samedi 29 octobre 2022

Frère noir, noir de frère - Jewell Parker Rhodes

Frère noir, noir de frère, Jewell Parker Rhodes

 Editeur : Hachette

Nombre de pages : 243

Résumé : Donte, douze ans, aimerait parfois être invisible. Disparaître loin de son école. Loin d’Alan, le «  Roi  » du club d’escrime, qui le harcèle. Loin des professeurs et du directeur qui l’accusent en permanence, en raison de sa couleur de peau. Et ce, bien qu’il soit innocent. Après une énième accusation, Donte est embarqué par la police. Effrayé et apeuré, le jeune garçon ne sait plus vers qui se tourner. Même son frère Trey, plus clair de peau que lui, ne trouve pas les mots pour l’aider. À la recherche d’un endroit où il aurait enfin sa place, Donte finit par rejoindre un club d’escrime, bien loin de celui de son école privée. Il est bien décidé à montrer à Alan et aux autres que, lui aussi, mérite le respect.

 

- Un petit extrait -

« En sport, c'est toujours moi qu'on siffle pour des fautes que je n'ai pas commises. Mais jamais personne ne se fait siffler quand je suis victime d'une faute. Tout le monde me harcèle. Les profs. Les élèves. Je suis poursuivi par des murmures, des cris. On dirait toujours que quelqu'un a quelque chose de mal à me dire : "Tu t'habilles comme une racaille." "Tes dreadlocks sont moches." Les filles se moquent de moi, me montrent du doigt. "Pourquoi tu ne peux pas être comme ton frère ?" "Il arrive à te trouver dans le noir ?" C'est blessant.»

- Mon avis sur le livre -

 Mon 2022. Un petit garçon de sept ans, en pleurs parce qu'un camarade l'avait bousculé, se fait menotté et embarqué par la police pour ne pas s'être calmé quand son professeur le lui a demandé, pour l'unique et "simple" raison qu'il est noir de peau (et que, « bien évidemment », cela le rend « dangereux » pour la communauté). Une scène tellement incongrue qu’on ne sait pas trop si on doit en rire ou en pleurer : on se dit que c’est forcément une caméra cachée, que cela ne peut pas être la réalité. Qu’un directeur d’école n’a pas appelé la police parce qu’un enfant refuse d’arrêter de pleurer. Que la police ne s’est pas effectivement déplacée pour arrêter ce pauvre gamin sanglotant. Et pourtant … pourtant c’est la vérité. Aujourd’hui encore, aux Etats-Unis, il suffit d’avoir la peau « trop sombre » pour être considéré dès le plus jeune âge comme un « délinquant en puissance », à envoyer au tribunal pour mineurs pour « troubles à l’ordre public » à chaque fois qu’un camarade de classe envoie son stylo sur un autre, car, « forcément », le coupable ne peut être que l’enfant racisé …

Cette réalité, aussi incroyable et effroyable soit-elle, Donte la connait bien : il la subit chaque jour. Dans son école privée, son frère Trey (qui a hérité de la blancheur de peau des ancêtres nordiques de leur père) est aimé de tous, élèves comme enseignants, tandis que lui, aussi noir que sa mère et sa famille africaine, est trainé dans le bureau du directeur à la moindre erreur dans son exercice de mathématiques ou au moindre éternuement lâché dans l’étage. Jour après jour, on lui balance des moqueries ou des injures à la figure, jusqu’au jour où il termine au poste de police. A douze ans. Parce que son casier, son propre casier, a été saccagé, ses livres déchirés. Parce que quelqu’un, quelque part dans l’établissement, a renversé sa chaise. Parce qu’il est le seul élève noir du collège. Parce qu’il a tiré des « mauvais » gènes à la loterie de sa conception. « Pourquoi n’es-tu pas plus comme ton frère ? », lui jette-t-on souvent à la figure (du moins pour ceux qui sont prêts à reconnaitre que Trey est effectivement son frère). Comme s’il avait choisi d’être lui … Donte donnerait n’importe quoi pour ne pas être lui. Jusqu’au jour où il rencontre « Coach », ancien champion olympique d’escrime reconverti en animateur de loisirs. Et si, finalement, être lui était justement ce dont il avait besoin pour faire changer les choses, en battant Alan le harceleur sur son propre terrain ?

