samedi 30 juillet 2022

L'étoile de Kazan - Eva Ibbotson

L’Etoile de Kazan, Eva Ibboston

 Editeur : Albin Michel

Collection : Wiz
Nombre de pages :
455

Résumé : La naissance d'Annika est un mystère. Abandonnée dans une église en pleine montagne, elle a été élevée par une famille excentrique de Vienne. Sa vie bascule lorsque sa vraie mère réapparaît et l'emmène vivre dans son château morne et glacée, en Allemagne. Heureusement, elle trouve l'amitié auprès du jeune palefrenier, Zed, un gitan passionné par les chevaux et qui rêve de rentrer à la prestigieuse école d'équitation de Vienne. Ensemble, ils vont vivre des aventures extraordinaires et découvrir de terribles secrets....

 

- Un petit extrait -

« Je ne sais pas si vous me croyez, mais je jure sur la tête de Rocco que je dis la vérité. J'avais peur, parce que je savais que Frau Edeltraut me détestait. Elle trouvait que son père m'avait trop gâté, et elle attendait l'occasion de se débarrasser de moi. J'ai donc décidé de partir et d'aller retrouver le peuple de ma mère en Hongrie. Ce sont des Tziganes, et je savais qu'ils me prendraient avec eux. Mais j'ai peur pour Annika, parce qu'elle ne devrait pas être avec une femme qui dit des mensonges, et pire. »

- Mon avis sur le livre -

 Je ne sais pas vous, mais à chaque fois que je m’apprête à redécouvrir un livre que j’avais profondément apprécié durant mon enfance ou mon adolescence, je ne peux m’empêcher d’être un peu anxieuse : et si, cette fois-ci, je n’aimais plus du tout ? Et si j’étais même profondément déçue ? Et si cette déception supplantait jusqu’à cette tendre nostalgie qui m’habitait à chaque fois que je resongeais à ce roman ? Le risque en vaut-il vraiment la chandelle ? Ne serait-il pas plus sage de rester sur cette note positive, plutôt que d’espérer revivre la même expérience de lecture, des années plus tard ? D’ailleurs, peut-on véritablement apprécier le même livre à douze ans et à vingt-cinq ? N’est-ce pas totalement utopique d’espérer que nos gouts littéraires soient toujours les mêmes, alors qu’on a irrémédiablement changé entre temps ? La tentation est souvent grande de céder à cette petite voix horriblement raisonnable, de reposer le livre sur son étagère, de se contenter d’un petit soupir et sourire mélancolique en repensant à l’enthousiasme de la première lecture à chaque fois que notre regard se pose sur la couverture … Mais pour ma part, l’envie de renouer avec la petite lectrice que j’étais est bien plus fort que cette inquiétude de tout gâcher. Eva Ibbotson, c’est l’autrice de mon retour au collège après ma phobie scolaire : Reine du fleuve et L’Etoile de Kazan sont les premiers livres que m’a conseillé la documentaliste. Tandis que j’envisage de faire mon retour dans le « monde normal », je me suis dit que me replonger dans un de ces récits était symboliquement une bonne idée ...

Comme chaque deuxième dimanche du mois, Ellie et Sigrid, respectivement cuisinière et femme de chambre des professeurs Julius, Emil et Gertrude, passent leur jour de repos en montagne. Ce jour-là, Ellie a faussé compagnie à son amie pour aller prier pour l’âme de sa mère dans la petite église au creux de la montagne … Et voici qu’elle trouve, au pied de l’autel, un petit paquet de tissu remuant et gémissant : un bébé, un minuscule petit bébé ! L’orphelinat des bonnes sœurs étant en quarantaine à cause d’une foudroyante épidémie de typhus, les deux femmes se voient obligées de ramener le nourrisson chez leurs employeurs, qui acceptent avec réticence qu’elles s’occupent de cette petite orpheline jusqu’à ce que le couvent puisse rouvrir ses portes …. Mais douze ans plus tard, Annika est toujours là. Par son esprit vif et son cœur doux, elle a su se faire apprécier de tous les membres de la maisonnée : Ellie et Sigrid sont pour elle des mères dévouées, et les professeurs des oncles et tantes attentionnés. Devenue l’amie de tous dans le quartier, Annika a tout pour être parfaitement heureuse. Mais elle ne peut s’empêcher, soir après soir, dans le secret de son grenier, de se demander pourquoi elle a été abandonnée et rêver que sa mère adoptive sonne à la porte pour l’emmener avec elle … Aussi, le jour où une grande et belle dame sonne à la porte, à la recherche de sa « petite fille perdue », peu après ses douze ans, Annika a le sentiment que son cœur va exploser de joie. Mais elle est très loin d’imaginer ce qui l’attend « chez elle », loin, très loin de Vienne …

