la motivation et la détermination sont au rendez-vous, ce qui n’est clairement pas gagné). C’est pourquoi j’ai décidé, en ce glacial mois de janvier, d’avancer le plus possible dans la réalisation de ces-dites résolutions littéraires, en particulier la plus importante à mes yeux : terminer mes dizaines de sagas en cours. C’est toujours un crève-cœur que de devoir, pour une raison ou pour une autre, mettre en pause la lecture d’une saga : pendant les mois, voire les années dans le pire des cas, de latence, mon petit cerveau ne cesse de s’agiter en se demandant ce qu’il arrive à tel ou tel personnage, comment va se conclure telle ou telle intrigue … Et le plus terrible, c’est que parfois, l’attente a été si longue que j’en avais presque oublié le début ! La voie des oracles a eu plus de chance que d’autres, vu que deux mois seulement ont séparés ma lecture du premier et du second opus ….

Nous retrouvons la jeune Thya, accompagnée de son cher et tendre Enoch et de son oncle Aylus, en cavale dans les forêts barbares de la Germanie : traqués par les mercenaires que le frère de la jeune femme, Aedon, a envoyé à leurs trousses, nos trois fugitifs cherchent à rejoindre une tribu Node … Mais rien ne se passe comme ils l’avaient prévu et espéré, ce qui est un comble quand on est oracle ! Il faut dire que la jeune femme hésite de plus en plus à utiliser ses dons de divinations : elle a défié le Temps, défié le Destin, et le prix à payer pour chacune de ses visions est de plus en plus lourd. Elle décide alors de se rendre à Constantinople, chez le frère de sa mère, qui saura sans doute lui en apprendre plus sur ces fameux Dieux Voilés qui ne cessent de la hanter dans ses cauchemars. Sans le savoir, sans le vouloir, Thya n’est qu’un pion, convoité par toutes les forces en présence : le Destin est en marche, mais toute la question est de savoir qui en tire les ficelles … et qui payera le prix fort de cette partie d’échec où se joue jusqu’à l’existence de l’univers …

A mes yeux, Estelle Faye est une équilibriste, une excellente équilibriste qui danse sur son fil en toute légèreté pour mieux nous ébahir, nous émerveiller, nous faire trembler et rêver tout à la fois : elle a su trouver dans ce second opus une harmonie parfaite entre lumière et obscurité. En effet, d’un côté, l’intrigue prend un tournant autrement plus sombre que dans le premier tome : c’est désormais Hécate, déesse de l’ombre, des morts et des cauchemars, qui tire les ficelles, qui dicte les règles du jeu. Ses « alliés dévoués » ne sont que des pantins entre ses mains, de minuscules rouages facilement interchangeables dans la grande machine de sa conspiration. On frissonne d’effroi à chaque fois qu’elle intervient, comme si elle se dressait devant nous drapée de son aura sombre. « L’homme se croit libre car il ignore les causes qui le déterminent », dit Spinoza … Rien de plus vrai ici : Aedon et Enoch, pour ne citer qu’eux, sont tant et si bien sous l’emprise de la divine manipulatrice qu’ils ne doutent pas un seul instant d’agir de leur plein gré … Si j’éprouve beaucoup de sympathie pour le jeune mage, je dois reconnaitre que je n’avais que faire du sort du cruel Romain, si avide de pouvoir et de vengeance, si empli de haine et de rancœur …

Il est surprenant, glaçant même, de constater que de son côté, sa sœur Thya emprunte doucement le même chemin : elle aussi a le cœur empli de chagrin, un chagrin si profond qu’il s’est changé en colère. Thya veut prendre sa revanche sur le Destin, veut s’émanciper de cette toile qui décide du sort des hommes. Et elle vise haut : ni plus ni moins que des Dieux si puissants et si effrayants que les hommes et les divinités ont préféré en effacer la mémoire. Thya veut être la seule maitresse de sa destinée, la seule et unique guide de sa vie. Mais Thya n’est qu’une humaine, certes déterminée et obstinée, mais qu’une humaine : que pèseront sa détermination et son obstination face à la puissance des Dieux qu’elle est venue défier ? Autre point très intéressant : Thya est d’autant plus humaine qu’elle perd progressivement son humanité. Elle est humaine non plus dans sa bonté mais bien dans son inclination pour la haine, la vengeance, la violence. C’est parce qu’elle n’est pas une héroïne sans faille à la droiture sans tâche que Thya est profondément humaine, et qu’on ne peut pas s’empêcher de trembler pour elle, de s’attacher à elle, alors même qu’on ne peut plus cautionner ses actes …