Au premier abord, il faut bien le reconnaitre, c’est une histoire tout ce qu’il y a de plus classique, pour ne pas dire de plus banale : des histoires de gosses harcelés qui se découvrent une passion et surtout un talent naturel pour un sport et qui prend sa revanche en surpassant tous ses harceleurs, il y en a pléthore. A croire que tous les gamins mis à l’écart sont forcément des petits génies du sport qui s’ignorent : je ne nie pas qu’il y en a sans doute, mais en faire une telle généralité est loin d’être une bonne idée selon moi. A la fois parce que cela manque de réalisme … et parce que ça peut finir par représenter une pression et une « déception » supplémentaire pour tous ces gamins harcelés « normaux » qui ne trouvent jamais cette espèce de révélation quasi-mystique de leur « super pouvoir », et qui sombrent donc un peu plus dans la dévalorisation d’eux-mêmes. De plus, il faut bien l’avouer, il y a quelque chose de particulièrement improbable dans le fait que Donte rencontre pile au bon moment au bon endroit un ancien athlète qui accepte de l’entrainer sans même le connaitre : c’est une « surprenante » et formidable coïncidence, vous ne trouvez pas ? Et en plus, il y a une jolie fille tout aussi douée que lui dans le même club, c’est vraiment incroyable ! Question originalité et complexité de l’intrigue, on repassera …. 

Mais cela ne m’a pas empêché de passer un très agréable moment de lecture, et d’apprécier ce petit roman bourré de bonnes valeurs. Il ne se contente ainsi pas de valoriser le respect et l’égalité ou encore la lutte contre les injustices et les discriminations, il appelle aussi et surtout à l’estime et à l’amour de soi-même, à la persévérance, à la reconnaissance de nos forces et à l’indulgence envers nos limites et nos fautes passées. Comment voulez-vous être tolérant avec les autres si vous ne l’êtes pas avant tout avec vous-mêmes ? Comment voulez-vous être bienveillant envers les autres ni vous ne l’êtes pas en premier lieu avec vous-mêmes ? Cela peut sembler « évident » pour ceux qui se sentent bien dans leur peau et leur tête, mais pour ceux qui sont plus fragiles, c’est loin d’être aussi facile : cela demande un immense effort pour changer de perspective, de vision. J’ai sans aucun doute plus apprécié encore la relation entre Donte et Trey : qu’ils sont beaux, ces deux frères, inséparables, toujours là l’un pour l’autre, chacun se faisant le reflet et la béquille de l’autre, chacun sachant s’effacer devant la réussite de l’autre sans aucune trace de jalousie ou de compétition. J’ai également beaucoup aimé le fait que, finalement, la revanche, la vengeance, ne soit plus le seul vrai objectif de Donte : celui qu’il cherche à vaincre n’est pas seulement Alan ou l’Injustice, c’est avant tout lui-même. C’est avant tout à lui-même qu’il a besoin de prouver quelque chose, et c’est bien en cela qu’il est vainqueur, parce qu’il a su dépasser la simple soif de revanche ou de victoire.

En bref, vous l’aurez bien compris : même si ce roman ne sort pas forcément des sentiers battus, même s’il reprend une intrigue déjà maintes et maintes fois exploitée par des dizaines et des dizaines de livres, films et séries, il n’en reste pas moins un récit puissant et bouleversant, qui tire d’une certaine façon sa force de sa simplicité et de sa « banalité ». Il pointe du doigt sans sourciller une vérité qu’on aimerait bien garder bien cachée, car nous sommes si fier de notre « société inclusive et égalitaire », parce que c’est bien plus facile de se convaincre que ça y est, le combat est terminé, qu’on est désormais des gens bien civilisés … Et c’est justement parce qu’on estime que « c’est fini » que les injustices continuent à gagner du terrain, que le mépris continue à être la norme et que ce sont toujours les mêmes qui souffrent, souvent en silence, parce que le petit gamin de l’introduction vous le dira bien : quand on est différent, même pleurer peut devenir un crime. Passible d’arrestation. De condamnation. Même souffrir fait de vous un criminel. Comme diraient les anciens : dans quel monde de fou vivons-nous ?

