mercredi 29 septembre 2021

Legend, tome 2 : Prodigy - Marie Lu

Legend2, Marie Lu

Prodigy

 Editeur : Le livre de poche Jeunesse

Nombre de pages : 439

Résumé : June et Day ont échappé à leurs poursuivants. Réfugiés à Vegas, ils rencontrent un groupe de rebelles, les Patriotes, qui consentent à les aider à s´enfuir. Mais il y a une condition. Prêts à tout, les deux adolescents acceptent. Pourtant, June doute : et s´ils s'apprêtaient à plonger le pays dans la guerre civile ? Déchirée entre son sens du devoir, ses intuitions et ses sentiments, elle devra prendre la décision la plus difficile de son existence. Et Day aura-t-il suffisamment confiance en sa nouvelle complice pour remettre sa vie et celle des siens entre ses mains ?

 

- Un petit extrait -

« - Tu sais, dit-il enfin. Je me demande parfois ce qui se serait passé si nous nous étions rencontrés... dans un contexte normal. Comme tout le monde. Si je t'avais croisée dans une rue par un matin ensoleillé. Si je t'avais trouvée jolie au point de m'arrêter, de faire demi-tour et de te prendre la main en disant : « Salut, je m'appelle Daniel. »

Je ferme les yeux en imaginant cette scène qui me réchauffe le cœur. Tout aurait été si facile, si tranquille.

- Si seulement, murmuré-je. »

- Mon avis sur le livre -

 Il faut être pris pour être appris, dit-on … Une chose est sûre et certaine : je ne réitérerai plus les erreurs de cette année 2021. C’est-à-dire que je ne m’inscrirai plus à des dizaines de lectures communes portant sur des tomes de sagas et que je ne céderai plus aveuglément à toutes les propositions de services presse que me font les auteurs, afin d’avoir un peu plus de latitude pour faire face aux imprévus. En effet, cette année, pour réussir à honorer tous ces engagements dans les temps, il m’a fallu établir mon programme de lecture avec trois voire quatre mois d’avance, au jour prêt … Un vrai casse-tête pour réussir à faire coïncider le tout, et cela d’autant plus que je n’avais pas toutes les cartes en main : j’avais beau savoir que mes partiels auraient lieu à la fin du mois de juin, je n’avais pas les dates exactes, et bien sûr, le moment venu, cela s’est avéré totalement incompatible avec ce beau planning littéraire savamment ajusté … Au stress des épreuves s’est donc ajouté celui de ne pas réussir à lire à temps tel ou tel roman, celui de ne pas pouvoir chroniquer à temps tel ou tel service presse. Et quand je stresse, je ne profite plus de mes lectures … Ce deuxième opus n’a pas eu de chance, il s’est retrouvé pris au beau milieu des tourmentes universitaires !

En sauvant Day de l’exécution, June, l’enfant prodige, est devenue à son tour l’une des personnes les plus recherchées de la République. Embarqués clandestinement dans un train de marchandise, les deux jeunes gens n’ont désormais plus qu’une seule chance de s’en sortir : rejoindre les Patriotes, ces rebelles qui sont prêts à tout pour faire tomber le gouvernement et faire renaitre les anciens Etats Unis d’Amérique … Tiraillée entre son envie d’aider le jeune homme à retrouver ceux qui lui sont chers – la petite Tess qu’il a recueillie dans la rue et son jeune frère Eden tombé entre les mains de la République –, sa méfiance viscérale envers le leader du mouvement rebelle et les reliquats de sa loyauté envers le système qui l’a vu grandir, June ne sait plus ce qu’elle est supposée faire … Day, lui aussi, ne sait plus où donner de la tête : à qui doit-il, à qui peut-il accorder sa confiance ? A Tess, sa plus fidèle amie et alliée, qu’il connait depuis des années et qui a toujours été de bons conseils, ou bien à June, cette jeune fille qu’il ne connait que depuis quelques semaines, qui est à l’origine de son arrestation et de la mort de sa mère et de son ainé, mais qu’il ne peut s’empêcher d’aimer et de croire ?