La littérature jeunesse aime décidément beaucoup les pauvres petits orphelins … mais il faut bien reconnaitre que cela marche à tous les coups ! Comment ne pas se prendre immédiatement d’affection pour ce pauvre enfant sans famille, qui ne sait pas d’où il vient, qui ne sait même pas s’il a été abandonné ou si ses parents sont décédés ? Comment ne pas être attendrie face à cette petite Annika, fillette adorable au possible, qui en dépit de tout l’amour de sa famille adoptive ne peut s’empêcher de se demander pourquoi sa famille biologique l’a ainsi abandonnée dans une église ? La détresse d’Annika, discrète car elle ne veut en aucun cas inquiéter ni blesser les deux femmes qui l’ont recueillie, est touchante sans jamais sombrer dans le pathos à outrance : juste la souffrance délicate d’un cœur débordant de douceur, de tendresse et d’innocence, d’une petite âme blessée qui a besoin de se sentir aimée, désirée. Lorsqu’Annika rêve que sa mère biologique vient la chercher, ce n’est nullement parce qu’elle est malheureuse aux côtés d’Ellie et Sigrid, ce n’est même nullement parce qu’elle souhaite véritablement les quitter … c’est juste parce qu’elle a besoin de savoir que sa mère biologique l’aimait et voulait d’elle, et ne l’a abandonnée seulement parce qu’elle n’avait pas d’autre choix, pas d’autre option. Alors Annika rêve, sans savoir que, parfois, à rêver trop fort, les rêves deviennent réalité … mais que c’est parfois trop beau pour être vrai. Sans savoir que les plus beaux rêves peuvent parfois se transformer en véritable cauchemar.

Car contrairement à ce que l’étiquette « jeunesse » peut laisser penser, il n’y a rien d’enfantin dans ce roman : bien au contraire, il dépeint des réalités particulièrement sombres et cruelles. A travers les monstrueuses manigances de Frau Edeltraut, c’est toute la cupidité de l’homme qui est pointée du doigt : que ne feraient pas les grandes personnes pour l’appât du gain, pour assouvir cette soif insatiable de richesse et de prestige social ! Déjà enfant, j’étais effarée et révoltée de voir que pour l’argent, certains ne reculent devant aucune bassesse : comment peut-on aller jusqu’à profiter ainsi de la bonté et de la naïveté d’une pauvre enfant qui ne demande rien de plus que d’être aimée et choyée, comment peut-on aller jusqu’à mentir ainsi à une petite fille si généreuse et innocente ? Comment peut-on être aussi vil et insensible et continuer à se regarder dans le miroir comme si de rien n’était, et plus encore comment diable peut-on n’éprouver absolument aucun remord et continuer à se faire passer pour une pauvre victime ? L’hypocrisie n’a-t-elle donc aucune limite en ce bas monde ? Sans doute qu’elle continuera à prospérer gaiement aussi longtemps qu’il y aura des âmes aussi douces qu’Annika, des cœurs prêts à pardonner même les plus horribles trahisons, même les plus effroyables tromperies. Annika a un cœur tellement gros, tellement pur, qu’elle parvient même à plaindre une personne qui n’avait aucun scrupule à la manipuler et la voler ! Si Annika est particulièrement généreuse et miséricordieuse, je trouve tout de même que ça montre bien la grande différence entre un enfant et un adulte … Il n’y a pas ni malice ni rancune dans le cœur d’un enfant. Juste beaucoup d’amour.

