Editeur : l’école des loisirs
Nombre de pages : 271
Résumé : Louise vit au bout du monde, tout là-haut, dans une vallée belle et rude dont les rares habitants n’aiment pas se mélanger avec ceux « d’en bas ». Alors, quand un nouvel élève déboule dans la classe en cours d’année, Louise, comme les autres, pense à une erreur. Non seulement Chems n’est pas de la vallée, mais il est différent … C’est cette différence que Louise trouve attirante. Elle est bien la seule. Pour les autres, comme son père, un étranger n’a rien à faire dans la vallée où le travail manque, où la scierie du coin bat de l’aile. Louise se sent coupée en deux ...
« Parfois, ce serait bien de faire comme au cinéma, un seconde prise. Et de pouvoir rejouer les scènes de la vraie vie qu'on a un peu ratées. »
Je n’ai jamais cru aux fameuses « affirmations positives » qui influenceraient le cosmos : je suis intimement convaincue que ce n’est pas en répétant jour après jour que je vais gagner au loto que je gagnerai effectivement au loto, n’en déplaise à certains thérapeutes et animateurs que j’ai eu l’occasion de rencontrer et qui ne cessaient de me bassiner avec ces mantras surpuissants … Mais il n’empêche, parfois, c’est rigolo comme le hasard fait bien les choses. Cela fait ainsi de très nombreuses années que malgré mon attrait pour L’attrape-rêves (entre le titre et le résumé, je ne pouvais qu’être intriguée), il m’était tout simplement impossible de me le procurer. Un bug informatique empêchait systématiquement ma libraire de me le commander (alors qu’elle n’avait aucune difficulté avec d’autres ouvrages de la maison d’édition), il était systématiquement emprunté lorsque je passais à la bibliothèque, et il y avait systématiquement quelqu’un pour acheter sous mes yeux l’unique exemplaire en bourse aux livres … Une malédiction ! Et puis voilà que, sur un coup de tête, je m’abonne à la Medium Box, et que, miracle, le roman-mystère-et-collector de la première box … c’est L’attrape-rêves ! Autant vous dire que je l’ai entamé à peine reçu !
Tout là-haut, au fin fond de la vallée, tout le monde se connait depuis toujours : génération après génération, les garçons devenus des hommes sont embauchés à la scierie, et les filles devenues des femmes engendrent de nouveaux garçons qui, à leur tour, prendront le poste de leurs ainés le moment venu. Ils sont tant et si bien repliés sur eux-mêmes que là-bas, à la ville, au collège et au lycée, on les met systématiquement dans la même classe, car ils n’aiment pas se mélanger avec ceux qui ne sont pas de chez eux. Et voilà qu’un jour, un nouveau débarque dans la classe de Louise : Chems n’est pas de la vallée, il n’est pas comme eux. Il vit avec sa mère dans une petite caravane au beau milieu des bois, il connait le nom de tous les oiseaux de la forêt, il ne dit pas un mot lorsque Steph et les autres le raillent et l’humilient. Louise, bien malgré elle, ne peut s’empêcher d’être fascinée par cette différence qui effraie ses camarades : elle se sent bien, avec Chems, elle se sent chez elle. Mais chez elle, c’est aussi cette vallée, menacée par la fermeture de la scierie, unique source de travail pour tout le village …
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces longues années d’attente n’ont pas été vaines : ce fut effectivement une très belle lecture, qui m’a fait trembler, pleurer, rire, rêver … Difficile, de coup, de savoir par où commencer pour vous en parler ! Car ce livre, il est à la fois d’une simplicité absolue et d’une richesse inouïe, d’une profondeur incroyable. C’est la vie dans tout ce qu’elle a de plus cruel et de plus beau à la fois, de plus banal et de plus extraordinaire tout en même temps. Car rien de plus banal que l’arrivée d’un nouvel habitant dans un village, du moins dans notre conception du monde ? Chez Louise, c’est un événement improbable, sans le moindre doute précurseur d’une terrible catastrophe : les gens de là-haut vivent entre eux, c’est ainsi et pas autrement. Il n’y a pas assez de travail pour des étrangers, il ne faut donc laisser personne s’immiscer dans la routine bien huilée du village. Car ce qui se passe là-haut ne concerne que ceux de là-haut et personne d’autre. Il y a quelque chose d’aussi effrayant que fascinant dans cette communauté totalement repliée sur elle-même, où tout le monde sait toujours tout mais où personne ne dit rien. Où les choses ne changent jamais, immuables : c’est rassurant, d’une certaine façon, mais aussi angoissant …
