dimanche 13 avril 2025

Lever de soleil sur la moisson - Suzanne Collins

Lever de soleil sur la moisson, Suzanne Collins

Editeur : Pocket Jeunesse
Nombre de pages : 465
Résumé : À l'aube des cinquantièmes Hunger Games, la peur s'empare des districts de Panem. Cette année, en l'honneur des Jeux de l'Expiation, le nombre de tributs arrachés à leur famille pour participer à ces jeux cruels sera doublé ! Dans le district 12, Haymitch Abernathy tente de ne pas trop penser au terrible tirage au sort. Alors, quand le destin le désigne comme tribut, son monde s'écroule. Alors que les Jeux sont sur le point de commencer, Haymitch comprend que les épreuves sont truquées et qu'il n'a aucune chance. Pourtant, quelque chose en lui le pousse à se battre... pour que ce combat dépasse les frontières de l'arène mortelle. 


- Un petit extrait -

« - Tu ne peux pas affirmer qu'une chose se produira demain sous prétexte qu'elle s'est toujours produite jusqu'à maintenant. C'est une logique douteuse.

- Ah bon ? Pourtant, c'est ainsi que la plupart des gens raisonnent.

- Justement. Croire que certaines choses sont inévitables, qu'on ne peut rien y changer, fait partie du problème.  »

- Mon avis sur le livre -

 Vous n’imaginez même pas à quel point j’étais ravie d’apprendre qu’un hors-série sur Haymitch allait voir le jour, et à quel point j’étais terriblement impatiente de le découvrir ! En effet, Haymitch a toujours été mon personnage favori de la trilogie « Hunger Games », et j’avais vraiment hâte de découvrir son passé avant le début de « l’ère Katniss ». Je désirais vivement « faire la connaissance » de l’Haymitch pré-arène, du gamin qu’il était avant que les Jeux ne le brisent à tout jamais … Et le moins que l’on puisse dire, c’est que je n’ai clairement pas été déçue ! Bien sûr, on peut ressentir un peu de « fan-service » à certains moments, mais je trouve que c’est vraiment un hors-série qui apporte un vrai éclairage sur ce personnage à la fois très complexe et très « banal ».

Car c’est vraiment ce que je retiens de tout ce roman : contrairement à Katniss qui a toujours eu en elle cette étincelle de révolte, cette propension à briser les interdits et à s’affranchir des obligations, le jeune Haymitch a plutôt tendance à tout faire pour ne pas se faire remarquer. Prendre des risques, ce n’est clairement pas dans sa nature profonde : bien sûr, il fait tout ce qu’il peut pour aider sa mère et son petit-frère et pour améliorer leur quotidien (tout, y compris filer un coup de main à une fabricante d’alcool de contrebande : il semblerait que tout habitant du district Douze ait quand même cette attirance pour l’illégalité, comme un papillon de nuit pour la lumière), mais ce n’est clairement pas le genre d’ado rebelle qui va publiquement remettre en cause le système. Et tout au long du livre, on se rend bien compte qu’il n’a rien d’un véritable héros : sans être foncièrement égoïste pour autant, il n’a rien d’un « brave chevalier » prêt à mourir pour une cause qui le dépasse ou pour quelqu’un d’autre. Il a, humainement, très envie de rester en vie, même si cela signifie la mort d’autrui … Et je trouve que cela fait du bien, parfois, de se retrouver face à des personnages « normaux », qui nous ressemblent. On a certes besoin de modèles à la Katniss pour oser faire front contre l’injustice, mais on a aussi besoin d’être un peu « rassurés » : c’est normal de ne pas être à la hauteur de ces grands héros de romans, nous ne sommes qu’humains, après tout.