Mais ce roman, c’est aussi et surtout une palpitante aventure, et une grande et belle histoire d’amitié. Il y a la loyauté farouche de Zed, jeune tzigane en fuite avec un cheval qu’il a volé, ne pouvant se résoudre à le laisser entre les mains de son cavalier cruel et violent : il aurait pu se contenter de rejoindre les siens et de laisser cette gosse de noble se débrouiller, mais il a préféré tout risquer pour aider cette petite fille si serviable qui ne l’a jamais prit de haut. Il y a le courage inouï de la petite Pauline, souffrant d’agoraphobie, qui pour sauver son amie va entreprendre seule un terrifiant voyage sur les pas de la vérité : sans aucun doute l’acte le plus héroïque de tout le roman, qui m’a évidemment d’autant plus impressionnée que je souffre du même trouble. Il y a l’ingéniosité de Stefan, qui sait faire feu de tout bois (ou arme de toute harpe, comprendra qui lira) pour rattraper le coup même quand tout semble définitivement perdu : ce passage est assurément le plus « tendu » de tout le roman, j’avais le cœur qui battait à mille à l’heure en dépit de mon nouveau traitement pour ralentir mon rythme cardiaque ! Et il y a, bien sûr, surtout, l’amour infini d’Ellie pour celle qui sera toujours sa petite fille à elle : envers et contre tout, elle la retrouvera. Tandis que la pauvre petite Annika évolue dans un univers froid, hostile et corrompu par la sournoiserie, il y a tout ce beau petit monde qui œuvre pour la sauver avant qu’il ne soit trop tard. La tension monte au fur et à mesure que les différentes révélations surviennent, peut-être un peu trop prévisibles pour un lecteur adulte, mais indiscutablement incroyables pour le jeune lecteur qui ne peut que rester bouche-bée tandis que la sombre machination se dévoile !

En bref, vous l’aurez bien compris : mon verdict est assurément le même que la première fois, c'est une histoire fabuleuse, vraiment poignante, bouleversante. A vrai dire, j’ai toujours trouvé qu’il y avait un petit quelque chose « à la Zola » dans ce roman : les descriptions de Vienne, de ses petites coutumes, du petit train-train quotidien de la place où s’égayent petits bourgeois et familles modestes, les descriptions de la misère qui s’est abattu comme un voile de ténèbres sur la demeure anciennement illuminé de gloire et de noblesse des von Tannenberg, comme un écho à la noirceur de l’âme de la maitresse de maison … définitivement, il y a une ambiance à la Zola qui m’a toujours ravie au plus haut points ! Mais bien évidemment, roman jeunesse oblige, on reste sur quelque chose de plus léger, de plus joyeux, de plus optimiste : on se doute bien que tout finira parfaitement bien, on se doute bien que notre pauvre petite Annika ne finira pas ses jours dans cette grande et froide maison où elle ne peut faire ce qu’elle aime, où elle est loin de tout ceux qui l’aiment et qu’elle aime … C’est typiquement un de ces romans qui vous fait passer par toute la gamme des émotions : du do de la douleur au si de la sidération en passant par le la de l’amusement. J’ai ri, pleuré et tremblé d’effroi comme de soulagement, j’ai galopé au côté de Zed, soupiré au chevet d’Annika, écarquillé les yeux à la découverte de Pauline : un roman d’aventure comme je les aime, palpitant et émouvant à la fois ! Quel bonheur de l’avoir à nouveau entre les mains !

samedi 23 juillet 2022

L'Estrange Malaventure de Mirella - Flore Vesco

L’estrange malaventure de Mirella, Flore Vesco

 Editeur : L’école des loisirs

Collection : Medium
Nombre de pages :
216

Résumé : Moyen-Âge. Les rats ont envahi la paisible bourgade d’Hamelin. Vous croyez connaître cette histoire ? Vous savez qu’un joueur de flûte va arriver, noyer les rats en musique, puis les enfants d’Hamelin ? Oubliez ces sornettes. La véritable histoire est bien pire, et c’est grâce à Mirella, une jeune fille de quinze ans, qu’on l’a enfin compris. Cette crève la-faim a un don ignoré de tous : elle voit ce que personne d’autre ne voit. Par exemple, elle a repéré cet homme en noir qui murmure à l’oreille de ceux qui vont mourir de la peste… Et ça lui donne une sacrée longueur d’avance. Y compris sur le plus célèbre dératiseur de tous les temps.