Noirceur, donc. Mais aussi, je vous le disais, lumière, paradoxalement. Cette lumière se cache dans la loyauté du petit Sylvain minuscule, ce petit esprit des bois prêt à tous les sacrifices pour sauver son « ami humain » : il y a dans cette amitié un peu naïve une pureté qui m’a parfois tiré les larmes aux yeux, une absoluité qui m’a fait chaud au cœur. Lumière également dans l’amour d’Aylus pour son fils, cet amour qu’il n’a jamais pu, jamais su lui montrer, mais qui enfle dans son cœur et dans son âme. Mais plus globalement, la lumière se situe selon moi dans le contexte même : il y a quelque chose d’admirablement rafraichissant dans cette époque en équilibre, elle aussi, entre deux ères. C’est la fin de quelque chose, oui, mais aussi le début d’une autre, comme une renaissance qui règne dans l’atmosphère. Comme si tout était possible. Il est triste de se rendre compte que pour insuffler un nouveau souffle, un nouvel élan de vie, il faut que l’ancien monde soit à bout de force. Il faut une mort pour redonner vie. Alors le lecteur espère, il espère de tout cœur que même si tout semble perdu, même si les ténèbres semblent avoir envahi le monde et les cœurs, quelque chose de lumineux en sortira …

En bref, vous l’aurez bien compris, c’est un excellent deuxième tome que nous offre l’autrice ! C’est un roman qui vous fait voyager, voyager dans les rues colorées d’une Constantinople en plein essor, dans les rues désolées d’une Rome qui perd de son éclat, sur la Route de la Soie, dans les forêts celtiques. Estelle Faye a une plume telle qu’elle vous fait oublier que tout ceci n’est qu’une histoire, qu’un roman : il vous suffit de fermer les yeux pour sentir le vent du désert, pour humer l’odeur de la terre des bois. Estelle Faye ne raconte pas, elle happe. Elle captive. Elle ensorcelle. Et surtout, elle vous surprend : le tournant pris par le dernier quart du récit, et plus encore celui des ultimes chapitres, je ne l’avais pas vu venir. Cela faisait partis des retournements de situation si incroyables que le lecteur ne peut même pas l’imaginer, l’envisager avant qu’il ne se produise. Et clairement, c’est réussi : l’envie de découvrir le troisième et ultime opus, de voir les conséquences de cette décision inattendue, n’en est que d’autant plus forte. Une chose est sûre et certaine dans cette nébuleuse d’inconnus : c’est assurément une trilogie que je conseille, elle est vraiment sublime et exceptionnelle !

samedi 27 mars 2021

Aristote et Dante découvrent les secrets de l'univers - Benjamin Alire Saenz

Aristote et Dante découvrent les secrets de l’univers, Benjamin Alire Saenz

 Editeur : Pocket Jeunesse (PKJ)

Nombre de pages : 359

Résumé : Ari, quinze ans, est un adolescent en colère, silencieux, dont le frère est en prison. Dante, lui, est un garçon expansif, drôle, sûr de lui. Ils n’ont a priori rien en commun. Pourtant ils nouent une profonde amitié, une de ces relations qui changent la vie à jamais… C’est donc l’un avec l’autre, et l’un pour l’autre, que les deux garçons vont partir en quête de leur identité et découvrir les secrets de l’univers.