En bon petit gamin du Douze, le jeune Haymitch a tout de même tout au fond de lui cet appel à la lutte contre l’oppression et au dévouement pour les plus fragiles : du début à la fin, il enchaine les petits actes de rébellion, de défi vis-à-vis du Capitole. Il veut leur montrer qu’il ne jouera pas à leur petit jeu, qu’il ne servira pas volontairement leur propagande. Et même s’il se rend lui-même compte que, bien malgré lui, il se retrouve prisonnier du système et donc qu’il sert les intérêts de Snow, il a au moins le mérite d’essayer. Et essayer « c’est toujours mieux que de ne rien faire », même si l’essai se solde par un échec … Tout au long du livre, on oscille entre l’envie de féliciter cet ado qui tente de garder la tête haute, et celle de le réconforter lorsqu’il se rend compte qu’il n’a pas réussi à atteindre les objectifs qu’il s’éteint fixés ou à remplir la mission qu’on lui avait confié. Haymitch est vraiment très attachant, on sent qu’il a grand cœur, que c’est un brave garçon, qu’il n’est pas guidé par la haine mais plutôt par le désir de rendre les choses plus belles pour tout le monde … C’est vraiment un jeune héros qu’on a envie de soutenir de toutes nos forces, parce que si le monde était rempli de plus de personnes comme lui, les choses iraient sans doute mieux. Il n’est pas parfait, loin de là, mais il essaye d’être la meilleure personne possible … et c’est déjà beaucoup.

Mais l’émotion qui a vraiment prédominé ma lecture, c’est vraiment la peine : pauvre, pauvre Haymitch. La Moisson est déjà un système horrible et injuste, mais alors la façon dont il s’est retrouvé tribut (et le fait que cette irrégularité ait été si habilement masquée, ce qui prouve que la « vérité » est une chose bien fragile et bien manipulable) est absolument atroce. Et ces Jeux d’Expiation, avec deux fois plus de tributs et donc deux fois plus de morts nécessaires pour être le vainqueur … c’est horrible, vraiment. Surtout pour un jeune aussi sensible que ne l’ait Haymitch : c’est vraiment le genre de personne qui s’attache à tout le monde, et qui ne peut pas s’empêcher de prendre sous son aile tous ceux qui sont fragiles et délaissés … Et perdre tous ses petits protégés un à un, sans avoir pu rien faire pour les sauver, en ayant de plus cette culpabilité d’être resté en vie, cela doit vraiment être infernal à porter. On comprend donc bien pourquoi, au retour de cette épreuve, il sombre si rapidement dans l’alcool et devient, année après année, ce mentor las et désabusé que nous connaissons. Bien sûr, certains estimeront qu’il aurait dû lutter plus que cela, mais pour ma part, j’estime qu’Haymitch mérite plutôt la compassion que le mépris : très personnellement, je ne pense pas que j’aurai réussi à vivre avec ce poids, ce fardeau qui est le sien … alors je comprends qu’il tente d’oublier toutes ces horreurs. La résilience est un beau concept, mais c’est un concept très élitiste : tout le monde n’a pas cette force de caractère, et c’est normal, ce n’est pas être « un moins que rien », c’est juste être un humain « standard » …

En bref, je me suis vraiment « régalée » du début à la fin, car ce fut un plaisir de retourner dans cet univers si riche et si intéressant, et surtout, ce fut un plaisir de faire la connaissance du jeune Haymitch, même si on aurait préféré que cela se fasse dans d’autres circonstances … J’ai également beaucoup aimé rencontrer petit à petit d’autres personnages que nous retrouvons dans la trilogie originelle, on comprend bien mieux certaines choses maintenant. Mention spéciale à la toute jeune Effie : je ne m’attendais pas du tout à ce qu’elle apparaisse de cette manière, et cela la rend encore plus sympathique également ! J’espère que l’autrice nous proposera d’autres hors-séries de ce genre, je suis sûre qu’il y a encore des tas de personnages secondaires sur lesquels se concentrer pour nous offrir un tableau toujours plus complexe de l’histoire que nous connaissons déjà !