 

- Un petit extrait -

« Partout ailleurs dans le Saint Empire germanique, les incendies dévoraient des quartiers entiers une fois par mois, car les bâtisses en bois, entassées les unes contre les autres, s'enflammaient promptement. Alors qu'à Hamelin, les incendies étaient tout aussi fréquents. Mais les habitants les éteignaient bien vitement, le bourgmestre ayant fait installer l'eau courant. Cette eau courante était sans conteste l'invention dont le bourgmestre était le plus fier. Il avait eu l'idée voilà sept années. Pour cela, il avait nommé dix porteurs d'eau, choisis par les enfants trouvés d'Hamelin.  »

- Mon avis sur le livre -

 Oyez, oyez, l’heure du conte a sonné ! Tremblez, tremblez, l’heure du conte est arrivée … Certains d’entre vous le savent bien : les contes tels qu’on nous les raconte dans notre prime enfance ne sont que des versions fort édulcorées et fort enjolivées des récits originaux. Saviez-vous qu’à l’origine, le loup déguisé oblige le petit chaperon rouge (qui était alors un petit garçon) à manger un peu de viande et boire un peu de vin, en réalité la chair et le sang de sa mère-grand ? Saviez-vous qu’en réalité, Boucle d’Or se voit tout bonnement déchiquetée et dévorée par les trois ours, et que les demi-sœurs de Cendrillon se sont mutilés les pieds pour tenter d’enfiler les fameux escarpins de verre ? Définitivement pas des histoires du soir pour endormir les marmousets innocents et impressionnables !  Alors on raconte que le petit chaperon rouge (devenu une petite fille) et sa grand-mère ont été sauvées par un chasseur, que la famille ourse aide obligeamment la pauvre Boucle d’Or à retrouver le chemin de sa propre maison, et que la demi-sœur de Cendrillon obtient le pardon de cette dernière et file le parfait amour avec un simple boulanger … Mais tous les contes ne se prêtent pas aussi obligeamment à un tel embellissement : l’histoire du Joueur de flute d’Hamelin conserve farouchement son funeste dénouement, son implacable morale. Mais imaginez un instant que nous nous fourvoyions collectivement, et que la vérité soit toute autre encore. Laissez donc Flore Vesco vous conter une autre version de ce conte si macabre …

Hamelin n’est définitivement pas une bourgade comme toutes les autres. Le prêtre bénissant annuellement caniveaux, pots de chambre et intestins de ses ouailles, ceux qui se trouvent au mauvais moment au mauvais endroit lorsque la ménagère balance les eaux souillées dans la rue ne reçoivent que des déjections sacrées. Et quand bien même les rues sont toutes aussi malfamées qu’ailleurs lorsque la nuit tombe, le bourgmestre s’est engagé à reverser trois florins aux familles des victimes, si tant est que la victime soit véritablement morte. Pour que les bourgeois puissent faire preuve et étalage de leur grande générosité, le bourgmestre a nommé trois mendiants officiels, chacun officiant dans le secteur qui lui a été attribué. Mais la plus grande fierté du bourgmestre, sa plus brillante invention, c’est la mise en place de l’eau courante : chaque quartier est placé sous la responsabilité d’un porteur d’eau, orphelins affublés de deux seaux qui passent leur journée à galoper de la rivière jusqu’à son secteur pour accourir là où on les sonne. Généreusement recueillis, nourris, logés et éduqués par les nonnes, ces mioches doivent dix ans de bons et loyaux services à la ville. Pour sa part, cela fait déjà sept bonnes années que Mirella porte l’eau, sans jamais se plaindre, sans jamais faillir, sans jamais faire d’esclandre. C’est l’unique moyen de survivre, quand on est tout en bas de l’échelle sociale d’Hamelin : ployer la nuque, garder le regard baissé, faire ce qu’on nous demande. Mais l’arrivée d’un homme en noir, et de milliards de rats, risque bien de bouleverser la vie de la jeune Mirella ...