 

 

- Un petit extrait -

« Je n'ai pas entendu un mot car, alors que j'observais le vaste univers, il s'est passé quelque chose en moi. A travers le télescope, le monde m'a paru plus proche et plus grand que je ne l'imaginais. C'était si beau, si impressionnant ! J'ai soudain pris conscience que quelque chose en moi avait de l'importance. »

- Mon avis sur le livre -

 Cela faisait plusieurs années (depuis le 18 novembre 2017 pour être parfaitement exacte) que ce livre prenait la poussière sur son étagère en attendant son heure, plusieurs années que je passais devant lui, que je me laissais presque tenter, pour finalement me replier précipitamment sur un autre livre. Ce n’est pas qu’il ne m’intéressait pas, bien au contraire : j’étais plutôt curieuse de découvrir avec ces garçons aux drôles de prénoms quels étaient ces fameux secrets de l’univers. Mais j’avais peur. Peur d’être déçue, car la majorité des lecteurs en dressaient des portraits tellement élogieux que je me méfiais de mes propres attentes. Peur de passer complétement à côté de cette supposée petite pépite littéraire, de ne pas saisir ce qui plait tant aux autres lecteurs. Peur d’être en décalage, une fois encore, finalement. Alors je retardais année après année sa lecture … Il aura fallu qu’il me soit imposé par pas moins de trois personnes différentes sur trois challenges différents, qu’il soit l’un des seuls livres de ma pile à lire correspondant à une consigne pour un quatrième challenge, et une lecture commune pour que je me décide enfin à lui laisser sa chance !

Du haut de ses quinze ans, Aristote est un adolescent renfrogné, solitaire et bagarreur. Il sent peser sur lui l’ombre de son grand-frère, dont nul ne parle jamais depuis qu’il est en prison, il ne sait pas bien pourquoi. Il sent peser sur lui les nombreuses règles édictées par sa mère, et le silence implacable de son père hanté par la guerre. Parmi les nombreux mystères qu’il souhaite élucider, il y a lui-même : parfois, souvent, il ne se comprend pas. Et voici qu’alors qu’il barbotait lamentablement à la piscine municipale, un garçon tout aussi incompréhensible que lui se propose de lui apprendre à nager. Aristote ne l’avouera jamais à qui que ce soit, et surtout pas au principal concerné, mais il a immédiatement apprécié Dante. Ce cours de natation improvisé a sonné le début d’une amitié aussi maladroite que sincère. Dante et Aristote n’ont pas grand-chose en commun, mais ils sont tous les deux en quête de réponse sur les secrets les plus impénétrables secrets de l’existence humaine … Et peut-être qu’à deux, il sera plus facile de trouver ces réponses. Ou alors, peut-être que ce n’est que le début d’une nouvelle flopée de questions …

Pour tout dire, au début, tout allait parfaitement bien : j’étais presque tombée sous le charme d’Aristote, et complétement sous celui de Dante, et j’étais en passe de tomber follement amoureuse de leur amitié. Bizarre, mais très touchante. C’était un peu comme une évidence, finalement, et j’enviais leur complicité naturelle. J’enviais cette petite bulle qui semblait les entourer, lors de ce premier été, alors qu’ils apprenaient encore à se connaitre, alors qu’ils s’ouvraient progressivement l’un à l’autre. J’aimais comment chacun acceptait sans broncher les petites bizarreries de l’autre. J’aimais leurs conversations, parfois à la limite de l’absurde, mais toujours percutantes. Plus globalement, j’appréciais l’ambiance qui se dégageait du récit. Il y avait cette sorte de nostalgie, celle qu’on ressent tous lorsqu’on laisse définitivement notre innocence enfantine derrière nous pour découvrir la complexité de la vie, lorsqu’arrive le moment de choisir ce que l’on compte faire de notre existence. J’aimais beaucoup les relations que chaque garçon entretenait avec ses parents, entre amour infini et agacement adolescent. J’aimais être témoin de leurs rêves, de leurs doutes, de leurs peurs, et je m’attachais tout doucement à eux.

Oui, vraiment, entre Aristote, Dante et moi, tout commençait sous les meilleurs hospices. Mais ça n’a pas duré. Il y a eu comme une déchirure après le premier tiers du livre, après un rebondissement pour le moins inattendu et tragique. A partir de cet instant, j’avais beau essayer de toutes mes forces, plus moyen de me sentir proche de Dante, et encore moins d’Aristote. Ce dernier était pourtant celui avec lequel je me trouvais le plus de points communs, celui qui me touchait le plus … mais au bout d’un moment, mon petit cœur d’hypersensible n’a plus pu supporter son comportement avec les autres, surtout envers Dante à qui il interdisait de pleurer. C’est comme si Aristote brandissait son mal-être comme une excuse pour faire du mal aux autres, pour faire de la peine aux autres, et même si on ne peut que compatir à son chagrin, à sa douleur, je n’arrivais plus à être en accord avec lui. Quant à Dante, il reste finalement assez effacé, et même si j’ai trouvé sa loyauté attachante, c’est pareil, plus ça avançait, moins j’arrivais à me sentir vraiment « concernée » par son sort. Toute cette douceur que j’aimais tant s’était volatilisée, et le récit avait perdu de sa saveur.

