Editeur : Pocket Jeunesse (PKJ)
Nombre de pages : 279
Résumé : « Avertissement : Celui qui pénètre dans cette partie de la forêt ne reviendra jamais en arrière. Jamais. » Au cœur des collines, derrière la maison où Tom, 13 ans, passe ses vacances, se cache un mystère inimaginable. Quand, au détour d’un sentier, le jeune garçon tombe sur une immense clôture avec une mise en garde inquiétante, il se sent irrépressiblement attiré... Et il disparaît. Pendant des mois, sa grande sœur Emma va le chercher. Elle finira par découvrir la vérité. Mais pourra-t-elle rebrousser chemin et révéler au monde le terrible secret des Sources ?
« On veut bien que quelqu'un soit malheureux, mais on ne peut accepter que ce malheur le détruise. On voudrait qu'il résilie. On le somme de le faire ou bien on le met à part, parce que son existence même nous rappelle que la nôtre pourrait s'effondrer, elle aussi, n'importe quand. »
Cela vous est-il déjà arrivé, de vous sentir irrésistiblement attiré par un livre, sans savoir précisément pourquoi, sans rien en savoir d’autre que le titre ? Comme si ce titre seul résonnait au plus profond de vous, faisant résonner un appel incessant, lancinant, que vous ne pouvez totalement ignorer, quoi que vous fassiez ? A moi, cela arrive. Parfois. Rarement. C’est une sensation quelque peu indéfinissable, qui se rapproche le plus d’une évidence : ce livre, quoi qu’il puisse bien raconter, est fait pour moi. Je le sens, le pressens. Je le sais, sans pouvoir expliquer ni même déterminer d’où me vient cette certitude. C’est comme si le titre, qui se veut l’écho du roman, se faisait en même temps l’écho de nos envies, désirs, besoins littéraires les plus profonds. C’est comme s’il susurrait, charmeur, « fais-moi confiance, cette lecture, c’est exactement ce qu’il te faut, ici et maintenant ». Vous vous en doutez, c’est bel et bien l’effet que m’a fait Comme des sauvages. Ce titre ne dit finalement rien de ce qui nous attend … et pourtant, inexplicablement, ce qu’il m’a inspiré, c’est bel et bien ce que j’ai trouvé. Et ce que j’y ai trouvé, étrangement, faisait également parfaitement écho à la musique que j’écoutais tandis que je trainassais à la bibliothèque : « Comme des enfants en cavale, qui refusent de dormir quand s’éteint leur étoile et qu’il faudrait vieillir. Allons, partons ensemble vers des contrées sauvages, où les gens nous ressemblent et n’ont qu’un seul visage. ». Ma préférée d’Alexandre Poulin, rien que cela …
Ce qui devait arriver arriva un jour : les parents de Tom et Emma se séparent. Divorcent. Ils annoncent cela comme on annonce qu’il va bientôt pleuvoir : sans plus d’état d’âme. Du haut de ses treize ans, Tom est loin d’être surpris : c’était parfaitement prévisible, et cela ne lui fait ni chaud ni froid. Cela le soulage même, presque. Ce qui le chagrine, non, ce qui le dévaste, c’est de devoir laisser derrière la forêt. Sa forêt. Ces sentiers, maintes fois parcourus au cours de ses innombrables aventures. Ces cabanes, toujours plus ambitieuses au fil des années. Ces arbres, refuges et compagnons. Ces odeurs, ces sons. En somme, toute son enfance. Tandis qu’il rumine, oscillant entre peine et colère, sa sœur ainée vient lui faire une proposition surprenante : et s’il venait passer quelques jours avec ses amis et elle en Ardèche ? Tandis que la jeune femme, son petit copain et leurs amis multiplient les excursions, dans cette sorte de frénésie qui transforme les loisirs en productivité, Tom explore les collines alentours, les forêts environnantes. Un beau jour, il se retrouve face à face avec … un bison. Qui l’escorte jusqu’à l’entrée du Domaine, où un panneau le prévient : « Celui qui pénètre dans cette partie de la forêt ne reviendra jamais en arrière. Jamais. ». Une menace … ou une promesse. Tom entre. Et disparait. Sans laisser la moindre trace. Et alors que tout le monde abandonne progressivement tout espoir de le retrouver, Emma s’obstine : elle le sait, son petit frère est encore vivant. Et c’est à elle de le retrouver … Deux ans plus tard, elle découvre à son tour l’entrée du Domaine. Elle entre. Et disparait. Sans laisser la moindre trace.
Ainsi que je l’ai déjà dit dans d’autres chroniques, Vincent Villeminot est passé maitre dans l’art de composer des OLGNI, Ovnis Littéraires au Genre Non Identifié. Jamais ses romans ne se laissent enfermer dans une de ces « petites boites » bien fermées dont parle la chanson de Graeme Allwright : ils louvoient, ils serpentent. Ils brouillent les pistes, embrouillent le lecteur. Le guident hors des chemins battus, là où tout est possible. Là où les usages et les convenances n’ont plus court, laissant place à l’infinie liberté d’oser l’audace. Quitte à déstabiliser. Quitte à déplaire. Quitte à choquer. Je sais que ce roman en a déstabilisé plus d’un, qu’il a déplu à certains, qu’il en a même choqué pas mal. Trop atypique, sans nul doute. Et sans doute également trop « politiquement incorrect ». Grands dieux, on ne propose pas à des adolescents des récits pareils, avec des gosses qui vivent nus dans la forêt, sans adultes pour les surveiller, passant leurs journées à jouer dans les sources ou à chasser le bison ! Et s’il leur venait à l’esprit de faire pareil, ils sont si impressionnables, si influençables de nos jours ?! Mieux vaut les laisser trainer sur le net, regarder des vidéos pornos, s’abrutir devant des jeux de guerre, c’est plus sûr … Les adultes sont définitivement si étranges, n’est-ce pas, à s’offusquer pour un livre trop « brutal », sans même se rendre compte que les « loisirs autorisés » de leur marmaille sont sans aucun doute tout aussi dévastateurs. Les adultes se bercent d’illusion, tout autant que les enfants, mais eux refusent de l’admettre. De se l’admettre.