A l’instar des contes, nous oublions souvent que notre vision du Moyen Age est pour le moins idéalisée, édulcorée, enjolivée. Bercés par les délicats récits de preux chevaliers, de gentes damoiselles, de festives joutes et autres historiettes réjouissantes, nous en oublions souvent que pour les petites gens de cette lointaine époque, le quotidien était fait de labeur, de crasse, de maladies, de misère. Les rues puaient, les maisons puaient, les vêtements puaient, les gens puaient. Partout la mouise sévissait, et pauvre de vous si vous croyez que les gens s’entraidaient : c’était chacun pour soi. Tout au plus, on prenait la peine de s’occuper des orphelins les plus costauds, dans l’espoir qu’ils puissent servir un jour. A Hamelin, par exemple, on cherche toujours des mioches pour devenir porteur d’eaux : le bourgmestre a promis à ses sujets qu’ils auraient l’eau courante, alors ils auront l’eau courante, pour ne pas mettre sa fierté en péril. Mirella fait partie de ces gamins à qui l’on a confié deux seaux et l’immense responsabilité d’approvisionner tout un quartier en eau. Du haut de ses quinze ans, Mirella est une gueuse tout ce qu’il y a de plus ordinaire. On ne la remarque pas, sauf quand elle lambine trop, que ses vêtements trop trempés laissent entrapercevoir les formes naissantes de la jouvencelle encore pucelle … ou que ses cheveux flamboyants, indéniablement œuvre du diable lui-même, dépassent un peu trop du chiffon qu’elle noue autour de sa tête.

Vous l’aurez bien compris, Mirella compte parmi la lie de la société d’Hamelin, parmi les moins que rien, ceux que l’on traine dans la boue quand on a la chance d’être un tantinet mieux loti. Misérable parmi les miséreux. Mais contrairement à bien d’autre, Mirella ne s’est pas laisser abattre par son triste sort, et elle ne s’est pas non plus laissé envahir par l’aigreur et la haine. Alors même que beaucoup voient en elle une enfant du Démon, une fille du Malin, Mirella est sans nul doute l’âme la plus douce et la plus pure de cette bourgade. Alors même qu’elle trime déjà du matin au soir, alors même qu’elle doit batailler ferme pour que ses « camarades » ne lui volent pas sa pitance, alors même qu’elle subit continuellement railleries et avances salaces, la jeune fille ne va pas hésiter une seule seconde à prendre sous son aile le petit Pan, à assurer en partie son service, à servir de l’eau à un lépreux, à veiller sur deux petites orphelines effrayées. Tandis que règne le « chacun pour sa pomme », Mirella ne peut visiblement s’empêcher de donner le peu qu’elle a à ceux qui peinent encore plus qu’elle. Et, bien loin de céder au découragement, au désespoir, au désarroi, bien loin de se laisser entrainer par la langueur et la morosité, Mirella illumine sa vie et celle de ses compagnons d’infortune par les chants qui ne cessent de lui trotter dans la tête. Rien de tel qu’un peu de musique pour égayer les tâches les plus ingrates, pour garder à distance les peurs les plus tenaces ! Solaire sans le savoir, Mirella fait partie de ces personnes qui mettent du baume au cœur par sa simple présence …

Mais on s’en doute, à cette sombre époque où les superstitions ont la peau dure, où le prêtre et ses sermons endiablés promettent les feux de l’enfer aux âmes aux mœurs décadents, la pauvre Mirella va rapidement se voir pointer du doigt. Lorsque les rats envahissent le bourg, apportant avec eux la peste et la mort, comme un seul homme les villageois vont se retourner contre celle qui dénote, qui détonne. Mirella est trop résiliente pour son époque, trop courageuse pour une femme, trop  généreuse pour être honnête. La peur et la haine entremêlées font leur œuvre dans l’esprit de la foule désespérée, qui ne demande rien de plus qu’un bouc émissaire, qu’un agneau à sacrifier dans l’espoir de lutter contre le mal qui ronge leur ville. Mais les masses sont aveugles, elles ne voient pas que la menace est ailleurs. Mirella, elle, le sait, le voit. Et alors même qu’elle n’a subi qu’humiliations et malveillances de la part de tous ces habitants terrés dans leur chambre comme des brebis apeurées dans leur étable, elle entend bien mettre fin au carnage créé par ce mystérieux homme en noir que nul autre qu’elle ne voit. Généreuse, courageuse, audacieuse, irrévérencieuse, Mirella se métamorphose soudainement : c’est décidé, elle ne sera plus jamais cette enfant docile qui baisse la tête, qui tremble au moindre éclat de voix, qui se laisse faire sans mot dire. En affrontant cet homme qui apporte peste et mort, c’est également la servitude et l’injustice que Mirella combat. Avec pour seules armes sa détermination … et une flute.