samedi 22 octobre 2022

Quatre filles et un jean, tome 4 : Le dernier été - Ann Brashares

Quatre fille et un jean4, Ann Brashares

Le dernier été

 Editeur : Gallimard

Nombre de pages : 403

Résumé : Après leur première année loin de chez elles, à l'université, Carmen, Tibby, Bridget et Lena ont chacune des projets différents pour l'été : Carmen participe à un festival de théâtre, Tibby reste au campus à New York pour suivre un séminaire d'écriture de scénarios, Bridget part en Turquie sur un chantier de fouilles archéologiques et Lena suit un atelier de dessin ... Au seuil de leur vie d'adulte, c'est l'heure des grandes questions et, parfois, des déceptions. Mais une chose est sûre : avec ou sans le jean, leur amitié restera éternellement dans le bleu.

 

- Un petit extrait -

« Il me semble que j’ai compris… On n’habite plus à Bethesda, on n’est plus au lycée. On ne vit plus chez nos parents et on n’a pas encore de chez-nous. C’est là que nous avons grandi, que nous avons passé du temps ensemble, mais ce ne sont que des lieux, des époques, ce n’est pas nous. Si on s’imagine que nous quatre, c’est lié à un endroit ou à un moment précis, c’est fichu, car le temps passe et les lieux changent. Nous quatre, ce n’est ni un moment ni un lieu. Nous quatre, c’est partout. »

- Mon avis sur le livre -

 L’adage veut que les blagues les plus courtes soient toujours les meilleures … se pourrait-il qu’il en soit de même pour les sagas ? Je suis une grande amoureuse des longues sagas à rallonge, mais cela ne m’empêche pas, parfois, de trouver que certaines sagas trainent inutilement en longueur. Cela me coute quelque peu de le dire, mais les aventures des quatre filles et de leur jean magique font parti de ces sagas qui auraient selon moi mérité de compter au moins un tome de moins. J’ai comme le sentiment que l’autrice s’est fixé pour impératif absolu de faire « quatre tomes pour quatre filles » (le « cinquième » opus étant en réalité plutôt un hors-série), mais qu’elle n’avait pas la matière pour remplir « intelligemment » ces quatre tomes. Il y a donc un sérieux déséquilibre entre les trois premiers volumes, que je n’hésite pas à qualifier d’excellents, et cet ultime opus, qui fait bien pâle figure en comparaison. On a l’impression que l’autrice elle-même ne savait absolument pas que faire de ses quatre héroïnes dans ce tome … Et résultat, elle en a fait n’importe quoi. Je comprends désormais mieux pourquoi je ne me souvenais absolument pas de cet opus : il dénote tellement par rapport au reste que mon cerveau a visiblement décrété qu’il ne faisait point partie de la même série. L’histoire aurait pu, aurait dû, s’achever très harmonieusement à la fin du troisième opus, alors que les quatre filles s’apprêtaient à rentrer à l’université … Pas la peine d’ajouter si artificiellement un quatrième été.