Il faut dire que ce qui me faisait vraiment vibrer, au début, c’était justement cette magnifique histoire d’amitié. Ceux qui me connaissent le savent, l’Amitié est une chose incroyablement importante à mes yeux, c’est presque un idéal. Vous n’imaginez donc pas ma joie lorsque leur amitié a commencé … et ma désillusion lorsque j’ai compris qu’une fois encore, ce récit n’allait pas se « contenter » d’une histoire d’amitié magique. A croire que 99% des personnes sur cette terre considère qu’un roman sans histoire d’amour ne vaut la peine ni d’être écrit ni d’être lu. Je rêve d’une histoire d’amitié qui reste une histoire d’amitié, dans toute sa simplicité et sa richesse, dans toute sa beauté et sa force. Mais ce vœu n’a pas été exaucé ici, et je dois bien avouer que je n’ai donc pas réussi à me réjouir pour eux, pas réussi à trouver leur rapprochement émouvant, car je les trouvais juste exceptionnels comme duo amical, et cela m’a brisé le cœur que cela se transforme ainsi … Surtout que finalement, c’est comme si ces fameux « secrets de l’univers » que nous faisait miroiter le titre se réduisaient à cette découverte et cette acceptation de cette réalité identitaire pas forcément simple à envisager en 1987, alors que je m’attendais à quelque chose d’un peu plus « original », différent de ce que l’on trouve déjà bien souvent dans la littérature jeunesse.

En bref, vous l’aurez bien compris, c’est plutôt une lecture en demi-teinte. Ce n’est pas une vraie déception, loin de là, car il y a quand même de fort jolies choses dans ce récit, des passages incroyablement émouvant et des thématiques particulièrement poignantes (j’ai par exemple était très touchée par la relation entre Aristote et son père, ce garçon hanté par les non-dits, cet homme hanté par la guerre, deux grands silencieux qui vont petit à petit commencer à se parler, à se libérer de ces silences) … Mais c’est très loin d’être un coup de cœur : il m’a manqué quelque chose pour être véritablement captivée, bouleversée, émue par cette histoire. Je ne ressentais au final pas grand-chose pour nos deux jeunes héros, comme si je les observais de loin, sans pouvoir me sentir concernée par leur histoire. Ils sont restés deux parfaits inconnus à mes yeux, alors que je m’attendais à vibrer vraiment avec eux. La plume est certes jolie, mais c’est pareil, elle n’a pas résonné en moi … Peut-être que ce livre m’aurait plus plu il y a quelques années, lorsque j’avais le même âge qu’Aristote et Dante et cherchais moi aussi à comprendre le sens de la vie et de ma vie, mais en l’état actuel des choses, ça restera un roman sympathique, mais sans plus.

mercredi 24 mars 2021

Jonathan Sato et les secrets des alchimistes - Jean-François Morin

Jonathan Sato et les secrets des alchimistes, Jean-François Morin

 Editeur : Le lac aux fées

Nombre de pages : 446

Résumé : Jonathan n’a que 10 ans, mais il a de quoi être fier. Il s’apprête déjà à détenir son dragonneau. Dans la famille Sato, c’est une tradition. On est chevalier dragon de père en fils et protecteur du royaume de Sitra. Depuis vingt ans, la vie est paisible dans les rues de Vyria où Jonathan, sa petite sœur Emy et son meilleur ami Jany aiment à musarder. Mais un jour, les trois enfants découvrent un souterrain oublié, gardant dans ses profondeurs une science qui pourrait bien bouleverser l’équilibre du monde…