Je pourrais vous parler fort longuement encore de ce tout petit roman de deux-cent pages à peine, mais il me semble difficile de lui rendre pleinement honneur. Déjà parce qu’il est subliment bien écrit, dans un fort délicat mélange entre notre parlé contemporain et le dialecte archaïque de l’ancien français : c’est un peu comme si un guilleret troubadour était arrivé du passé et s’était invité par chez vous pour vous conter cette estrange et méconnue malaventure ! C’est pour le moins audacieux, à la limite de l’aventureux, mais le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est fort élégamment mené ! Ensuite, parce qu’il jongle tout aussi joliment entre une certaine dose de noirceur, avec la misère quotidienne de cette bourgade médiévale et l’arrivée de la peste, et une dose tout aussi certaine de légèreté, avec cet humour caustique, pour ne pas dire sarcastique, qui pointe du doigt toutes ces petites choses qui font que l’homme est homme … mais que l’homme est bestial. Il y a vraiment ce côté très irrévérencieux, très impertinent, cette ironie grinçante qui tourne allégrement au ridicule tous ceux qui se croient plus importants parce qu’ils ont un coffre rempli d’or ou une « belle et longue instruction » : on est à la limite de la satire sociale, et vous savez à quel point j’aime ça ! Et enfin, parce que c’est un récit qui ne peut que surprendre, étonner, et donc fasciner, subjuguer : prenant à pied et à contre-pied ce conte que tout le monde pense connaitre par cœur, l’autrice tisse une histoire palpitante et émouvante, avec laquelle on ne sait jamais sur quel pied danser. On se laisse prendre au jeu, prêts à danser au son de la flute, embarqué dans cette folle épopée vraiment pas comme les autres ! A lire, absolument.

samedi 16 juillet 2022

Dark Bane, tome 3 : La dynastie du mal - Drew Karpyshyn

Dark Bane3, Drew Karpyshyn

La Dynastie du Mal

 Editeur : Pocket

Nombre de pages : 284
Résumé : Vingt ans se sont écoulés depuis que Dark Bane s'est imposé comme le dernier Seigneur Noir des Sith. Désormais ne subsistent plus que lui, pour incarner le pouvoir, et son apprentie, pour le convoiter. À l'issue d'un ultime duel, Zannah doit le tuer et prendre sa place, mais elle tarde à relever le défi. Bane, qui refuse de voir son rêve se briser à cause de la faiblesse de son apprentie, s'est juré de trouver l'holocron de Dark Andeddu qui renferme le secret de l'immortalité. Afin de mener ses plans à bien, il éloigne Zannah. Seulement, elle n'est pas dupe. Il est temps pour elle de passer à l'action...

 

- Un petit extrait -

« Les gens acceptaient toujours plus aisément un mensonge quand celui-ci correspondait à leur souhait et leur espoir. »

- Mon avis sur le livre -

 D’ordinaire, je traine des pieds au moment d’entamer le dernier tome d’une saga : je déteste fort viscéralement devoir dire au revoir aux personnages, et je souhaite retarder autant que possible ces adieux. Mais cette fois-ci, c’était tout le contraire : j’avais follement envie d’arriver à la fin de cette trilogie, car tout ce qui m’importait, c’était de savoir comment tout cela allait bien pouvoir se terminer ! Plus que la destinée des personnages, c’est bel et bien l’avenir de cette fameuse « Règle des Deux » qui est au cœur de l’intrigue de ce troisième opus et des préoccupations du lecteur : est-elle véritablement capable d’insuffler un nouveau souffle à l’ordre Sith, au bord de l’extinction car un seul individu a eu une « révélation » à la limite du mystique ? Un Maitre. Un Apprenti. Le premier pour incarner le pouvoir. Le second pour le convoiter. Ce cycle supposé se répéter continuellement doit garantir que chaque nouveau Maitre sera plus puissant que son prédécesseur, jusqu’au jour où le Côté Obscur sera suffisamment fort pour vaincre une fois pour toutes les Jedi. Et les Sith régneront alors sans concession sur toute la galaxie. Dans la théorie, c’est ambitieux, mais pas complétement absurde – en tâchant de réfléchir comme un Sith, bien évidemment …