Car pour Carmen, Tibby, Bridget et Lena, l’été est désormais comme le reste de l’année : elles sont séparées. Chacune a ses propres projets pour les vacances. Toujours plus décidée à améliorer toujours plus sa technique, Lena reste dans sa prestigieuse école d’art pour suivre des ateliers de dessin : elle espère qu’en occupant ainsi son corps et son esprit, elle parviendra à tirer définitivement un trait sur Kostos. Peut-être que Léo, si talentueux et si attirant, l’aidera à tourner une bonne fois pour toutes la page … Bridget, quant à elle, s’envole pour la Turquie afin de participer à un chantier de fouilles archéologiques. Elle va découvrir que contrairement à ce qu’elle imaginait, l’adage « loin des yeux, loin du cœur » ne s’applique pas à elle, et qu’elle aime bien plus Eric qu’elle ne pouvait le penser … Tibby reste au campus pour tenter d’avancer dans l’écriture de son scénario. Mais parviendra-t-elle véritablement à écrire une histoire d’amour alors qu’elle semble totalement incapable de profiter vraiment de l’amour inconditionnel que lui offre Brian ? Et si la véritable histoire d’amour tragique de son été n’était pas celle qu’elle s’efforce d’écrire, mais celle qu’elle est en train de vivre ? Carmen, elle, n’est plus que l’ombre d’elle-même : alors que ses deux parents s’accordent pour affirmer qu’elle a toujours eu un sacré sens théâtral, elle reste obstinément dans l’ombre des coulisses à agrafer des décors et retaper des accessoires. Mais peut-être est-pour elle l’heure de briller à nouveau sous les feux des projecteurs, quoi que puisse en penser sa « nouvelle amie » Julia …

Pour être parfaitement honnête, j’ai beau me creuser la tête, je ne sais absolument pas quoi dire sur cet opus. D’un côté, j’étais bien évidemment heureuse de retrouver une fois de plus nos quatre filles, auxquelles je me suis irrésistiblement attachée au fil des tomes … mais de l’autre, c’est comme si la magie s’était soudainement brisée, comme s’il manquait ce petit quelque chose indéfinissable qui rendait cette saga absolument unique. A l’instar de nos quatre filles, ou plutôt de nos quatre jeunes femmes, désormais, je n’ai pas mis bien longtemps avant de me rendre à l’évidence : cet été n’a absolument rien à voir avec les précédents. Sans doute parce que, désormais, pour elles, ce n’est plus une nouveauté d’être séparées, éloignées les unes des autres : c’est maintenant leur normalité, leur quotidien, leur lot commun. Comme le disait mon arrière-grand-mère, « l’habitude rend la chose facile » : ce n’est désormais plus un déchirement de passer l’été chacune de leur côté, puisque c’est ce qu’elles font déjà toute l’année. Deux mois de plus, deux mois de moins, ça ne fait plus la moindre différence. Et ce qui m’a chagrinée, ce n’est pas tant le fait qu’elles soient à nouveau séparées, mais c’est très probablement qu’elles soient passées d’une belle amitié à la limite du fusionnel à … une sorte d’indifférence teintée de résignation. En trop peu de temps pour que ça fasse naturel. A trop forcer le trait, à trop vouloir montrer qu’elles ont appris à vivre indépendamment les unes des autres, l’autrice a esquissé une sorte de caricature absolument absurde de ses quatre héroïnes. Au point que, parfois, j’ai eu le sentiment de rencontrer de parfaites inconnues et non pas de retrouver les quatre filles des étés précédents. Les quatre filles au jean.

Prenons Bridget, par exemple. Bridget qui, je vous le rappelle, est une forcenée de sport et plus particulièrement de foot. Qui ne sait pas rester concentrée plus de deux secondes, en bonne petite Bee l’abeille hyperactive qu’elle est : elle virevolte, butine, volette, infatigable. Et là voici qui se retrouve, on ne sait pas trop bien comment, au beau milieu d’un chantier de fouilles archéologiques, à dépoussiérer fort patiemment et fort délicatement son minuscule petit bout de terre à la recherche d’aussi minuscules petits bouts d’argile. Le contraste est bien trop gros : la vraie Bridget a probablement été enlevée par des extraterrestres et l’autrice l’a remplacée par un clone bugué, c’est la seule explication probable. Même constat pour Carmen : à ma connaissance, elle n’avait jamais montré le moindre soupçon d’intérêt pour le théâtre et les arts dramatiques, alors comment a-t-elle atterri dans ce festival, exactement ? Et je veux bien admettre que l’entrée à l’université, ça « change une vie », mais au point de transformer Carmenita la solaire, Carmenita l’impulsive, en petite souris de l’ombre qui grappille avidement le moindre petit bout de fromage, le moindre petit sourire et compliment d’une illustre inconnue, j’ai du mal à y croire. Carmen est peut-être en manque constant d’amour et d’attention, mais sauf si elle a subit une lobotomie entre les deux tomes, elle n’est quand même pas stupide au point de devenir un petit toutou sans le moindre sens critique : la vraie Carmen ne serait pas tombée aussi profondément dans le piège de Julia, elle n’aurait pas gobé aussi bêtement ses faux-semblants.