Et au milieu de tout cela, il y a Louise. Louise dont la mère est partie, un beau jour, sans prévenir, sans laisser de trace, sans jamais revenir. Louise qui vit avec son père, cet homme pour qui chaque jour ressemble au précédent, pour qui les choses doivent toujours rester telles qu’elles ont toujours été. Louise qui, au plus profond de son être, est irrésistiblement attirée par le nouveau, Chems, si différent de tout ce qu’elle a toujours connu … C’est comme si, soudainement, l’horizon s’était ouvert, et avec lui toute une infinité de possibilités jusqu’alors méconnues. Si l’arrivée « d’étrangers » dans la vallée attise la peur et la haine dans le cœur des hommes, dans celui de Louise, il n’y a qu’un vide infini à combler. Ce roman, c’est avant tout une histoire d’amour, une formidable, inoubliable histoire d’amour entre deux jeunes gens que tout et tous vont tenter de séparer. C’est beau, mais tellement dur aussi : certains passages sont tout simplement tragiques, car l’auteur n’a rien masqué de la cruauté et de la folie des hommes, qui ne voient que la violence pour répondre à l’inconnu. Et tandis que la révolte de Louise reste bien enfouie au fond d’elle-même, tant elle est tiraillée entre cet amour tout neuf et son attachement au sien, celle du lecteur enfle progressivement, telle une vague qui se transforme en tsunami …
Mais ce livre, ce n’est pas uniquement une histoire d’amour entre deux jeunes gens. C’est aussi une belle histoire d’amour entre un père et sa fille : ils ne savent plus comment communiquer, ils ont tous les deux pleinement conscience du fossé qui s’est peu à peu creuser entre eux, ils ont également tous les deux pleinement conscience que, parfois, il faut se séparer pour mieux se retrouver. Mais on le sent : Louise aime son père, et son père l’aime, même s’il ne sait pas l’exprimer, même s’il ne sait pas le montrer. Il y a aussi la belle intrigue autour de Dolores, la chauffeuse du bus scolaire, seule femme à se démarquer de l’ombre au milieu de cette communauté où ce sont les hommes qui occupent la première place. Dolores, qui s’étiole petit à petit tandis que la maladie a raison de son être, et qui, tandis que la vie s’échappe progressivement, va enfin briser le sceau sacré du silence et guider Louise dans cette voie de l’ouverture. Et il y a, enfin et surtout, l’histoire de ce petit village, perdu au cœur de la montagne, dont l’avenir est menacé par la fermeture de la scierie … et par ce projet titanesque qui, pourtant, obtient l’adhésion de tous, même s’il signifie la fin de tout. Et tout ceci s’entremêle avec brio, mémorable !
En bref, vous l’aurez bien compris, je suis conquise par ce petit roman qui me faisait de l’œil depuis si longtemps ! Il y a vraiment tout ce que j’aime : une ambiance très particulière, celle de ces petits villages de fond de vallée, où tout le monde connait tout le monde, où la nature est omniprésente ; une jeune héroïne tiraillée entre ce qui lui semble être juste et ce qu’on lui a inculqué depuis son plus jeune âge, entre des sentiments naissants et ceux qu’elle a pour son père et, à travers lui, ces traditions immuables ; des intrigues aux enjeux multiples qui finissent par se recouper, car chaque vie est inextricablement liée à celle des autres, car un bouleversement en entraine forcément un autre. Et il y a cette plume, nom d’un petit bonhomme en mousse, cette plume ! De simples mots qui, comme par magie, se transforment en images, en sons, en odeurs, en sensations dans l’esprit du lecteur, qui n’a plus qu’à fermer les yeux pour se sentir transporté aux côtés de la jeune Louise dans cette période cruciale de son existence et de celle de son village. C’est vraiment un très beau roman, à la fois si dur et si beau, poétique sans être trop onirique. Une vraie réussite, je conseille vraiment sans la moindre hésitation !
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