A vrai dire, je suis tout aussi mitigée vis-à-vis de ce deuxième tome que vis-à-vis du premier. Sur certains points, il est bon, et même clairement meilleur que le premier : il y a bien plus d’actions, bien plus de rebondissements, bien plus de révélations, on sent que l’autrice a tenté d’ajouter de la profondeur à ses personnages …. Mais de l’autre, on retrouve le même gros travers du premier tome, en plus insupportable encore : cette romance atrocement dégoulinante, plus pénible encore à cause du double triangle amoureux qui se met fort peu subtilement en place. Et c’est encore pire qu’avant, car à cause de cette intrigue pseudo-romantique, le caractère de nos héros se voit totalement mutilé … Envolé, le Day chevaleresque et indocile, taquin et indépendant, envolée, la June rationnelle et décidée, audacieuse et indépendante : ils ne sont plus que deux pantins contrôlés par leurs hormones, deux coquilles vides tout juste bonnes à hésiter entre deux attirances. Je ne parle même pas de Tess, que je trouvais géniale dans le premier tome, par sa douceur, son attention, son dévouement, et qui ressemble désormais à une tigresse jalouse qui veut se taper son frère adoptif. Ce n’est pas dans mes habitudes d’utiliser ce genre de vocabulaire, mais c’est pour bien mettre en valeur à quel point c’est … épouvantable, de dénaturer ainsi la personnalité des personnages pour servir une romance malsaine et inutile.

Malgré tout, comme pour le premier tome, lorsque j’arrivais à prendre du recul et à ne pas me laisser submergée par l’agacement de plus en plus profond que ces atermoiements « amoureux » faisaient naitre en moi, je ne peux clairement pas nier qu’il y a du bon dans cette dystopie. Jusqu’à présent, nous ne savions pas grand-chose des fondements de la République, des causes du conflit avec les Colonies, ni même des revendications des Patriotes : la première était présentée comme la seule garante de la sécurité, les deux autres comme de terribles ennemis désirant plonger le pays dans le chaos. Mais maintenant que Day et June se sont « définitivement » arrachés à l’influence de la République, maintenant qu’ils sont passés « de l’autre côté du miroir », nous en apprenons un peu plus. Nous découvrons comment la montée des eaux due au réchauffement climatique, l’afflux des réfugiés et l’amaigrissement des ressources naturelles ont plongé les anciens Etats Unis d’Amérique dans le chaos le plus total, comment un jeune officier de l’armée a décidé de « pacifier » le pays en fermant les frontières et en donnant les pleins pouvoirs à l’armée, comment ceux de « l’extérieur » se sont associés pour créer les Colonies et tenter de reconquérir ces territoires … On reste dans un schéma post-apocalyptique plutôt classique, simple, mais efficace car parfaitement crédible.

De même, toutes les autres révélations qui parsèment le récit, si elles peuvent parfois sembler fort clichées et prévisibles, n’en restent pas moins parfaitement cohérentes, parfaitement réalistes. L’exemple le plus marquant, celui que je trouve personnellement le plus intéressant dans ce récit, c’est bien celui des Colonies. Pour Day, les Colonies sont synonymes de liberté, de justice, d’égalité … de tout ce qui n’existe pas au sein de la République. Mais il va rapidement comprendre que la vérité est loin d’être aussi reluisante, aussi lumineuse, aussi belle que ce qu’il imaginait au plus profond de sa misère : aucun système n’est parfait, aucune utopie n’est réelle. Et on en vient à se demander si le meilleur ne vaut pas le pire : d’un côté, la tyrannie militaire, de l’autre, la tyrannie économique, ou si vous n’avez pas réglé votre dû au poste de police du quartier, personne ne viendra vous secourir si un malfrat s’en prend à vous … Deux oppressions différentes au premier abord, mais elles sont l’une comme l’autre pétries d’injustices, de cruauté, d’inhumanité. Comme toute bonne dystopie qui se respecte, celle-ci aime donc jouer avec l’ambiguïté entre le bien et le mal, sur l’équilibre fort instable entre la recherche du bien commun et la mise en place d’une dictature. Comme dans toute bonne dystopie qui se respecte, les héros et le lecteur ne savent plus à qui se fier, car on ne peut jamais savoir qui est digne de confiance …