Et comme si cela ne lui suffisait pas de dénaturer complétement la personnalité de ses héroïnes, voici que l’autrice sombre dans le pire travers des romans pour adolescents qu’elle avait pourtant très bien évité jusqu’à présent : les amourettes niaises. D’un côté nous avons Lena qui passe ses journées entières à se lamenter parce que Kostos lui a brisé le cœur, qu’elle veut à tout prix l’oublier, mais qu’elle l’aime encore, et que Léo est absolument sublime, que mince elle n’a pas pensé à Kostos une journée et qu’elle commence à l’oublier, que Léo est talentueux au possible … et qui passe de « petite vierge grecque prude et effarouchée » à « jeune femme totalement décomplexée qui pose nue devant un illustre inconnu et qui se jette sur lui pour l’embrasser à pleine bouche ». De l’autre nous avons Tibby qui, suite à une frayeur que je reconnais compréhensible à son âge, décrète soudainement qu’elle ne veut plus de l’amour fidèle et inconditionnel de ce brave Brian, qui lui jette des horreurs à la figure et qui va même jusqu’à affirmer à Effie qu’elle n’en a absolument plus rien à faire de lui, mais qui deux minutes après se lamentent parce qu’elle a laissé filé l’amour de sa vie et qu’elle est jalouse d’Effie qui a saisi sa chance et qui n’hésite pas à mettre une de ses meilleures amies en porte à faux vis-à-vis de sa propre sœur. Sans oublier Bridget qui ne cesse de rappeler à qui veut bien l’entendre qu’elle est désormais « une fille avec un petite amie » mais qui ne met pas deux secondes avant de loucher sur un nouveau mec tout aussi inaccessible que l’était Eric quelques années plus tôt, mais qui ose encore prétendre qu’elle a appris de ses erreurs en ayant eu le cœur brisé … Que du mélodrame, et parmi les plus insupportables en plus !

En bref, vous l’aurez bien compris, même si cela me coute de l’admettre car c’est vraiment une saga qui compte beaucoup pour moi … ce tome n’est clairement pas à la hauteur des précédents et m’a plus déçue qu’autre chose. C’est un peu comme quand on a plus assez de peinture pour terminer la toile : on étire, on étale tant et si bien que dans les derniers traits, la couleur est toute pâlichonne, toute fade, toute délavée. A vouloir faire trainer l’histoire en longueur pour remplir coute que coute un quatrième opus, l’autrice n’a fait qu’affadir l’intrigue, que délaver la personnalité même de ses personnages. Les filles ayant grandi et muri, la logique aurait voulu que l’histoire gagne en profondeur, mais c’est vraiment tout le contraire qui s’est produit : alors que les tomes précédents abordaient des thématiques sérieuses et réfléchies, nous sombrons ici dans la superficialité et la frivolité les plus niaises qui soient. Tout ce qui avait été acquis auparavant semble balayé d’un revers négligeant de la main : régressons donc allégrement pour mieux combler le vide, pour remplir page après page d’atermoiements grandiloquents et dignes des plus grandes tragédies grecques ! Ce que j’aime dans cette saga, c’est certes cette légèreté très estivale, cette douce amitié qui permet aux quatre filles de surmonter toutes les épreuves, mais c’est également les moments plus tristes, plus douloureux, les moments qui tirent les larmes aux yeux, qui serrent la gorge. C’est en somme l’équilibre dont ce tome est totalement dénué : tout au plus ici, on se dit qu’il « vaut mieux en rire qu’en pleurer », même si ça m’a plutôt attristé de voir le carnage, les filles valent et méritent mieux que cela. Heureusement, il me semble que le « tome suivant » rattrape le coup !

samedi 15 octobre 2022

Quatre filles et un jean, tome 3 : Le troisième été - Ann Brashares

Quatre fille et un jean3, Ann Brashares

Le troisième été

 Editeur : Gallimard

Nombre de pages : 359

Résumé : C'est l'ultime été avant la grande séparation. Rien ne sera plus comme avant : à la fin des vacances, les quatre filles partiront chacune dans une université différente. Plus que jamais, elles se raccrochent au symbole de leur amitié : le jean magique, témoin de leurs vies, témoin de ce troisième été qui s’annonce décisif….