 Un grand merci  aux éditions Le lac aux fées pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« Au loin, nous pouvions facilement distinguer les villes, les villages et les maisons isolées. Dans l’obscurité de la nuit, sur la ligne d’horizon, nous avions du mal à différencier l’éclat des étoiles des chaumières éclairées. Mes repères vacillaient et j’avais cette étrange impression d’être dans un autre univers où il n’y avait ni haut, ni bas, ni gauche, ni droite, ni espace, ni temps. »

- Mon avis sur le livre -

 J’ai beau savoir que l’habit ne fait pas le moine et qu’il ne faut pas juger un livre à sa couverture, je dois bien reconnaitre que c’est souvent ladite couverture qui m’aiguille en premier lieu : j’ai tendance à considérer que la couverture reflète le livre, ou plus précisément que le soin apporté à la couverture reflète le soin apporté au texte. La qualité de l’illustration, le choix des couleurs, de la police de caractère du titre, et même de la place du nom de l’auteur, en disent selon moi beaucoup sur la qualité globale du travail éditorial de l’auteur autoédité ou de la maison d’édition … Rien qu’à la couverture, je sais généralement à quoi je peux et je dois m’attendre au cours de ma lecture, et pour l’instant, cet instinct visuel ne m’a que très rarement trompée. C’est ainsi que j’ai à peine lu le résumé de ce roman avant de le demander en service presse : la combinaison du titre et de la couverture me promettait une histoire qui ne pouvait que me plaire, et une fois encore, cette intuition s’est révélée parfaitement juste ! Je sens qu’il va d’ailleurs être très difficile de trouver les mots justes, tant ce roman est génial !

Chez les Sato, on est chevaliers dragons de générations en générations : depuis que leur illustre ancêtre a trouvé le remède au terrible virus qui décimait la population de ces fabuleuses, leur famille est la seule habilitée à les élever et les dresser. Jonathan n’a que dix ans, mais il s’apprête déjà à avoir son propre dragonneau : jamais personne n’a reçu un dragon aussi jeune, et le petit garçon est partagé entre la joie, la fierté, et l’inquiétude. Sera-t-il à la hauteur de cet immense honneur ? Saura-t-il s’occuper correctement de son petit dragonneau, et méritera-t-il un jour ce titre de maitre dragon ? Heureusement, Jonathan a le soutien de toute sa famille, en particulier celui de sa si bavarde petite sœur Emy … sans oublier celui de son meilleur ami Jany, un véritable puit à savoir qui aurait été plus à sa place à l’école des érudits qu’à celle des chevaliers. Ensemble, les trois enfants et le petit dragonneau aiment vagabonder dans la Forêt des Nids … jusqu’au jour où ils découvrent par hasard l’entrée de mystérieux souterrains. Parviendront-ils à percer les secrets qui referment ces galeries ?

Après quelques années durant lesquelles la dystopie a volé la vedette, la fantasy reprend du poil de la bête : les rayonnages des librairies débordent d’histoires d’elfes et de dragons, et on a parfois le sentiment que tous se ressemblent. Et puis, il y a ceux qui sortent du lot, mais en toute discrétion, dans l’ombre de maisons d’édition un peu moins connues et réputées, mais qui se préoccupent de la qualité plus que de la quantité. Et indéniablement, indiscutablement, incontestablement, l’auteur signe ici une vraie petite pépite de fantasy comme on n’en trouve que très et trop peu … et cela en toute sobriété. De nos jours, les auteurs ont souvent tendance à en faire trop, s’imaginant sans doute que pour se démarquer, il faut absolument être celui qui rendra son récit le plus sensationnel possible : ce n’est alors plus qu’une déferlante d’action, avec des batailles « épiques » et sanglantes à tous les chapitres, avec des complots à n’en plus finir, des trahisons, des empoisonnements, des élus aux pouvoirs infinis, au courage inhumain et à l’ingéniosité inouïe … Jean-François Morin, lui, a compris que l’essentiel ne se trouvait pas dans cette surenchère, qu’il ne fallait pas impressionner le lecteur mais plutôt lui donner ce sentiment d’être chez lui, à sa juste place, à chaque fois qu’il rouvre le livre …