mercredi 5 février 2025

Les clans du ciel, tome 1 : La quête d'Ellie - Jessica Khoury

Les clans du ciel1, Jessica Khoury

La quête d’Ellie

 Editeur : Bayard jeunesse

Nombre de pages : 374

Résumé : Alors qu’elle participe à un concours pour devenir apprentie chevaleresse, Ellie, une Moineau, rencontre le Corbeau Nox, un voleur. Malgré leurs différences, tous deux doivent s’unir pour rejoindre Thelantis, la capitale du royaume. Les voilà qui s’envolent pour une aventure pleine de magie, mais aussi de dangers. Car les gargouilles, ces monstres venus du ciel, ne sont jamais très loin…

 

- Un petit extrait -

« Je veux un autre monde, dans lequel les rois se soucient du bien-être de leur peuple, et où les règles sont faites pour aider les gens à s’élever, pas pour les oppresser et les écraser.  »

- Mon avis sur le livre -

 Trop souvent, les auteurs de littérature jeunesse s’imaginent qu’il suffit de divertir les enfants, de leur faire aimer l’histoire : je ne dis pas que c’est faux, mais j’estime que c’est insuffisant. Pour moi, un bon livre pour enfant ou jeune adolescent doit non seulement plaire au jeune lecteur, mais aussi le faire grandir. Lui faire prendre conscience que le monde est bien plus vaste que son petit quotidien, et que la vie est plus complexe que ce qu’il pouvait imaginer jusqu’alors. Tout le monde s’accorde pour dire qu’un héros de roman, s’il est bien construit et qu’il vit des aventures dignes de ce nom, évolue au cours de son parcours ; la force d’un roman, c’est de permettre au lecteur de tirer lui aussi les mêmes leçons que ce héros, mais sans avoir à risquer sa vie pour cela. Ce que j’aime donc, ce sont les romans jeunesse qui ne prennent pas les petits lecteurs pour des idiots, mais bien comme de petits héros « de la vraie vie » en devenir, à qui il faut offrir l’opportunité de mûrir grâce à sa lecture.

Et sur ce point-là, ce roman a tout bon. L’autrice nous plonge au cœur d’un univers qui, au premier abord, fait rêver : des humains-oiseaux, n’est-ce pas féérique au possible ? Je pense qu’on est nombreux à s’être déjà demandé ce que cela ferait, de pouvoir s’envoler, s’extirper de la pesanteur, être parfaitement libre d’aller dans toutes les directions, de danser avec le vent, de prendre de la hauteur. J’ai donc trouvé l’idée vraiment sympathique, et assez originale car je n’ai pas le souvenir d’avoir déjà croisé ce genre de « croisement » dans une lecture ! Mais pour moi, la grande force de cet univers est ailleurs : derrière ce côté un peu féérique se cache une réalité sociale (sociétale ?) bien plus compliquée, bien moins réjouissante d’ailleurs. Des castes supérieures, des castes inférieures. Des destins bien tracés pour les uns ou les autres, sans possibilité de s’échapper de cet ordre bien établi pour s’élever plus haut que sa « condition » de naissance : si tu es né Moineau, on estimera que tu es condamné à être paysan, que tu es « fait » pour cela et pour rien d’autre. Et bien évidemment, aucun membre d’un Clan « supérieur » ne s’abaissera à faire quelque chose d’aussi dégradant, alors que le simple fait d’être né Faucon fait de vous un noble.

