« Tu as le potentiel pour me surpasser. Si tu le réalises pleinement, je cesserai de t'être utile. Tu auras alors besoin de trouver d'autres sources de savoir, et tu chercheras un nouveau disciple, afin de lui transmettre à ton tour les secrets de l'Ordre Sith. Et quand ton pouvoir éclipsera le mien, je ne serai plus indispensable. Telle est la Règle des Deux : un Maître et un disciple. Lorsque tu seras prête à réclamer le titre de Seigneur Noir, tu ne l'obtiendras qu'en m'éliminant. La confrontation est inévitable. C'est la seule manière pour les Sith de survivre. C'est la voie du Côté Obscur. »
Pendant des années et des années, mes livres n’ont connu d’autres demeures que mon armoire à vêtement : faute de place dans ma chambre pour installer de nouvelles bibliothèques, je n’avais d’autre solution que d’empiler mes livres un petit peu partout. Au début, je tentais bien sûre de garder une certaine cohérente, pour pouvoir retrouver plus facilement mes livres … mais au fil du temps, je me suis contenté de veiller à ce que les piles ne s’effondrent pas. Autant vous dire que lorsque papa m’a installé mes nouvelles bibliothèques dans ma nouvelle chambre, j’étais folle de joie : enfin j’allais pouvoir ranger mes livres par genre, par maison d’édition, par auteur … Bref, de façon cohérente ! Quelle ne fut donc pas ma frustration lorsque je me suis rendue compte que les choses allaient être plus difficile que prévu en ce qui concerne les romans Star Wars : non seulement il y a plusieurs maisons d’édition différentes, mais surtout, il y a plusieurs formats différents ! Pocket a eu la merveilleuse idée de rééditer certaines trilogies sous forme d’intégrales (c’est pratique, les intégrales : vous embarquez un seul livre dans votre sac et vous avez trois fois plus de lecture) … mais ces-dites intégrales ne sont pas au format poche, et sont donc trop hautes pour mes étagères de poches. Et pour compliquer encore un peu plus les choses, elles sont tout de même fort petites pour des étagères standards. Avant, je devais jouer à Tetris pour faire rentrer le plus de livres possibles dans un espace qui semblait toujours plus réduit, et maintenant, je dois me casser la tête pour jongler avec les différents formats d’une même collection. Qui a dit qu’il était facile de ranger une bibliothèque ?
Une dizaine d’années ont passé depuis la tragique bataille de Ruusan, durant laquelle le Seigneur Sith Kaan, dans son aveuglante folie, a déclenché la dévastatrice bombe psychique, ravageant une bonne partie des troupes Jedi et décimant purement et simplement sa propre Confrérie des Ténèbres. Depuis lors, le Conseil Jedi en est intimement persuadé et profondément soulagé, l’Ordre Sith n’est plus. La Lumière a vaincu l’Obscurité. La paix peut à nouveau régner sur la galaxie. Mais Johun, jeune Jedi ayant perdu son maitre sur Ruusan, en est pour sa part viscéralement convaincu : le sombre Seigneur Dark Bane a survécu à l’explosion, et il est toujours quelque part, en train de former une nouvelle génération de Sith. D’une certaine façon, Johun n’a pas tort : Dark Bane est bel et bien en train de former quelqu’un. Mais il n’a pas totalement raison : il s’agit en réalité d’une seule et unique apprentie, Zannah, orpheline recueillie sur Ruusan et qu’il sent promise à un glorieux avenir. Tout en déployant dans l’ombre son immense plan pour annihiler une bonne fois pour toute l’Ordre Jedi et étendre sa domination sur l’ensemble de la galaxie, Dark Bane forge le corps et l’esprit de sa jeune disciple, sachant qu’approche inévitablement le jour où cette dernière, devenue plus puissante que lui, le défiera pour prendre sa place. Ainsi va l’Ordre Sith véritable, ainsi le veut la Règle des Deux : un Maître et son apprenti. Le premier pour incarner le pouvoir, le second pour le convoiter.