Peut-être est-ce pour cela, d’ailleurs, que le Domaine n’apparait qu’à ceux qui n’ont pas encore quitté pleinement l’enfance, et qu’on doit le quitter lorsqu’on entre dans l’âge adulte. Tel le Pays Imaginaire, le Domaine n’existe que pour ceux qui y croient, que pour ceux qui veulent qu’il existe. Que pour ceux qui s’accrochent à leur enfance comme à une bouée, comme une moule à son rocher. Comme si l’enfance était un petit coin de paradis, un lieu plus qu’un temps. Un lieu dont on peut retrouver l’entrée à tout instant, si tant est qu’on le veuille vraiment. Un lieu pourtant hermétiquement fermé, entouré de barbelés, à la fois pour s’assurer que rien de mauvais ne puisse y rentrer … mais aussi que le mal qui s’y tapit parfois ne puisse en sortir. Pour que le Domaine reste ce coin de paradis, il faut le protéger, le préserver, coûte que coûte, « quoi qu’il en coute », et cela exige parfois de prendre des décisions radicales. Comme le récit de James Matthew Barrie avant lui, ce roman piétine allégrement la légende urbaine selon laquelle l’enfance n’est qu’innocence : quiconque a déjà observé un groupe de gosses sait que les enfants sont capables d’une grande cruauté. L’insouciance flirte bien souvent avec l’indifférence : à peine l’orage passé, avec sa meurtrière violence, que l’on peut recommencer à s’égayer joyeusement, comme si rien ne s’était passé. Innocents, peut-être, mais aux mains pleines de cette bestialité typiquement humaine que l’enfant, loin de refouler, laisse s’exprimer sans en avoir honte. L’insouciance de l’enfance se situe peut-être justement dans le fait de ne pas avoir honte de sa nature humaine. Car l’humain est un animal, une bête sauvage, qui s’ignore. Qui se défend de l’être.
Et c’est ainsi que ce petit coin de paradis prend parfois les couleurs de l’enfer. Vincent Villeminot ne nous offre pas ici un tendre roman sur la douceur de l’enfance, perdue et oubliée, peut-être parfois retrouvée. Il ne nous offre pas non plus un lumineux roman sur le retour à la nature, trop souvent opprimée et pourtant toujours si généreuse et fidèle. Il y a, bien sûr, ces descriptions des plus délicates, poétiques et grandioses, qui nous rappellent que la nature est toujours bien plus grande et plus belle que nous, qu’elle nous survivra quand bien même nous nous entretuions … mais là n’est pas le cœur de ce roman définitivement pas comme les autres. Vincent Villeminot nous offre un récit brut, abrupt, brutal … incisif. Il y a d’abord la quête effrénée de Tom, qui n’est pas encore prêt à tourner le dos à son enfance pour entrer dans le monde des adultes fait d’obligations et de compromis. Il y a ensuite la quête passionnée d’Emma, qui en le perdant a en quelque sorte retrouvé son rôle, son statut, sa place de grande-sœur, celle qui fait le pont entre l’enfance et l’adulte. Et puis vient la quête désespérée de Jade, qui s’efforce de faire illusion, de se bercer d’illusion, en tâchant de convaincre, de se convaincre, qu’elle a encore sa place dans le Domaine alors que tout son être est déjà gangréné par les pulsions propres aux adultes. Et enfin, il y a la quête endiablée d’Ethan, l’enfant éternel, pourchassé justement parce qu’il est resté celui que les autres ne parviennent pas à rester. Quatre quêtes qui se concluent dans le sang, dans la mort, réelle ou symbolique. Quatre quêtes d’une violence inouïe, d’une puissance ineffable.
En bref, vous l’aurez bien compris : si le terme « coup de cœur » n’était pas si galvaudé, je l’aurai utilisé sans la moindre hésitation. Mais l’expression a perdu toute sa saveur, à force d’être utilisée, à tort et à travers : elle est bien trop commune pour correspondre pleinement à ce roman qui détonne, qui dénote, dans le paysage si plat de la littérature pour adolescents. Il y a quelque chose de révolutionnaire, quelque chose d’anarchique, d’anarchiste, dans ce roman d’apprentissage qui jongle allègrement avec le conte (dans son aspect le plus sombre, le plus cruel) et le thriller fantastique. Quelque chose qui fait renaitre quelque chose de notre enfance, non pas de cette enfance idéalisée qu’on essaye de construire en souvenirs, mais de cette enfance sauvageonne qu’on essaye d’enfouir et d’oublier. Parce que nous sommes devenus de bons petits adultes, bien comme il faut, et qu’il ne faudrait surtout pas admettre que nous avons été des enfants terribles. A entendre les adultes, tous les adultes ont été des petits enfants bien sages et studieux, déjà de futurs petits adultes sérieux et disciplinés … « Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants, mais peu d’entre elles s’en souviennent », disait Saint Exupéry. Ne serait-pas plutôt qu’elles ne veulent pas s’en souvenir ? Sans doute est-ce pour cela que les commentaires sur ce roman sont essentiellement mitigés, voire parfois franchement hostiles : parce que tous les lecteurs ne sont peut-être pas prêts à laisser ce roman agir en eux, comme il se doit. Tout le monde ne veut peut-être pas laisser resurgir les souvenirs honteux de cette époque où nous étions tous un peu comme des sauvages …
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