Mais dans la pratique, qu’en est-il ? Dans la pratique, les choses semblent bien moins reluisantes … Cela fait déjà vingt ans que Dark Bane, nouveau et unique Seigneur Noir des Sith, a recueilli et pris comme apprentie la jeune Zannah, orpheline à l’instinct de survie farouche et au potentiel plus que prometteur. Vingt ans qu’il la guide sur la voie du Côté Obscur, vingt ans qu’elle assimile ses enseignements avec une aisance inouïe et une avidité insatiable. Mais vingt ans qu’elle semble se satisfaire de son statut d’Apprentie. A-t-elle véritablement l’ambition dévorante indispensable pour être digne de lui succéder, le moment venu ? Compte-t-elle seulement un jour le défier pour prendre sa place, comme le veut la Règle des Deux ? A-t-il commis une erreur en la choisissant ? En s’efforçant de faire renaitre l’Ordre Sith de ses cendres, l’a-t-il en réalité condamné à l’extinction ? Tout en cherchant le moyen de remédier à la dégénérescence de son corps, usé par les années et affaibli par l’utilisation intensive du Côté Obscur, Dark Bane se demande s’il n’est pas temps pour lui de se trouver un nouvel apprenti, plus digne de lui … De son côté, Zannah le sent : il est grand temps pour elle de réclamer son dû en tant que Dame Noire des Siths. Elle voit bien que son Maitre décline, qu’il s’affaiblit un peu plus chaque jour, même s’il s’efforce de lui dissimuler … Mais il l’a bien formé : elle ne peut pas écarter totalement le risque que tout ceci ne soit qu’une ruse, pour voir si elle se jettera sans discernement ni patience dans la gueule du loup, qu’une nouvelle épreuve pour voir si elle est digne ou non de prendre sa place. Si elle veut le vaincre, elle doit prendre l’initiative, et non pas le laisser tirer les ficelles ...

Sur bien des points, les récits de l’univers Star Wars se rapprochent bien plus de la fantasy que de la pure science-fiction. Et je ne parle pas ici de la Force, même si nul ne peut nier que c’est de la magie qui se défend de l’être. Non, je parle bien plus de cette idée de transmission, de ce lien entre un mentor et un jeune élève. Toute l’intrigue de ce troisième tome est profondément nouée autour de cette relation de Maitre à Apprenti, de celui qui enseigne, qui donne, à celui qui apprend, qui reçoit … et qui est appelé, à son tour, à enseigner, à donner. Un cycle immuable de transmission et de réception, pour que les savoirs ne se perdent jamais, génération après génération. Mais dans le cas présent, ce lien est comme perverti par la nature même de cet enseignement : les voies du Côté Obscur affirment que l’Apprenti ne doit pas seulement succéder à son Maitre, mais le défier, le vaincre, le supplanter, le surpasser. Loin d’être indestructible comme c’est le cas en fantasy, ce lien est au contraire voué à la destruction : dans l’idéologie Sith, il n’est pas question de respect (du moins pas dans le sens le plus noble du terme) ou d’attachement, le Maitre n’est finalement qu’un moyen pour l’Apprenti de faire fructifier son potentiel. Et le jour où le Maitre n’a plus rien à lui apprendre, à lui apporter, alors l’heure sera venue de s’en débarrasser comme on jette un vieil outil à la déchetterie. Sans remords ni regrets. On ne va pas se mentir, l’amoureuse de fantasy que je suis a bien du mal avec cette vision des choses … mais le grand génie de l’auteur, c’est justement de nous faire nous intéresser malgré tout à cette relation Maitre/Apprentie si « malsaine ».

Car il y a quelque chose de fascinant dans cette « obsolescence programmée » de ce lien de mentorat et d’apprentissage. Bane et Zannah le savent tous les deux : ils ne seront pas éternellement le Maitre et l’Apprenti l’un de l’autre. Un jour viendra, inévitablement, où ils ne pourront plus se satisfaire de ce statu quo, plus fragile qu’il n’en a l’air. Ils attendent et espèrent tout deux cette confrontation fatidique, autant qu’ils la redoutent. L’un comme l’autre savent pertinemment que l’autre a soigneusement caché certaines aptitudes, certains atouts, en prévision de ce face à face décisif. Et l’un comme l’autre a très envie de prouver à l’autre qu’il a savamment su lui cacher l’étendue de ses pouvoirs, de ses savoirs. Mais aucun des deux n’est suffisamment sûr de lui pour ne pas craindre l’issue de ce combat. Alors, l’un comme l’autre essaye de mener l’autre par le bout du nez, tente de ne pas se laisser mener par le bout du nez. Jeu du chat et de la souris, où chacun est tour à tour, et même simultanément parfois, chat et souris. Proie et prédateur. Chacun persuadé d’avoir pris l’avantage, d’avoir une longueur d’avance, pour ensuite découvrir qu’il a au contraire un train de retard. Ruse et patience : qu’ils le veuillent ou non, Bane et Zannah se ressemblent énormément. Comme un Maitre et son Apprentie, quand bien même ils sont voués à tenter de s’entretuer. Et le vainqueur oubliera le vaincu, comme on oublie une fourmi écrasée sous son talon : chez les Siths, le faible ne mérite aucun honneur, aucune pensée … Mais ils sont les deux facettes d’une même pièce, inséparables quoi qu’ils en pensent, car Bane a façonné Zannah autant que Zannah a façonné Bane. Quoi qu’il arrive, ces deux décennies laisseront des traces indélébiles chez le survivant.

