samedi 30 juillet 2022

L'étoile de Kazan - Eva Ibbotson

L’Etoile de Kazan, Eva Ibboston

 Editeur : Albin Michel

Collection : Wiz
Nombre de pages :
455

Résumé : La naissance d'Annika est un mystère. Abandonnée dans une église en pleine montagne, elle a été élevée par une famille excentrique de Vienne. Sa vie bascule lorsque sa vraie mère réapparaît et l'emmène vivre dans son château morne et glacée, en Allemagne. Heureusement, elle trouve l'amitié auprès du jeune palefrenier, Zed, un gitan passionné par les chevaux et qui rêve de rentrer à la prestigieuse école d'équitation de Vienne. Ensemble, ils vont vivre des aventures extraordinaires et découvrir de terribles secrets....

 

- Un petit extrait -

« Je ne sais pas si vous me croyez, mais je jure sur la tête de Rocco que je dis la vérité. J'avais peur, parce que je savais que Frau Edeltraut me détestait. Elle trouvait que son père m'avait trop gâté, et elle attendait l'occasion de se débarrasser de moi. J'ai donc décidé de partir et d'aller retrouver le peuple de ma mère en Hongrie. Ce sont des Tziganes, et je savais qu'ils me prendraient avec eux. Mais j'ai peur pour Annika, parce qu'elle ne devrait pas être avec une femme qui dit des mensonges, et pire. »

- Mon avis sur le livre -

 Je ne sais pas vous, mais à chaque fois que je m’apprête à redécouvrir un livre que j’avais profondément apprécié durant mon enfance ou mon adolescence, je ne peux m’empêcher d’être un peu anxieuse : et si, cette fois-ci, je n’aimais plus du tout ? Et si j’étais même profondément déçue ? Et si cette déception supplantait jusqu’à cette tendre nostalgie qui m’habitait à chaque fois que je resongeais à ce roman ? Le risque en vaut-il vraiment la chandelle ? Ne serait-il pas plus sage de rester sur cette note positive, plutôt que d’espérer revivre la même expérience de lecture, des années plus tard ? D’ailleurs, peut-on véritablement apprécier le même livre à douze ans et à vingt-cinq ? N’est-ce pas totalement utopique d’espérer que nos gouts littéraires soient toujours les mêmes, alors qu’on a irrémédiablement changé entre temps ? La tentation est souvent grande de céder à cette petite voix horriblement raisonnable, de reposer le livre sur son étagère, de se contenter d’un petit soupir et sourire mélancolique en repensant à l’enthousiasme de la première lecture à chaque fois que notre regard se pose sur la couverture … Mais pour ma part, l’envie de renouer avec la petite lectrice que j’étais est bien plus fort que cette inquiétude de tout gâcher. Eva Ibbotson, c’est l’autrice de mon retour au collège après ma phobie scolaire : Reine du fleuve et L’Etoile de Kazan sont les premiers livres que m’a conseillé la documentaliste. Tandis que j’envisage de faire mon retour dans le « monde normal », je me suis dit que me replonger dans un de ces récits était symboliquement une bonne idée ...