Et c’est donc ainsi que l’auteur nous invite à faire la connaissance de Jonathan, un petit garçon ni plus doué ni plus courageux que les autres. Alors bien sûr, Jonathan va éminemment sous peu avoir son propre dragon, ce qui n’est pas donné à tout le monde, mais pour le reste, petits et grands lecteurs peuvent aisément se retrouver en lui. Car Jonathan n’est ni l’élève le plus doué de sa classe, ni le plus apprécié, bien au contraire : son meilleur ami Jany et lui sont plutôt les souffre-douleurs de leurs camarades, Jany parce qu’il est fils de fermier et donc considéré comme un intrus par tous ces fils de chevaliers, et Jonathan parce que sa famille a un statut particulier qui attise la jalousie … Alors qu’il n’y a pas plus humbles que les Sato qui, contrairement aux autres familles de chevaliers, ne rechignent jamais aux tâches les plus harassantes : alors que tous ces gosses, fils de chevaliers « normaux », retournent se prélasser chez eux pendant les vacances, Jonathan retrouve ses parents, oncles, cousines, grands-parents dans les champs pour la moisson, pour l’entretien de la dragonnerie ou pour le déboisement de la clairière où sera construit le nid du dragonneau !

Il y a vraiment dans ce récit une simplicité, une rusticité, particulièrement réconfortante : on renoue avec le cœur de la fantasy, qui est le gout du rêve et du merveilleux, et non pas de la guerre et de la mort … Ici, ce n’est pas un danger quelconque qui est au cœur de l’intrigue, mais bien plus la curiosité (et les bêtises) de trois enfants : alors qu’ils se glissent en douce dans les jardins du Comte pour observer un peu plus longuement les animaux exotiques du défilé, Jonathan, Emy et Jany découvrent des souterrains … qu’ils ne peuvent s’empêcher d’explorer sans en parler à personne. J’ai aimé vivre avec eux cette excitation des explorations secrètes et interdites, des découvertes incroyables et sans aucun doute dangereuses. Bien sûr, en tant qu’adulte, j’avais parfois envie d’aller les sortir de là par la peau du cou, mais l’enfant qui continue de vivre dans mon cœur était tout simplement ravie et émerveillée. Et que c’est drôle de les voir se dépatouiller comme ils peuvent pour garder tout ceci secret, j’ai adoré leurs facéties, leurs bourdes également … Et même l’arrivée progressive d’une ombre, cette menace qui se dévoile en même temps que se lèvent tous ces mystères, le lecteur la savoure : c’est tellement bien amené, on est curieux de voir où cela va nous mener !

En bref, vous l’aurez bien compris, j’avais beau m’attendre à apprécier, je ne m’attendais clairement pas à un tel coup de cœur ! Je suis tombée amoureuse de la richesse de cet univers, mais une richesse qui ne s’exhibe pas, qui reste discrète : l’auteur n’a pas fait étalage de son imagination comme aiment tant le faire nombre d’auteurs de fantasy, il se « contente » de nous raconter une histoire se déroulant dans son univers. Et quelle histoire ! Il nous rappelle que beauté rime avec simplicité, qu’il n’y a pas besoin de surenchères de prophéties et de quêtes désespérées pour offrir au lecteur une aventure tout simplement captivante et poignante. Nos trois petits héros ne font « rien » de plus que d’explorer des souterrains à deux pas de chez eux, mais cela suffit à nous happer : tout comme eux, on est dévoré par l’envie de savoir ce que cachent ces galeries. Et tous leurs stratagèmes pour éviter que leurs parents ne découvrent leurs cachoteries, tous ces moments où ils sont à deux doigts d’être pris en flagrant délit de vagabondages dans un lieu potentiellement très dangereux, nous tiennent en haleine aussi efficacement qu’une bataille épique entre deux grandes armées ! Bref, c’est une vraie réussite, et le plus gros problème, désormais, ça va être de patienter jusqu’en décembre 2021 pour découvrir la suite de l’histoire !

samedi 20 mars 2021

Le gardien des saisons - Christophe Bladé

Le gardien des saisons, Christophe Bladé

 Editeur : Ex Aequo

Nombre de pages : 224

Résumé : D’après les vieux Sages, des signes subtils se manifestent à travers la réalité pour nous aider à exprimer notre propre légende. Deux adolescents, Timothée et Nathalie, découvrent l'existence d'un monde parallèle après une étrange rencontre. Guidés par un sage guerrier, ils vont affronter des épreuves et conduire une mission capitale pour la sauvegarde de la conscience humaine.