En bref, vous l’aurez bien compris, je reste plutôt mitigée vis-à-vis de ce tome. D’un côté, c’est une très bonne dystopie, qui respecte scrupuleusement les codes du genre, et même si cela rend certaines « révélations » et certains retournements de situations fort prévisibles, on ne peut que se laisser embarquer par cette histoire pleine d’action, où rien ni personne n’est jamais ce qu’il semble être … Mais de l’autre, il y a toujours cette fameuse romance, celle qui vient parasiter toute l’intrigue, la phagocyter tant et si bien qu’on n’a plus qu’une seule envie au bout d’une petite centaine de pages, c’est baffer June, Day et même Tess dans l’espoir qu’ils redeviennent eux-mêmes et qu’on puisse reprendre le cours de l’intrigue principale, celle qu’on venait chercher en ouvrant une dystopie. C’est d’autant plus dommage que l’histoire, justement, prend au fil du temps un tournant parfaitement inattendu, assez rare sur le coup en dystopie, que j’ai donc vraiment très envie de savoir comment tout ceci va bien pouvoir évoluer … mais que j’ai terriblement peur que tout soit gâché par ce double triangle amoureux totalement ridicule. Je vais donc croiser les doigts pour que cet atroce travers soit corrigé dans le troisième tome, pour finir en beauté cette trilogie (qui a parait-il gagné un quatrième tome en anglais, ce qui reste assez étrange pour une trilogie) !

samedi 25 septembre 2021

Legend, tome 1 - Marie Lu

Legend1, Marie Lu

 Editeur : Le livre de poche Jeunesse

Nombre de pages : 383

Résumé : June est un prodige. A quinze ans, elle fait partie de l’élite de son pays. Brillante et patriote, son avenir est assuré dans les hauts rangs de l’armée. Day est le criminel le plus recherché du territoire. Né dans les taudis qui enserrent la ville, il sévit depuis des années sans que les autorités parviennent à l’arrêter. Issus de deux mondes que tout oppose, ils n’ont aucune raison de se rencontrer... jusqu’au jour où le frère de June est assassiné. Persuadée que Day est responsable de ce crime, June se lance dans une traque sans merci. Mais est-elle prête à découvrir la vérité ?

 

- Un petit extrait -

« En vérité, la République n'a pas la moindre idée de ce à quoi je ressemble. Elle ne sait pas grand-chose sur moi, sinon que je suis jeune et que mes empreintes digitales ne figurent pas dans leurs bases de données. C'est la raison pour laquelle le gouvernement me déteste. Je ne suis pas le hors-la-loi le plus dangereux du pays, mais je suis le plus recherché. Je suis la preuve vivante que le système n'est pas parfait. »

- Mon avis sur le livre -

 Petit conseil bien avisé : ne jamais me lâcher dans une bourse aux livres, surtout si vous espérez y trouver vous-même quelques livres à vous mettre sous la dent. En l’espace d’un petit quart d’heure, je suis capable de dévaliser totalement les rayonnages « jeunesse », « young adult » et « SFFF », trainant derrière moi deux énormes sacs de courses remplis à ras bord et trois fois plus lourds que moi (car les livres, ça pèse) … Autant vous dire que les organisateurs de la bourse aux livres annuelle de mon ancienne vallée m’aimaient autant qu’ils me détestaient : d’un côté, je faisais rentrer des tas de petits sous dans la caisse et débarrassais les vendeurs d’une bonne partie de leurs livres, mais de l’autre, il fallait me réserver une caisse à moi toute-seule et prévoir du temps pour venir à bout de toutes mes emplettes ! Mais aussi, comment résister à des livres en parfait état à 50 centimes ? Dans certains cas, ils étaient même en meilleur état que lorsque je les achète neuf en librairie, pour tout dire ! C’est le cas de la trilogie Legend : 1€50 pour le lot de trois romans immaculés, semblant sortir tout droit de l’imprimerie ! Si ça, c’est pas de la bonne affaire, faut me dire ce que c’est !