Comme chaque deuxième dimanche du mois, Ellie et Sigrid, respectivement cuisinière et femme de chambre des professeurs Julius, Emil et Gertrude, passent leur jour de repos en montagne. Ce jour-là, Ellie a faussé compagnie à son amie pour aller prier pour l’âme de sa mère dans la petite église au creux de la montagne … Et voici qu’elle trouve, au pied de l’autel, un petit paquet de tissu remuant et gémissant : un bébé, un minuscule petit bébé ! L’orphelinat des bonnes sœurs étant en quarantaine à cause d’une foudroyante épidémie de typhus, les deux femmes se voient obligées de ramener le nourrisson chez leurs employeurs, qui acceptent avec réticence qu’elles s’occupent de cette petite orpheline jusqu’à ce que le couvent puisse rouvrir ses portes …. Mais douze ans plus tard, Annika est toujours là. Par son esprit vif et son cœur doux, elle a su se faire apprécier de tous les membres de la maisonnée : Ellie et Sigrid sont pour elle des mères dévouées, et les professeurs des oncles et tantes attentionnés. Devenue l’amie de tous dans le quartier, Annika a tout pour être parfaitement heureuse. Mais elle ne peut s’empêcher, soir après soir, dans le secret de son grenier, de se demander pourquoi elle a été abandonnée et rêver que sa mère adoptive sonne à la porte pour l’emmener avec elle … Aussi, le jour où une grande et belle dame sonne à la porte, à la recherche de sa « petite fille perdue », peu après ses douze ans, Annika a le sentiment que son cœur va exploser de joie. Mais elle est très loin d’imaginer ce qui l’attend « chez elle », loin, très loin de Vienne …

La littérature jeunesse aime décidément beaucoup les pauvres petits orphelins … mais il faut bien reconnaitre que cela marche à tous les coups ! Comment ne pas se prendre immédiatement d’affection pour ce pauvre enfant sans famille, qui ne sait pas d’où il vient, qui ne sait même pas s’il a été abandonné ou si ses parents sont décédés ? Comment ne pas être attendrie face à cette petite Annika, fillette adorable au possible, qui en dépit de tout l’amour de sa famille adoptive ne peut s’empêcher de se demander pourquoi sa famille biologique l’a ainsi abandonnée dans une église ? La détresse d’Annika, discrète car elle ne veut en aucun cas inquiéter ni blesser les deux femmes qui l’ont recueillie, est touchante sans jamais sombrer dans le pathos à outrance : juste la souffrance délicate d’un cœur débordant de douceur, de tendresse et d’innocence, d’une petite âme blessée qui a besoin de se sentir aimée, désirée. Lorsqu’Annika rêve que sa mère biologique vient la chercher, ce n’est nullement parce qu’elle est malheureuse aux côtés d’Ellie et Sigrid, ce n’est même nullement parce qu’elle souhaite véritablement les quitter … c’est juste parce qu’elle a besoin de savoir que sa mère biologique l’aimait et voulait d’elle, et ne l’a abandonnée seulement parce qu’elle n’avait pas d’autre choix, pas d’autre option. Alors Annika rêve, sans savoir que, parfois, à rêver trop fort, les rêves deviennent réalité … mais que c’est parfois trop beau pour être vrai. Sans savoir que les plus beaux rêves peuvent parfois se transformer en véritable cauchemar.

Car contrairement à ce que l’étiquette « jeunesse » peut laisser penser, il n’y a rien d’enfantin dans ce roman : bien au contraire, il dépeint des réalités particulièrement sombres et cruelles. A travers les monstrueuses manigances de Frau Edeltraut, c’est toute la cupidité de l’homme qui est pointée du doigt : que ne feraient pas les grandes personnes pour l’appât du gain, pour assouvir cette soif insatiable de richesse et de prestige social ! Déjà enfant, j’étais effarée et révoltée de voir que pour l’argent, certains ne reculent devant aucune bassesse : comment peut-on aller jusqu’à profiter ainsi de la bonté et de la naïveté d’une pauvre enfant qui ne demande rien de plus que d’être aimée et choyée, comment peut-on aller jusqu’à mentir ainsi à une petite fille si généreuse et innocente ? Comment peut-on être aussi vil et insensible et continuer à se regarder dans le miroir comme si de rien n’était, et plus encore comment diable peut-on n’éprouver absolument aucun remord et continuer à se faire passer pour une pauvre victime ? L’hypocrisie n’a-t-elle donc aucune limite en ce bas monde ? Sans doute qu’elle continuera à prospérer gaiement aussi longtemps qu’il y aura des âmes aussi douces qu’Annika, des cœurs prêts à pardonner même les plus horribles trahisons, même les plus effroyables tromperies. Annika a un cœur tellement gros, tellement pur, qu’elle parvient même à plaindre une personne qui n’avait aucun scrupule à la manipuler et la voler ! Si Annika est particulièrement généreuse et miséricordieuse, je trouve tout de même que ça montre bien la grande différence entre un enfant et un adulte … Il n’y a pas ni malice ni rancune dans le cœur d’un enfant. Juste beaucoup d’amour.