 Un grand merci  aux éditions Ex Aequo pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« Il se remémore les aventures qu’ils se sont tous juré de vivre un jour, demain, plus tard … Timothée en sera l’organisateur et il trouvera bien quelques bonnes idées dans ses livres d’expéditions qu’il garde, comme un trésor, au fond de son grenier. Tous ces mots planqués qui le font voyager ! Et le papier des pages qui sent bon les siestes d’été ou les matins câlins … Le livre, pour Timothée, c’est d’abord cet instant fébrile, bercé entre l’attente sereine et l’excitation du savoir. »

- Mon avis sur le livre -

 J’ai toujours été fascinée par les déserts. Je n’aime pourtant pas les grandes chaleurs, mais à chaque fois que je croise une photo ou un documentaire sur l’une ou l’autre de ces immensités de sable, j’ai la chair de poule tant l’émotion est forte. J’en viens à demander si ce ne sont pas mes racines qui m’attirent : je ne les connais pas, je ne les connaitrais peut-être jamais, et peut-être qu’ils ne savent même pas que j’existe, mais quelque part au cœur du Sahara algérien, des grands oncles et des grandes tantes tracent leur bout de chemin au cœur du désert ... Il y a un peu de désert en moi, et ceci explique sans doute la sérénité profonde qui m’envahit à chaque fois que j’y pense, cette curiosité viscérale pour ce milieu naturel bien plus vivant qu’il n’en a l’air au premier abord. Tout cela pour expliquer que, à la seconde même où j’ai vu la couverture de ce petit roman, j’ai su que lui et moi étions fait pour nous rencontrer : comment pourrait-il en être autrement ? C’est tellement rarissime de trouver un roman qui se déroule dans un désert : il fallait absolument que je le lise, ce qui me donnait de plus une excellente occasion pour découvrir la collection ado des éditions Ex Aequo !

Timothée partage ses journées entre sa bande d’amis, avec lesquels il construit une cabane dans la forêt pour accueillir leurs jeux et leurs secrets, et son petit refuge personnel dans le grenier de sa maison, où il cache tous ses trésors, tous ces livres d’aventure et récits d’explorateurs qui stimulent son imagination et ses rêves. Et voilà qu’un jour pas comme les autres, un chat parlant le guide jusqu’à une malle qu’il n’a jamais remarqué jusqu’alors … Une malle qui l’attire sans qu’il ne sache pourquoi. Une malle bien fermée, dont il ne parvient pas à trouver la clef. Mais le chat gris aux yeux dorés ainsi que l’homme mystérieux qui lui est apparu au pied du grand arbre où se trouve la cabane lui affirment qu’il trouvera en lui cette clef, qu’elle est « celle de son cœur comme celle du trésor, celle du dedans comme celle du dehors » … Et lorsqu’il finit par ouvrir cette malle, c’est pour y trouver une sacoche de cuir contenant un livre qu’il n’ose pas ouvrir, mais qu’il sent être terriblement important. Et en effet, il apprend qu’il est l’Elu, chargé de ramener ce Livre à sa juste place …

Quand on lit beaucoup, on a parfois ce terrible sentiment que plus aucun livre ne saura nous surprendre, que notre route littéraire ne sera plus que redites sur revisites. Et alors surgit un livre qui vient bouleverser cette sombre perspective, qui vient nous prouver le contraire en nous surprenant, en nous étonnant, en nous bousculant. Ainsi, si ce roman commence comme un « simple et banal » récit d’aventure sur les traces d’un jeune garçon élu pour accomplir une mission d’une importance capitale, il se distingue petit à petit des autres romans du même genre : c’est vraiment une histoire très originale que nous offre l’auteur, une histoire qui ne ressemble finalement à aucune autre. Cela se ressent dès le tout début : nous sentons bien que Timothée n’est pas tout à fait comme les autres adolescents, qu’il a une conscience bien plus aigüe de la beauté, de la richesse de la nature, de ce qui l’entoure. Je me suis rapidement sentie proche de lui : tout comme lui, j’aime me promener seule, tandis que le soleil se glisse tout doucement derrière l’horizon, dans de paisibles chemins de campagne, tout comme lui, j’aime me glisser dans un bon livre, promesse de mille et une aventures et de rêves à n’en plus finir …