En dépit de ses très nombreuses incartades, June est la petite fierté de la République : elle est la seule à avoir obtenue un sans-faute à l’Examen, est entrée dans la plus prestigieuse université du pays à douze ans au lieu de seize, a sauté la deuxième année et continue à avoir des notes outrageusement mirobolantes … Bien déterminée à servir son pays, la jeune fille sait qu’un brillant avenir l’attend dans les hauts rangs de l’armée. Mais tout bascule le jour où son frère ainé, la dernière famille qui lui reste depuis la mort de leurs parents, est tué au cours d’une banale mission de surveillance à l’hôpital. Chargée de l’enquête, June se met en chasse : elle traque Day, le criminel le plus recherché et le plus insaisissable de tout le pays. En réalité, nul ne sait vraiment à quoi ressemble ce fameux Day dont June admire secrètement les exploits sportifs, mais tout le monde sait quels sont ses crimes : incendie, vol, destruction de matériel militaire, entrave à l’effort de guerre contre les Colonies … Tandis que l’adolescente avide de vengeance se jette à ses trousses, Day n’a quant à lui qu’une seule idée en tête : il doit à tout prix se procurer des remèdes pour son petit frère avant qu’il ne soit emporté par l’épidémie qui décime chaque année les habitants des bas quartiers …

Je pense que j’aurai beaucoup plus apprécié ce livre si je n’avais pas lu auparavant un si grand nombre de dystopies young-adult … En effet, ce n’est pas un mauvais roman dans l’absolu, mais il est tellement « classique » pour ne pas dire « banal » voire « cliché » qu’il m’a laissé ce petit arrière-gout de « déjà vu et revu des dizaines de fois ». Prenez les deux protagonistes : d’un côté, vous avez la jeune fille surdouée issue des milieux aisés, patriote endoctrinée jusqu’au bout des ongles, prête à donner sa vie pour servir son pays, et de l’autre, vous avez le rebelle mystérieux, né dans les quartiers pauvres, défenseur de la veuve et de l’orphelin … Je suis sûre que vous aussi, rien qu’en lisant ça, vous vous doutez déjà que ça va se terminer en romance complétement improbable et rocambolesque. Et c’est vraiment, à mes yeux, le plus gros défaut de cette histoire : d’avoir sombré dans cette mouvance absolument ridicule de faire systématiquement tomber amoureux deux adolescents que tout oppose, et surtout que tout destinait à se haïr pour ne pas dire s’entretuer. Mais vous comprenez, June est si belle que Day « en oublie tout le reste », et June n’a « jamais rencontré quelqu’un d’aussi beau » que Day … non mais pitié, pas ça, ils me semblaient tous les deux assez intelligents et réfléchis pour ne pas devenir gaga à la vue de l’autre !

Mais si on excepte cet énorme défaut, le reste est plutôt fort sympathique. Le contexte n’est qu’esquisser, décrit suffisamment pour que le lecteur ne se sente pas perdu, mais suffisamment peu pour maintenir un peu de mystère et d’incertitude … Nous comprenons rapidement que la « République » est un régime militaire et totalitaire qui se défend de l’être, que l’épidémie touche les plus pauvres alors que les riches reçoivent un vaccin chaque année, que les Colonies et les Patriotes sont les ennemis jurés de la République … Nous ne savons pas comment ni pourquoi les Etats Unis d’Amérique ont cédé leur place à cette République, nous ne savons pas vraiment comment est apparu cette épidémie et même ses symptômes précis, nous ne savons pas l’idéologie des Colonies ni même la philosophie des Patriotes … Nous savons juste que June fait partie de la fine fleur de la République et que Day fait partie des hors-la-loi qui s’opposent à cette même République. Cela peut sembler frustrant, au premier abord, de n’avoir que si peu d’informations, d’explications, mais c’est finalement fort efficace : notre attention ne se porte que plus naturellement encore sur nos deux jeunes héros, qui malgré un manque frappant de défauts n’en restent pas moins particulièrement attachants.

Et cela d’autant plus que, d’une certaine façon, ils sont tous les deux victimes. C’est très flagrant pour Day, qui a eu la malchance de naitre au mauvais endroit, « là où pullulent les mauvais gènes », qui n’a jamais su faire profil bas et rentrer dans le moule pour ne pas s’attirer d’ennui … On ne peut qu’avoir de la peine pour ce jeune homme qui a dû se résoudre à changer d’identité, à laisser sa famille croire qu’il est mort, à les observer de loin sans pouvoir les aider, mais qui, malgré tout ce qu’il a vécu, prend sous son aile une petite orpheline myope comme une taupe, sort du guêpier une jeune fille dont il ne connait absolument rien … Il fait certes un peu trop « Robin des bois », mais ce petit côté chevaleresque le rend finalement fort sympathique aux yeux du lecteur. Et en face de lui, nous avons June. Au début, on ne peut que la trouver tout bonnement insupportable, cette adolescente privilégiée, qui prend tout le monde de haut car elle est plus intelligente et plus douée que la moyenne. Mais il y a un petit quelque chose qui la rend profondément humaine et particulièrement émouvante : c’est son amour pour son frère ainé, et cette tristesse qui la ravage à la mort de ce dernier. Et même si cette souffrance se transforme en colère, même si cela va la pousser à faire des choses terribles qui vont faire souffrir d’autres personnes, on ne peut que compatir à sa peine …