 

 

 

- Un petit extrait -

« C’était un miracle, tout ce qu’on pouvait lire dans le moindre petit geste, si l’on se donnait la peine de bien regarder, de vraiment chercher l’information. Il y avait tant d’émotions, une foule étourdissante de choses que les mots, tout du moins les mots de Lena, ne pouvaient exprimer. Des milliers d’images, de souvenirs et d’idées qui se déployaient si on les laissait venir. Pour qui savait regarder, l’histoire entière de l’humanité était contenue dans le moindre trait. C’était de la poésie pure. Elle n’avait jamais trouvé la poésie poétique, pour être honnête. Mais elle imaginait ce que pouvait être la poésie pour ceux qui l’aimaient et la comprenaient. »

- Mon avis sur le livre -

 C’est en relisant le même livre à quelques années d’intervalle qu’on se rend compte à quel point on a changé entre temps, quand bien même on n’en avait pas conscience jusqu’alors, quand bien même on tentait coute que coute de l’ignorer … De mes lectures précédentes de la saga, je ne conservais qu’une impression de pure légèreté, je ne retenais que les moments les plus joyeux. Dans mes souvenirs, les quatre filles n’étaient que quatre adolescentes, pleines de vie et de rêves, soudées par une amitié que rien ne pouvait ébranler. Aujourd’hui, je ne vois plus du tout les choses de la même manière, au point que je me demande comment j’ai bien pu passer à côté de la grande profondeur du récit auparavant. Comment ai-je donc fait pour n’y voir qu’un simple divertissement pour pré-adolescentes romantiques ? Car tout ce que je vois désormais, ce sont quatre jeunes filles qui deviennent doucement mais sûrement des jeunes femmes, assaillies par les doutes, les peurs, les peines, les remords, les hésitations. J’y vois des moments de grande détresse, des instants de pur désarroi : on est bien loin de la joie et de l’insouciance que j’avais à l’esprit et que je m’attendais à retrouver ! Et puisque le livre, lui, est toujours le même, la seule conclusion possible, c’est que ça soit moi qui ai changé. Suffisamment subtilement pour avoir l’impression d’être toujours exactement la même. Mais pourtant assez pour ne plus me reconnaitre en la lectrice que j’étais il y a quelques années seulement : indiscutablement, je ne suis plus totalement la même. Et je ne sais pas vraiment quoi en penser …

Tibby, elle, voit d’un très mauvais œil tous les changements qui se profilent à l’horizon : elle a toujours haït très viscéralement les bouleversements et donnerait absolument n’importe quoi pour que les choses restent immuables. Mais même en essayant très fort, elle ne peut cette fois-ci pas faire sembler d’ignorer la terrible réalité : désormais, rien ne sera jamais plus comme avant. A la rentrée, les quatre filles s’éparpilleront aux quatre coins des Etats-Unis, chacune dans une université, loin de la ville où elles sont nées, loin du berceau de leur amitié. Tandis que l’échéance se rapproche, inexorablement, Tibby ne peut s’empêcher de douter : a-t-elle pris la bonne décision ? Elle n’est pas la seule à nager en pleine indécision. Lorsqu’elle découvre par hasard (par hasard !) que sa mère est enceinte de son tout nouveau mari, Carmen se voit submergée par la jalousie : elle n’a même pas commencé à emballer ses affaires que sa chambre est déjà vouée à se transformer en nurserie, qu’un bébé n’attend que son départ pour prendre sa place dans la maison et sûrement dans le cœur de sa mère ! Alors, une idée un peu mesquine nait dans son esprit : et si elle allait à l’université juste à côté, pour ne pas avoir à déménager ? Lena, elle, n’a pas de doute : elle veut absolument intégrer son école d’art. Mais c’est son père qui n’est pas du tout de cet avis et refuse catégoriquement de lui payer ses études … Pour la première fois de son existence, la douce et docile Lena refuse de se voir dicter sa conduite et son avenir. Elle ira. Un point c’est tout. Elle sera aussi obstinée que Bridget. Cette dernière, quant à elle, est une fois de plus en colonie, mais cette fois-ci en tant que monitrice. Et voici qu’elle retrouve celui qui, il y a deux ans, a fait battre son cœur et l’a brisé en même temps …