Et voici qu’Ellie, une jeune Moineau, orpheline de surcroit, est bien déterminée à prouver sa valeur et à devenir une Aile d’Or, une super-sentinelle des cieux. Jamais aucun enfant d’un Clan inférieur n’a revêtu l’uniforme de ce corps d’élite. Il faut dire que jamais aucun enfant d’un Clan inférieur n’a essayé de participer aux courses de sélection : le règlement ne l’interdit pas, mais « cela ne se fait pas ». De toute manière, un Moineau, c’est trop fragile pour porter l’épée, pas assez endurant, pas assez rapide, trop petit, trop … inférieur. Mais Ellie refuse de laisser qui ou quoi que ce soit la décourager. Déterminée, et même obstinée, la fillette est prête à tout pour réaliser son rêve … Ellie est tellement attachante, tellement adorable, qu’on lui souhaite de réussir, même si en tant qu’adulte, je pressentais que les choses n’allaient pas être aussi simples, et j’avais donc beaucoup de peine par anticipation pour elle. Car c’est vraiment une enfant avec un cœur d’or, qui ne désire rien d’autre que de faire le bien, que de rendre la vie plus sure et plus belle pour tout le monde. J’ai aimé sa candeur, sa naïveté, son altruisme, son dévouement : elle représente ce qu’il y a de meilleur dans la nature humaine …

Mais nous ne le savons que trop bien : dans la vie, le meilleur côtoie le pire. Et c’est le jeune Nox qui se fait en quelque sorte le dépositaire de la noirceur de l’existence. Né dans un Clan brisé, un Clan déchu, un Clan qui n’a même plus le statut de Clan, il est encore plus inférieur que n’importe quel membre d’un Clan inférieur. Il fait partis des rebuts parmi les rebuts, des moins que rien, aux côtés de ceux qui souffrent de la terrible « lépraille » que l’on parque dans des « camps » de fortune, de ceux que les plus grands de son monde souhaitent garder bien caché, le plus loin possible d’eux. Car la misère, quand on fait partie des nantis, on ne veut pas la voir. Par pure indifférence, par mépris, voire même pour certains … par profit. Certains sont prêts à tout pour assouvir leur soif de richesse ou de pouvoir, y compris à exploiter la misère des plus petits, des plus fragiles, des plus désespérés … Nox est un jeune homme désabusé, profondément blessé par la vie, qui a tellement côtoyé la noirceur qu’il est incapable de voir la lumière. Si Ellie est attachante, Nox est touchant : on sent bien que derrière ses airs de voyous sans foi ni loi se cache un cœur sensible et torturé, et on espère vraiment qu’il retrouvera un jour un peu d’espoir …

Et comme on peut s’en douter, nos deux héros vont … se rencontrer. Et bien sûr, ça fait des étincelles : même si ce roman est bien plus profond qu’il ne peut en avoir l’air au premier abord, on reste dans un roman destiné en premier lieu à des jeunes lecteurs de 9 à 12 ans. Donc ça se crêpe le chignon, ça n’est jamais d’accord, ça s’envoie des noms d’oiseaux à la figure (presque littéralement, sur le coup), ça boude, ça se réconcilie pour recommencer trois heures plus tard … C’est vraiment le petit côté léger de toute cette histoire, leur relation, même si on voit venir la super belle histoire d’amitié à des kilomètres à la ronde. Mais voilà, même si c’est prévisible, j’aime toujours ces duos « mal assortis » et pourtant si complémentaires : c’est souvent bien plus intéressant à suivre que des amis « fusionnels » qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Là, chacun est invité à se confronté à la vision de l’autre, ce qui aide le lecteur à en faire de même (surtout qu’il se sentira, de base, plus « proche » de l’un ou de l’autre). Face à toutes les embûches qui se dressent sur leur chemin, ils vont réagir différemment, et c’est souvent en trouvant une voie médiane entre leurs deux positions qu’ils parviennent à s’en sortir. Ils forment une bonne équipe, non pas parce qu’ils pensent pareil, mais justement parce qu’ils finissent par accepter que c’est normal de ne pas toujours penser pareil.