Surtout que, comme on peut s’en douter lorsqu’on débute une dystopie, et comme on le soupçonne assez rapidement, June va découvrir que les choses sont rarement telles qu’elles semblent l’être, que les choses sont rarement aussi manichéennes (d’un côté le bien et les gentils, de l’autre le mal et les méchants) que ce qu’on a toujours voulu lui faire croire. Si certaines « découvertes » et « révélations » sont quelque peu évidentes et donc très prévisibles, si ce n’est pas sur le fond que le lecteur est surpris, c’est par la forme : j’ai beaucoup apprécié comment June, doucement, va se rendre compte que les choses sont beaucoup plus complexes, et qu’elle ne doit plus croire aveuglément tout ce qu’elle considérait comme absolument acquis. C’est quelque chose que j’aime beaucoup chez June : elle est certes surdouée, elle est certes intelligente, mais elle n’en reste pas moins assez naïve, assez innocente finalement. Et même si certains trouveront sans doute qu’elle est trop candide, je trouve cela très touchant, parce que ça montre bien qu’au fond d’elle, elle est douce et gentille, puisqu’elle ne soupçonne jamais le mal, le mensonge, chez autrui. Et c’est ce que j’ai trouvé le plus intéressant, finalement, voir comment June va doucement se rapprocher de la vérité que l’on devine au bout du tunnel …

En bref, vous l’aurez bien compris, ce que je reproche à ce premier tome, c’est vraiment d’être tombé dans les pires travers de la dystopie young adult avec cette romance tirée par les cheveux … Mais pour le reste, j’ai plutôt bien aimé, car même si un bon nombre de révélations restent très prévisibles pour le lecteur familier du genre, c’est suffisamment bien écrit pour que l’on se laisse totalement prendre au jeu. J’aime énormément l’alternance de points de vue entre les chapitres, j’aime aussi beaucoup le fait que ces-dits chapitres soient très courts : on est vraiment dans un récit très dynamique, très rythmé. Il n’y a aucun temps mort, aucune longueur, bien au contraire, on pourrait même trouver que tout va un tantinet trop vite, que les choses se dénouent bien trop rapidement … On aurait finalement apprécié que le récit compte une petite centaine de pages supplémentaires pour mieux poser les choses, mieux les approfondir, car on reste dans quelque chose d’assez superficiel, sans doute parce qu’il s’agit plus d’une introduction que de l’histoire à proprement parler … Affaire à suivre, mais une chose est sûre, j’ai justement très envie de découvrir la suite, donc c’est que l’affaire est gagnée pour l’autrice malgré ces quelques détails un petit peu dérangeants !

mercredi 22 septembre 2021

Une place à prendre - J.K. Rowling

Une place à prendre, J.K. Rowling

 Editeur : Grasset

Nombre de pages : 680

Résumé : Bienvenue à Pagford, petite bourgade anglaise paisible et charmante : ses maisons cossues, son ancienne abbaye, sa place de marché pittoresque… et son lourd fardeau de secrets. Car derrière cette façade idyllique, Pagford est en proie aux tourmentes les plus violentes, et les conflits font rage sur tous les fronts. Entre nantis et pauvres, enfants et parents, maris et femmes, ce sont des années de rancunes, de rancœurs, de haines et de mensonges, jusqu’alors soigneusement dissimulés, qui vont éclater au grand jour et, à l’occasion d’une élection municipale en apparence anodine, faire basculer Pagford dans la tragédie.