Et puis, voici que ce qui appartenait jusqu’alors aux livres et se rêves s’immiscent dans la réalité : voici qu’un chat qui parle se glisse dans son grenier, voici qu’un vieux sage l’attend dans la clairière, voici qu’une force le pousse à protéger ce livre apparu de nulle part … Commence pour lui une aventure à nulle autre pareille, une aventure qui semble à la fois déjà écrite et encore à achever : il y a à la fois cette force qui semble le pousser vers sa destinée et cette certitude que lui-seul peut et doit choisir de mener à bien cette quête dont il ne sait finalement que peu de chose. Propulsé au cœur d’un désert, poursuivi par des hommes armés et protégé par des nomades emplis de sagesse et d’humanité, le jeune Timothée va devoir tracer son chemin, faire confiance à ses instincts, apprendre à voir, entendre, sentir et comprendre les signes qui l’entourent. L’auteur a vraiment su trouver le juste milieu, la délicate alternance entre des moments de grande tension, où le danger rode, où s’engagent de terrifiantes et haletantes courses-poursuites ou luttes, et des moments de calme, de sérénité, de tranquillité, pour permettre à Timothée comme au lecteur de reprendre leur souffle et de profiter de l’instant présent.

Car ici, le lecteur n’est pas passif, extérieur au récit : très régulièrement, le narrateur, l’auteur, s’adresse directement à lui, l’interpelle dans sa lecture : « Et toi, lecteur … ». Le lecteur est invité à vivre pleinement, à s’impliquer corps et âme dans la quête de Timothée, à sentir le sable brulant sous ses pieds, le soleil sur sa peau, à écouter le chant nocturne des grillons, le crissement du sable sous ses pas, à seconder et encourager Timothée dans sa progression. Nous sommes dans l’histoire, nous sommes le cœur de l’histoire, et l’histoire est dans notre cœur, elle est dans nous. L’histoire ne peut exister sans lecteur, mais le lecteur ne peut exister sans histoire … J’ai vraiment beaucoup aimé ces apostrophes au lecteur, j’ai aimé ce sentiment d’être partie intégrante du récit et non pas une simple spectatrice. Ce n’est que parce que je tourne la page que Timothée peut poursuivre son aventure … Il n’est pas seul dans sa quête, et bien heureusement, car le chemin est plus ardu qu’il ne l’imaginait. Car ce trésor qu’il porte précieusement contre lui, dans cette sacoche, ce livre qu’il n’ose pas ouvrir, c’est sa vie. Nous sommes vraiment dans une quête initiatique très profonde, peut-être même parfois un peu trop métaphysique pour les adolescents, à mon humble avis, mais qui n’en reste pas moins poignante.

En bref, vous l’aurez bien compris, ce fut une très belle surprise que ce roman vraiment singulier. L’auteur a réussi son pari, qui était « d’entrainer le lecteur dans un voyage des sens et faire de la réflexion une amie bienveillante » : je me suis rarement sentie aussi transportée dans un récit, j’ai rarement eu autant l’impression de vivre vraiment l’histoire avec les personnages. Il y a dans la plume de Christophe Bladé une poésie incroyable qui se ressent principalement dans les descriptions, qui nous donne vraiment le sentiment d’être au cœur de ces paysages grandioses, de voyager sans avoir à bouger de chez soi. Il rappelle au lecteur toute la beauté de la nature, toute la richesse de notre terre, il lui donne les clefs pour apprendre à l’observer, l’aimer et la protéger, car elle fait partie de nous autant que nous faisons partie d’elle. C’est un récit qui, malgré son côté peut-être trop philosophique par moment – je suis étudiante en théologie et je ne suis pas certaine d’avoir tout saisi, le comble, non, sachant que c’est avant tout destiné aux adolescents ? – a vraiment su me charmer par son originalité et par la beauté de sa plume. Un voyage initiatique vraiment pas comme les autres à découvrir et faire découvrir !