Mais ce roman, c’est aussi et surtout une palpitante aventure, et une grande et belle histoire d’amitié. Il y a la loyauté farouche de Zed, jeune tzigane en fuite avec un cheval qu’il a volé, ne pouvant se résoudre à le laisser entre les mains de son cavalier cruel et violent : il aurait pu se contenter de rejoindre les siens et de laisser cette gosse de noble se débrouiller, mais il a préféré tout risquer pour aider cette petite fille si serviable qui ne l’a jamais prit de haut. Il y a le courage inouï de la petite Pauline, souffrant d’agoraphobie, qui pour sauver son amie va entreprendre seule un terrifiant voyage sur les pas de la vérité : sans aucun doute l’acte le plus héroïque de tout le roman, qui m’a évidemment d’autant plus impressionnée que je souffre du même trouble. Il y a l’ingéniosité de Stefan, qui sait faire feu de tout bois (ou arme de toute harpe, comprendra qui lira) pour rattraper le coup même quand tout semble définitivement perdu : ce passage est assurément le plus « tendu » de tout le roman, j’avais le cœur qui battait à mille à l’heure en dépit de mon nouveau traitement pour ralentir mon rythme cardiaque ! Et il y a, bien sûr, surtout, l’amour infini d’Ellie pour celle qui sera toujours sa petite fille à elle : envers et contre tout, elle la retrouvera. Tandis que la pauvre petite Annika évolue dans un univers froid, hostile et corrompu par la sournoiserie, il y a tout ce beau petit monde qui œuvre pour la sauver avant qu’il ne soit trop tard. La tension monte au fur et à mesure que les différentes révélations surviennent, peut-être un peu trop prévisibles pour un lecteur adulte, mais indiscutablement incroyables pour le jeune lecteur qui ne peut que rester bouche-bée tandis que la sombre machination se dévoile !

En bref, vous l’aurez bien compris : mon verdict est assurément le même que la première fois, c'est une histoire fabuleuse, vraiment poignante, bouleversante. A vrai dire, j’ai toujours trouvé qu’il y avait un petit quelque chose « à la Zola » dans ce roman : les descriptions de Vienne, de ses petites coutumes, du petit train-train quotidien de la place où s’égayent petits bourgeois et familles modestes, les descriptions de la misère qui s’est abattu comme un voile de ténèbres sur la demeure anciennement illuminé de gloire et de noblesse des von Tannenberg, comme un écho à la noirceur de l’âme de la maitresse de maison … définitivement, il y a une ambiance à la Zola qui m’a toujours ravie au plus haut points ! Mais bien évidemment, roman jeunesse oblige, on reste sur quelque chose de plus léger, de plus joyeux, de plus optimiste : on se doute bien que tout finira parfaitement bien, on se doute bien que notre pauvre petite Annika ne finira pas ses jours dans cette grande et froide maison où elle ne peut faire ce qu’elle aime, où elle est loin de tout ceux qui l’aiment et qu’elle aime … C’est typiquement un de ces romans qui vous fait passer par toute la gamme des émotions : du do de la douleur au si de la sidération en passant par le la de l’amusement. J’ai ri, pleuré et tremblé d’effroi comme de soulagement, j’ai galopé au côté de Zed, soupiré au chevet d’Annika, écarquillé les yeux à la découverte de Pauline : un roman d’aventure comme je les aime, palpitant et émouvant à la fois ! Quel bonheur de l’avoir à nouveau entre les mains !

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