 

- Un petit extrait -

« La grande erreur commise par quatre-vingt-dix pour cent des êtres humains, selon Fats, était d'avoir honte de ce qu'ils étaient ; de mentir, de vouloir à tout prix être quelqu'un d'autre.  »

- Mon avis sur le livre -

 Autant je n’aime pas particulièrement quand un auteur connu utilise un pseudonyme quand il change de genre, comme s’il avait honte d’une partie ou d’une autre de sa production littéraire, comme si c’était une tare que d’écrire à la fois de la littérature de l’imaginaire pour la jeunesse et de la contemporaine pour adulte … autant je suis toujours très méfiante et quelque peu agacée lorsqu’une maison d’édition ne s’appuie que sur le nom d’un auteur pour vendre son roman sortant de son genre habituel. C’est très probablement parce que la quatrième de couverture de ce roman ne dit absolument rien de l’histoire mais tout du fait qu’il s’agit du « premier roman pour adulte qui révèle sous un jour inattendu un écrivain prodige » en rappelant en très gros – au cas où on n’aurait pas reconnu son nom – que « J.K. Rowling est l’auteur de la série Harry Potter, lue et traduite dans le monde entier », que j’ai mis tellement longtemps à l’acheter en occasion au détour d’une bourse aux livres et plus longtemps encore à le sortir de l’étagère où il avait été oublié. Quand un éditeur ne joue que sur la notoriété de l’auteur pour vanter un livre, j’ai toujours peur que le livre n’ait aucune qualité par lui-même …

Barry Fairbrother n’avait aucune envie d’aller diner au restaurant avec sa femme ce soir-là … Tout ce qu’il désirait, c’était terminer tranquillement l’article qu’il était en train d’écrire sur la jeune Krystal Weedon, sa petite prodige de l’aviron issue du quartier très défavorisé dont il s’efforce de plaider la cause au conseil paroissial qui souhaite se débarrasser de cette responsabilité nuisant à l’image coquette de la petite bourgade de Pagford. Malgré tout, pour ne pas contrarier sa femme le soir de leur anniversaire de mariage, Barry a invité son épouse au restaurant. Il meurt d’une rupture d’anévrisme sur le parking, laissant derrière lui une femme éplorée, quatre enfants orphelins, une équipe d’aviron sans entraineur … et surtout, une place vacante, une place à pourvoir, au sein du fameux conseil paroissial. C’est le début d’une lutte sans merci entre les partisans de feu Barry Fairbrother, défenseur de la veuve et de l’orphelin, et ceux d’Howard Mollison, président du conseil paroissial, dont les principaux objectifs sont de faire fermer la clinique de désintoxication Bellchapel et de faire sortir le quartier des Champs de la juridiction de leur bourgade … Mais cette « campagne électorale » inattendue va avoir des conséquences tout aussi inattendues sur la vie des habitants de Pagford.

Comme cela m’arrive parfois, j’ai du mal à savoir si j’ai aimé ce livre ou non … tout simplement parce qu’il y a du bon, et même du très bon, et du moins bon, du beaucoup moins bon. Et quand bien même le « moins bon » est quantitativement parlant bien moins présent que le « très bon », il est suffisamment marquant pour me laisser un petit arrière-gout dans la bouche, une petite amertume qui gâche tout le reste. Et c’est d’autant plus dommage que ce petit quelque chose amer aurait très aisément pu être évité … car ce qui m’a réellement dérangé dans ce récit, c’est la vulgarité à outrance. Un peu, ça passe, trop, ça casse. Est-ce par volonté d’arracher une bonne fois pour toute l’étiquette « autrice jeunesse » collée à son front que J.K. Rowling a sombré dans cette surabondance de termes aussi grossiers ? Elle aurait pu, à mon humble avis, s’en dispenser, car le récit aurait été drôlement meilleur s’il n’avait pas été parasité par ce vocabulaire de charretier … En effet, l’histoire en elle-même avait parfaitement tout pour me plaire : contrairement à ce que j’imaginais, ce n’est pas un polar, loin de là, mais bien une satire sociale portée par un narrateur sarcastique à souhait, un portrait pas forcément très reluisant et un tantinet caricatural mais tout de même saisissant des aspects les plus inavouables des sociétés humaines … L’autrice lève le voile sur toutes ces petites et grosses hypocrisies du quotidien, mais aussi toutes ces petites et grosses misères bien planquées derrière les plus belles façades …