Je pense que je pourrais continuer à vous parler de ce premier opus pendant des heures et des heures ! D’un côté, c’est vraiment un récit d’aventure palpitant, avec beaucoup de rebondissements, le genre de roman qui se dévore d’une traite car il arrive toujours une nouvelle péripétie à nos héros et qu’on a terriblement envie de savoir comment ils vont pouvoir se sortir de ce nouveau mauvais pas … Et de l’autre, c’est aussi un roman qui véhicule pas mal de choses, qui illustre sans les nommer les inégalités sociales et les injustices qui en découlent, qui dénonce également l’indifférence et l’égoïsme des plus « grands » qui ne voient que leurs privilèges à conserver coute que coute (même si cela nécessite de laisser des gens souffrir), sans oublier l’hypocrisie et la jalousie qui gangrènent les relations entre les individus … Vraiment, je suis sous le charme, j’ai très envie de découvrir la suite de la saga, et je vous la conseille à 100 000% !

mercredi 29 janvier 2025

Le miroir de Cassandre - Bernard Werber

Le miroir de Cassandre, Bernard Werber

 Editeur : Albin Michel

Nombre de pages : 628

Résumé : Ses parents disparus ont voué Cassandre au malheur en la programmant à devenir voyante! Comme l'héroïne grecque dont elle porte le nom, la jeune fille est capable de prévoir les catastrophes, et comme elle, personne ne l'écoute...Aux lisières d'un Paris futuriste hanté par des êtres revenus à l'état sauvage, Cassandre et ses étranges amis vont essayer de sauver un monde qui court à sa perte, menacé par la surpopulation, la pollution, les guerres, les épidémies et le terrorisme.

 

- Un petit extrait -

« Elle se la répète.

Réussir c’est aller d’échec en échec sans perdre l’enthousiasme.

En soupèse chaque mot et l’enregistre, consciente de tout ce que la phrase renferme de promesse, d’espoir, de force contre l’adversité et de résistance aux épreuves.  »

- Mon avis sur le livre -

 Dans ce roman, le meilleur côtoie le pire … mais le pire gâche le meilleur. Je peux comprendre pourquoi la jeune moi de quinze ans a apprécié ce livre : jusqu’alors, je n’avais lu que de la science-fiction « pour ado », où l’action prime souvent sur la réflexion. C’était donc la première fois qu’un ouvrage m’invitait à réfléchir moi-même au futur, à l’avenir. Au fait que ce futur, cet avenir, est le résultat de choix présents (et même passés), que c’est ce qui se passe aujourd’hui qui détermine ce que sera demain. Bien sûr, en tant qu’adulte, on se dit que c’est évident … mais quand on sort du collège et qu’on commence seulement à prendre pleinement conscience de la complexité du monde, c’est assez grisant comme « découverte ».

Je me souviens avoir été fascinée par l’idée du « tribunal des générations à venir », lorsque Cassandre, représentante de notre génération, se retrouve face à cette cohorte de bébés enragés qui lui reprochent son égoïsme, son inactivité, sa complaisance dans l’aveuglement et son je-m’en-foutisme, son appétence pour les loisirs sans penser aux conséquences pour la terre et ses habitants (qu’ils soient déjà nés ou non). Déjà à l’époque, cela m’avait fait songer à la phrase de Saint-Exupéry : « Nous n'héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants ». Désormais, cela me fait également penser à l’encyclique Laudato si’ du Pape François, dans lequel il affirme que « la notion de bien commun inclut aussi les générations futures » et qu’il faut donc envisager une véritable solidarité intergénérationnelle. « Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous succèdent ? » : sans la poser aussi explicitement que le souverain pontife (qui ne s’adresse pas seulement aux croyants, mais « à chaque personne qui habite cette planète »), ce roman est traversé par cette question. Et en cela, oui, je continue à le trouver intéressant.