« Dernière étape avant le grand saut vers l’inconnu ». C’est le grand terminus pour le train de l’enfance : à la fin de l’été, les quatre filles rentreront à l’université. D’un côté, elles ont hâte de s’élancer à la poursuite de leurs rêves … mais de l’autre, elles sont terrifiées à l’idée de quitter le nid pour sauter du haut de la falaise. Leurs ailes sont-elles assez fortes pour les porter, ou vont-elles s’écraser lamentablement contre un rocher ? Le ciel est-il vraiment aussi exaltant qu’il en a l’air, ou bien vont-elles être déçues par ce qui les attend ? A la fin de l’été précédent, nos quatre amies semblaient avoir trouvé un certain équilibre, mais elles doivent se rendre à l’évidence : ce n’était qu’une illusion de plus. Contrairement à ce qu’elles s’imaginaient, elles sont encore très loin d’être en paix avec elles-mêmes. Prenons Carmen, par exemple : elle croyait fermement que plus rien ne pourrait la faire douter de l’amour que ses parents lui vouent. Son père est heureux avec sa Lydia, sa mère est heureuse avec son David, et elle est heureuse de les voir heureux … Mais quand elle apprend que sa mère est enceinte, tout vole en éclat : impossible de se réjouir, ni même de faire semblant. Elle qui pensait être définitivement guérie de l’égoïsme et de la jalousie se rend compte qu’elle n’a pas vraiment changé : elle est toujours Carmen-la-vilaine, le nombril du monde. Sa rencontre avec Win, un jeune homme tout ce qu’il y a de plus gentil et généreux, qui ne cesse de la croiser alors qu’elle donne l’illusion d’être Carmen-la-gentille, va peut-être l’aider à se réconcilier avec elle-même. A apprendre à voir ce qu’il y a de bon en elle …

Tibby, elle aussi, va faire l’âpre expérience du remords et de la culpabilité lorsqu’un tragique accident l’oblige à voir les choses en face : elle aura beau tenter de se claquemurer derrière sa carapace d’indifférence, elle ne pourra jamais se préserver de la souffrance. Elle avait envie et besoin de croire qu’il lui suffisait finalement de ne jamais s’investir émotionnellement pour être protégée : si l’on ne tente rien, aucun risque de tomber et de se faire mal. Mais elle est bien contrainte de se rendre compte que la vie ne marche pas comme ça. Elle pensait qu’elle serait en sécurité, bien cloitrée dans son petit cocon hermétique. Mais pour vivre, il faut bien prendre le risque d’attraper une maladie en ouvrant la fenêtre pour laisser entrer un peu d’air. Par crainte de tomber et de souffrir, Tibby a toujours refusé de tendre la main pour attraper le bonheur sur la branche. Mais si sa petite sœur de trois ans a eu le courage de tendre la main, pourquoi n’y arriverait-elle pas ? Ceux qui me connaissent s’en doute probablement : c’est indiscutablement l’histoire de Tibby qui m’a le plus touchée, car elle résonne pas mal avec mes propres angoisses. Comme elle, j’ai cet instinct de rester bien en sécurité dans mon cocon, préférant ne rien tenter de nouveau par crainte de me tromper, de mal faire, de me faire mal. Je comprends donc parfaitement ses peurs. « Sortir de sa zone de confort » est une expression à la mode … mais je la déteste viscéralement. Car elle sous-entend que c’est confortable, et que ceux qui n’en sortent pas ne sont que des fainéants qui ne font aucun effort. En réalité, c’est tout sauf confortable d’être et de se savoir enfermé par ses propres peurs : pas besoin de surajouter de la culpabilisation supplémentaire, merci ! Car parfois, tous les efforts du monde ne suffisent pas, et les jugements n’aident en rien … Heureusement pour elle, Tibby va trouver sur son chemin des personnes et des situations qui vont doucement l’aider à oser, à s’exposer. A se libérer.