Tout commence par un événement des plus banals : un homme meurt d’une rupture d’anévrisme alors qu’il allait diner avec sa femme. Cela peut arriver absolument n’importe où, à n’importe qui. Mais Barry n’était pas n’importe qui : Barry était le principal opposant au Premier Citoyen de la petite bourgade de Pagford, et sa mort brise l’équilibre fort précaire qui régnait au Conseil paroissial. Et le cercueil en osier du pauvre homme est à peine mis en terre que tout le monde ne songe déjà plus qu’à une chose : qui va prendre sa place ? Et ce qui n’aurait pu être qu’une petite élection tranquille, comme cela aurait dû être le cas dans une localité aussi petite et insignifiante, se transforme en une véritable tragédie collective. Chapitre après chapitre, nous rencontrons une ribambelle de personnages, aussi différents les uns des autres, impactés de près ou de loin par le décès de Barry Fairbrother. Se dessine alors une immense toile d’araignée, un immense réseau de personnes dont les destins s’entremêlent et s’influencent quand bien même elles ne se connaissent pas directement. Ça, c’est quelque chose que j’ai énormément apprécié, contrairement à certains lecteurs qui déplorent le nombre conséquent de points de vue et les transitions invisibles entre chaque : oui, nous passons en l’espace d’une seule ligne d’un personnage à un autre, mais c’est justement ce passage de relais qui rend la chose aussi poignante !

Car il n’y a pas à dire, il y a derrière ce côté un peu satirique, ironique, sarcastique, quelque chose de bien plus profond. Comment ne pas être bouleversé par le destin de la jeune Krystal, qui derrière son insolence et sa violence cache en réalité un sacré fardeau : celui d’une mère en proie à la toxicomanie, celui d’un petit frère qui risque à tout instant de lui être arraché … Comment ne pas être chamboulé par la détresse silencieuse de la jeune Sukhvinder, la « moins que rien » qui fait la honte de ses parents, médecins, qui attire toutes les moqueries de la part de ses camarades de classe, et qui chaque nuit sort une lame de rasoir du ventre de son doudou pour exorciser sa souffrance dans la douleur … Bien sûr, dans le lot, il y en a certains que nous ne parvenons pas à plaindre, parce que c’est en faisant du mal aux autres qu’ils expriment leur mal-être, voire même que nous abhorrons purement et simplement, parce qu’ils sont tout bonnement horriblement imbus de leurs personnes et exécrables. Mais le véritable fil rouge de ce récit, ce n’est pas vraiment la vacance fortuite de ce siège au conseil, c’est bien plus cet engrenage furieux né des rancœurs et des jalousies, des haines et des envies, des passions et des cachotteries. Tandis que ceux qui ambitionnent de contrôler ce petit bout de monde se déchirent pour faire valoir leur point de vue étriqués, ceux qui ont véritablement besoin d’eux meurent à petit feu, parce qu’ils sont trop insignifiants pour être écoutés, pour être entendus …

En bref, vous l’aurez bien compris, ce fut une lecture en montagnes russes. Parfois, je me disais que c’était vraiment excellent, et d’autres fois, je grimaçais tant cela me mettait mal à l’aise. Malgré quelques clichés, inévitables quand on se lance dans ce genre de récits mettant en scène autant de personnages, j’ai plutôt apprécié le fond, cette chronique pleine d’humour noir sur ce qui se cache réellement derrière les masques et les apparences, cette chronique grinçante qui dévoile ce que le politiquement correct voudrait qu’on garde bien caché au fond des caves … Il y a les conflits sous-jacents, les rancunes inconscientes, il y a les conflits ouverts, les rancœurs pleines de colère … Il y a les douleurs qui se taisent, et celles qu’on met en scène … Et tout ceci se mélangent dans un amas informe d’existences qui se côtoient comme autant de petits drames. Mais c’est la forme qui m’a le plus dérangée : j’ai certes aimé ce côté sarcastique, justement, ce côté très incisif et mordant, mais je déplore vraiment cette vulgarité qui colle à la peau, qui dénature ce qui aurait pu rester un roman doux-amer, et qui en devient purement salace, et c’est vraiment très dommage, car ça aurait pu être vraiment très bon sans ce travers …