De même, l’idée de l’Arbre des Possibles, avec toutes ces éventualités d’avenirs (souhaitables ou non), m’avait également beaucoup marquée. Je commençais seulement à me plonger dans la science-fiction, et donc à envisager une infinité de futurs possibles, et ce roman m’a véritablement fait « prendre conscience » de l’importance de ce genre littéraire, justement. Il y a un petit côté « méta-science-fiction » dans ce roman, qui interroge sur l’importance d’écrire des romans sur le futur, d’aider le lecteur à se représenter ce qui peut advenir « si » on fait ceci ou « si » on ne change pas cela. Isaac Asimov s’était donné pour mission, à travers ses romans de science-fiction, de proposer à l’humanité présente des futurs « souhaitables » et des futurs « horrifiques », pour lui montrer qu’il ne tenait qu’à elle de prendre le bon ou le mauvais chemin, tantôt en lui agitant au bout du nez quelque chose d’attirant, tantôt en lui mettant le nez dans le plus terrifiant … Mais lui-même avait fini par se dire que c’était inutile, car l’être humain choisira toujours le chemin le plus mortifère, même si des scientifiques et auteurs avaient pris la peine de réfléchir à ce que cela donnera. C’est également la conclusion à laquelle arriveront certains personnages du roman : cela ne sert finalement à rien d’essayer d’avertir l’humanité qu’elle fonce dans le mur, car elle n’aspire qu’à appuyer toujours plus fort sur l’accélérateur.

Je vais m’arrêter là, mais vous comprenez, je pense, que je continue à trouver que ce roman offre tout un tas de pistes de réflexion au lecteur. C’est, selon moi, le point fort de ce récit : on sent que l’auteur a une fascination (plus ou moins morbide, il faut le reconnaitre) pour l’avenir de l’humanité, ainsi que pour la figure du visionnaire qui parle dans le vide.

Mais voilà, le gros problème, c’est qu’on sent que monsieur Werber s’estime être un de ces visionnaires incompris, un de ces êtres à l’intelligence et  à la lucidité supérieures qui sont « condamnés » à vivre entourés de faibles idiots aveugles. L’héroïne est d’une vanité et d’un égocentrisme monstrueux, qui prend de haut toutes les personnes qu’elle côtoie … sauf son génie de grand frère qui a le droit à un peu plus de considération (mais pas trop, quand même, car elle s’estime quand même meilleure que lui, vu qu’après tout, elle est l’expérience la plus aboutie, la mieux réussie, lui n’était que le « prototype » trop faible pour exploiter pleinement toutes ses facultés). C’est vraiment ce qui m’a agacée dans cette relecture : cet écrasement de ceux qui ne sont pas aussi « éclairés » que ces rares élus capables de voir plus loin que le court terme. Oui, je veux bien reconnaitre qu’une bonne partie des individus ne passent pas l’intégralité de leur journée à s’interroger sur les conséquences au long terme de leur dernier passage chez le coiffeur, mais cela ne veut pas dire que toutes ces personnes « méritent » d’être méprisées.

Six-cent pages à subir les élucubrations mégalomanes d’une ado de seize ans qui se croit « charismatique » et s’imagine investie d’une mission unique (« je suis la seule à pouvoir changer le cours de l’histoire, l’unique à pouvoir ouvrir les yeux de mes contemporains, celle qui doit leur montrer le chemin, celle qui doit subir le martyre de leur aveuglement et de leur cruauté »), je peux vous dire que c’est long. Je vous épargnerais donc l’étalage de tous les autres points négatifs de ce roman, car celui-ci les résume tous. Toutes les bonnes idées sont parasitées par un déballage de réflexions pseudo-philosophiques qui ne font que mettre en lumière l’orgueil démesuré de l’auteur qui, en plus, se croit drôle (alors que franchement, son « humour » est de très mauvais goût). Les personnages sont caricaturaux au possible, mais ils se croient « complexes et subtils ». La narration est lourde, mais se prétend « poétique ». Cela peut convaincre ceux qui ne sont pas très difficiles et qui n’ont pas encore lu de meilleurs livres du même genre … mais c’est tout. Il y a quelques pistes de réflexions qui peuvent être intéressantes, mais elles sont bien mieux amenées et traitées dans un tas d’autres romans de science-fiction, donc clairement, pas la peine de s’embêter avec celui-ci. J’ai (re)testé pour vous, il n’en vaut pas la peine.