Comme cela semble être la règle dans les romans Star Wars (les auteurs ont-ils un cahier des charges à respecter, ou bien cela s’est-il fait sans concertation ?), nous sommes une fois de plus en présence d’un roman-choral … Et vous savez comme j’aime les romans-choraux ! Ils illustrent à merveille une vérité qu’on a parfois tendance à oublier, surtout depuis que les réseaux sociaux forment à notre insu une sorte de pensée collective, prisme déformant car biaisé de la réalité : chaque situation est toujours bien plus complexe qu’elle n’en a l’air au premier abord. Les évidences, au même titre que les apparences, sont souvent trompeuses : elles nous empêchent de prendre du recul, de regarder la situation sous un autre angle pour l’évaluer plus globalement. Si l’auteur s’était contenté de nous offrir le point de vue des Jedi, nous croirions nous aussi que les Sith ont bel et bien disparus. Si au contraire il ne nous donnait que celui de Bane, nous penserions également que personne ne se doute que les Sith ne sont pas totalement éteints. D’un côté comme de l’autre, ils (se) sont convaincus que leur vision était la bonne, la seule véritable. Parce qu’ils sont incapables ne serait-ce que d’envisager que les choses puisent en être autrement … Parce qu’il est plus facile de faire l’autruche, de se dire que puisqu’on ne voit plus la chose, cette-dite chose n’existe plus. Mécanisme inconscient de défense : si le danger n’est pas imminent, on l’éclipse, pour éviter de ployer sous les inquiétudes. Mais cette stratégie a ses limites. Après tout, n’avons-nous pas plus peur de l’araignée quand nous ne la voyons plus que lorsque nous pouvons la surveiller ? Pour les Sith et les Jedi, il devrait en être de même …
Car en effet, Dark Bane est bel et bien vivant, et bel et bien décidé à redonner à l’Ordre Sith sa grandeur passée. Non pas en misant sur les enseignements galvaudés de ses anciens Maitres, qui se sont laissés aveuglés par un idéalisme absurdes, qui se sont écartés du droit chemin, de la Voie du Côté Obscur. Secret, ruse, patience. Voilà les véritables armes du Seigneur Sith. Celles qu’il doit transmettre à son seul et unique élève, disciple, héritier. Qui un beau jour l’égalera, le surpassera. Le vaincra, prendra sa place, et formera à son tour un seul et unique apprenti. Le pouvoir ne sera plus partagé entre des centaines d’individus. Il sera entièrement détenu par l’un, et convoité par l’autre. C’est assez fascinant, pour ne pas dire franchement dérangeant, de voir Dark Bane envisager avec une telle sérénité, voire même avec fierté, le jour où Zannah le trahira. On aurait pu songer qu’un Sith s’accrocherait coute que coute à sa position qui lui apporte puissance et grandeur … Mais un bon Sith, selon Dark Bane, doit avant tout songer au Côté Obscur. Et pour que le Côté Obscur gagne en puissance, il se doit d’attiser en Zannah cette ambition, cette soif de pouvoir, il se doit de distiller en l’esprit de son apprentie le désir encore latent de le défier. Et plus ce cycle se répétera, plus le Côté Obscur grandira, jusqu’au jour où il anéantira le Côté Lumineux. Dark Bane, tout Seigneur Sith qu’il soit, voit plus loin que le bout de son nez, plus loin que sa seule gloire : tout ce qu’il entreprend, il le fait au nom du Côté Obscur. Et cela le rend finalement bien plus intéressant qu’un Sith seulement dominé par une ambition personnelle : Dark Bane est en quelque sorte habité par une quête qui le dépasse, on a un côté quasiment mystique qui m’intrigue énormément.
Et c’est sans aucun doute cet aspect qui risque d’en rebuter certains : loin d’être une accumulation, une surenchère, d’actions et de bonnes bagarres, on reste dans un récit très « contemplatif ». Nous suivons le cheminement de Zannah, anciennement petite orpheline effrayée, désormais disciple et héritière de Dark Bane. A l’instar de son Maitre, Zannah est une protagoniste particulièrement complexe : si son potentiel et son ambition ne font aucun doute, il arrive parfois que des réminiscences de son insouciance et innocence passées refassent surface. La Voie que trace devant elle son Maitre l’attire plus que tout au monde, elle s’y glisse avec aisance et enthousiasme … mais celle qu’elle était ne cesse jamais de la hanter, et avec elle les doutes : que serait-elle, qui serait-elle, si elle avait fait d’autres choix, emprunté une autre voie ? Comment savoir si elle a pris la bonne décision ? Y a-t-il de bonnes décisions, d’ailleurs ? C’est également la question que vont se poser Johun et Darovit, nos deux derniers héros et points de vue, le premier persuadé que la menace Sith est loin d’être éteinte et bien décidé à faire entendre raison aux membres du Conseil, le second s’efforçant de laisser derrière lui les souffrances des temps passés et à prodiguer autour de lui soins et réconforts pour adoucir l’existence de ceux qui viennent chercher secours chez lui. Et pourtant, tous deux ne peuvent ignorer la pointe de frustration, de remords, de rancœurs, qui assombrissent parfois leur cœur et leur esprit. Et qui vont découvrir que, parfois, souffler sur les braises, c’est prendre le risque d’embraser toute la forêt au passage ...
Difficile d’en dire plus sans risquer d’en dire trop … Je vais donc me contenter de vous dire que je suis vraiment très agréablement surprise par cette trilogie. Moi qui craignais de suivre pendant les quelques 970 pages de l’intégrale un Sith sanguinaire qui sèmerait mort et désolation sur son passage, je me retrouve face à un Sith certes implacable et ambitieux, mais qui mise tout sur la subtilité et la discrétion pour parvenir à ses fins. Ceux qui s’attendent à d’épiques batailles spatiales ou de grandiloquents face à face aux sabres lasers risquent d’être un tantinet déçus et frustrés par ce récit, mais pour ma part, il ne cesse de me captiver, de me surprendre également. On est loin de la force brute et brutale, on est dans une certaine forme de délicatesse, aussi surprenant que cela puisse paraitre … et c’est bien plus passionnant comme cela. Il faut longtemps pour que l’on saisisse enfin quand, comment et pourquoi les chemins de nos différents protagonistes vont finalement se croiser, s’entremêler. Et ce qui s’entrechoquent avec fracas, ce ne sont pas les armes, mais bien les doutes, les peines, les peurs, les espoirs, les souhaits : tous les tourments de l’existence qui se nourrissent les uns les autres dans une lutte intérieure autrement plus poignante qu’une bonne bagarre. Et le final, diantre quel final, je ne m’attendais vraiment pas à cela, je ne savais en somme plus qui et que croire, et c’est vraiment bien trouvé, je suis vraiment impatiente de retrouver Bane et Zannah dans le troisième et dernier opus !
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