Cette confrontation à venir, elle est évoquée dès la deuxième ou troisième page du prologue … Mais elle tarde à arriver. Elle se profile à l’horizon, c’est indéniable, mais elle est sans cesse retardée par mille et une circonvolutions, par plusieurs sous-intrigues parallèles qui viennent s’entremêler à cette Intrigue Principale. Complexifier, c’est bien. Laisser mariner le lecteur, c’est bien aussi. Mais point trop n’en faut : un peu de frustration donne envie de dévorer chapitre après chapitre, trop de frustration donne simplement envie de jeter le livre au feu. A vouloir bien faire, l’auteur en a trop fait (comme beaucoup d’autres, c’est un mal très répandu chez les auteurs) : au bout d’un moment, le lecteur en a tout simplement assez que le récit tourne ainsi en rond, fasse du surplace. Pas la peine de nous rabâcher trois, six, dix fois que Bane et Zannah sont tous les deux tiraillés par l’incertitude, le doute, par l’envie d’en finir et la crainte d’avoir été trop impatient. On a bien compris que l’un comme l’autre est convaincu que l’autre ne « joue pas le jeu », inutile de le répéter si souvent … Ne nous mentons pas, ce troisième opus souffre de quelques longueurs, et certains personnages sont vraiment à claquer par moment (Serra la première, Set le second). Et quand bien même cela n’empêche nullement la tension dramatique de monter crescendo, pour exploser avec fracas lorsqu’arrive le moment tant attendu … on ne peut pas nier que ça casse un peu le plaisir de la lecture, l’excitation à l’approche du climax. Comme un soufflé au fromage, l’attente du lecteur finit par retomber, et c’est un peu dommage !

En bref, vous l’aurez bien compris, c’est une fin de trilogie qui se veut grandiloquente, et on ne peut pas nier que la fin est grandiose, mais qui souffre tout de même d’une certaine langueur, l’auteur faisant beaucoup trop trainer les choses en longueur ! Pour un peu, la première réflexion du lecteur une fois la dernière page tournée serait « tout ça pour ça ? » … Alors certes, il y a quelques moments de grande tension, des retournements de situation imprévisibles, des instants de doute et d’incertitude, mais cela ne suffit pas à contrebalancer tous les moments de latence où on a le sentiment que rien ne se passe, que l’auteur est en train de se moquer de nous. Et d’ailleurs, c’est indéniable, Drew Karpashyn est doué : il sait frustrer son lecteur comme peu d’auteurs savent le faire ! Heureusement que la fin est à la hauteur de nos attentes, car il a fallu beaucoup de patience et de self-control pour en arriver là, tandis que l’on se perd dans les méandres de la vengeance de la petite princesse, dans les atermoiements de Lucia qui ne sait plus envers qui être fidèle … Avec cette fin, on retombe enfin sur nos pieds, on en revient à l’essentiel, à ce qui devait être l’unique enjeu de cet opus final : l’avenir de l’Ordre Sith. Le reste n’est que broutilles, que des miettes pour nous faire patienter : ce qu’on attendait, c’était ce face à face, dont l’issue déterminera bien plus que la vie et la mort de l’un ou de l’autre. Et cette confrontation, on la savoure d’autant plus qu’on l’a attendu ! Et la cerise sur le gâteau, c’est que c’est magnifiquement bien écrit : c’est subtil, c’est élégant, presque noble, une plume digne des grandes épopées de la fantasy !