Pour Lena aussi, cet été va être celui de la libération. Jusqu’à présent, la jeune fille était plutôt passive : elle prenait ce qu’on lui donnait, souffrait en silence quand on lui arrachait quelque chose. C’était les autres qui, d’une certaine manière, guidaient sa vie. Mais lorsque son père brise en mille morceaux ses projets et ses rêves, voulant l’enfermer dans sa façon à lui de voir sa vie, Lena décide que cela suffit. Elle veut aller dans cette école d’art, et elle ira. Si son père refuse de lui payer ses études, elle obtiendra une bourse. Portrait après portrait, fusain à la main, la jeune fille va affronter yeux dans les yeux ses proches … et découvrir ce qui se cache derrière les apparences. Et par la même occasion peut-être, oser affronter son propre reflet, oser s’affronter elle-même. Faire face à ce qu’elle est au plus profond d’elle-même. Et s’affirmer, enfin. Pour Bridget, c’est en quelque sorte l’inverse : il est temps pour elle d’apprendre à agir sans exubérance, sans impulsivité. D’apprendre à se protéger d’elle-même avant tout. A ne plus prendre ses désirs pour des réalités, à faire attention à ce qu’elle désire, car parfois, les rêves deviennent réalité et se transforment en cauchemar. Et aussi surprenant que cela puisse paraitre quand on les connait, il semblerait que ça soit Bridget qui, des quatre filles, ait le mieux appris des leçons du passé, pour éviter de refaire une seconde fois les mêmes erreurs. Son parcours estival est sans doute moins « poignant » que celui des trois autres, mais il apporte cette dose de légèreté dont le lecteur a besoin … et ne nous mentons pas, c’est particulièrement émouvant, sans le sens le plus romantique du terme !

En bref, je pense que vous l’aurez bien compris : ce troisième opus est bien meilleur que les deux précédents ! Plus que jamais, j’ai été profondément touchée par les aventures et mésaventures de nos quatre amies. D’une certaine façon, on a comme le sentiment de cheminer avec elles, tandis qu’elles apprivoisent doucement les adultes qu’elles sont appelées à devenir, tandis qu’elles apprennent à connaitre qui elles sont pour mieux décider qui elles veulent être. Entre impatience et prudence, entre excitation et hésitation, les voici qui s’apprêtent à passer le dernier été de leur adolescence. Le jean, si important à leurs yeux et dans leur cœur les deux étés précédents, commence doucement à se mettre en retrait : petit à petit, elles n’ont plus vraiment besoin de lui pour cheminer séparément, pour savourer chaque instant. Il a été leur compagnon de route dans les premiers temps, mais elles sont désormais assez fortes (même si elles en doutent) pour affronter ce qui les attend au détour du sentier sans dépendre de lui, sans dépendre des autres. Plus jeune, j’étais un peu triste de les voir « s’éloigner » les unes des autres, j’avais le sentiment que leur amitié était comme « brouillée » … Mais désormais, je dirai plutôt que leur amitié est parvenue à son achèvement logique et sain : elles ne sont plus des petites filles, elles ne pouvaient pas rester enfermées dans cette amitié fusionnelle de petites filles, mais cela ne veut pas dire que leur amitié s’est amoindrie. Au contraire. Je pense que dans les épreuves partagées, même de loin, elle s’est cimentée plus encore. Autrement. Et même si, Tibby vous le dira, le changement fait parfois et souvent peur, les quatre filles vous le diront, il n’est pas toujours mauvais. Il peut même, parfois et souvent, être bénéfique …