samedi 27 août 2022

Les enfants du Préventorium - Fabien Clavel

Les enfants du Préventorium, Fabien Clavel

 Editeur : Fleurus

Nombre de pages : 241
Résumé : Article 2048. Tout enfant présentant un caractère potentiellement déviant devra, dès l'âge de 3 ans, être retiré à ses parents pour être interné au Préventorium. Ce que la loi n'avait pas prévu, c'est que les traitements administrés doteraient les enfants de pouvoirs psychiques étonnants ... Anaël, Miklos, Untu, Léana et Jão ont grandi ensemble dans le Préventorium. Mais, quand ils découvrent que le plus jeune d'entre eux, Jão, est atteint d'un cancer incurable, ils commencent à remettre en question le discours des adultes qui les encadrent. Les adolescents sont désormais prêts à tout pour percer les mystères de l'institut et tenter de s'évader.

 Un grand merci aux éditions Fleurus pour l’envoi de ce volume et à Babelio pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« Ici, contrairement aux histoires qu’on lit, nous n’avons pas de parents. Yasu dit que ce n’est pas la peine. Alors, dans les contes qu’invente Léana, il y a souvent un père et une mère. […] Nous sommes habitués à ça mais, pour Jao, ça reste difficile. Il s’endort souvent en pleurant et en réclamant ses parents. Pourtant, quand on lui demande de nous en parler, il n’en a aucun souvenir. Comme nous.  »

- Mon avis sur le livre -

 Il semblerait que dans le monde littéraire comme ailleurs, je sois le vilain petit canard, celle qui pense toujours différemment des autres. Je vais ainsi tomber en amour profond pour des ouvrages que l’écrasante majorité dénigre – je pense ici à l’atypique Les chats des neiges ne sont plus blancs en hiver de Noémie Wiorek pour lequel j’avais eu un immense coup de foudre, mais qui semble perçu comme plat, pénible et lourd par tous les autres lecteurs … Et de l’autre côté, je vais totalement passer à côté d’ouvrages unanimement encensés, me demandant du début à la fin ce que peuvent bien leur trouver la masse, et bien sûr, la déception est d’autant plus grande qu’on me les vendait comme des chefs d’œuvre inimitables et inoubliables. Alors bien sûr, tout le monde vous dira que « les gouts et les couleurs, ça ne se discute pas » … mais il y a quand même un petit quelque chose de fort déconcertant d’avoir si régulièrement des avis diamétralement opposés à ceux de tous les autres lecteurs. Une fois, on se dit, c’est normal. Deux fois, pourquoi pas. Mais quasiment systématiquement ? On se dit qu’il doit y avoir quelque chose qui cloche chez nous, qu’on est définitivement pas constitué comme les autres. Et surtout, en tant que chroniqueuse, j’en viens à me demander si cela vaut encore la peine : mes avis peuvent-ils réellement aider quelqu’un, puisque je suis celle qui n’aime jamais rien comme les autres ? Et puis, je me dis : mais que serait le monde sans un peu d’anormalité, sans un peu d’étrangeté ? Si je me tais, n’est-ce pas faire gagner la tyrannie de la standardisation ?

Ne serait-ce pas la première étape vers la création des Préventorium, ces centres dans lesquels on enferme les gamins au comportement déviant ? Comme environ 15% des enfants testés depuis l’instauration de la loi, Anaël, Miklos, Untu, Léana et le tout jeune Jão ont été jugés « incapables de répondre de manière adaptée à l’agressivité interne ou externe à laquelle ils étaient confrontés », et ont donc été placés dans un Préventorium, afin de subir un traitement qui effacerait ces comportements violents. Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année, ces enfants devenus adolescents passent de leur dortoir à leur salle de cours, du réfectoire à la petite cour, du couloir au laboratoire. Chaque jour la même routine, inlassablement. Jusqu’au jour où un incident vient briser cet enchainement discontinue de journées rigoureusement identiques. Jusqu’au jour où une question s’impose au petit groupe : les adultes leur disent-ils vraiment toute la vérité ? Et si tout ce qu’on leur avait raconté, pour ne pas dire rabâcher, depuis leur plus tendre enfance n’était que des mensonges ? Et si le Préventorium n’était pas là pour les protéger et les soigner comme on ne cesse de le leur répéter, mais plutôt pour les enfermer et protéger les autres d’eux ? Et si ce qu’ils prenaient jusqu’alors comme leurs « petites particularités » étaient en réalité de véritables et dangereux pouvoirs ? Lorsqu’ils découvrent que le petit Jão, le plus jeune du groupe, est terriblement malade, ils décident de tenter le tout pour le tout pour réaliser son plus grand rêve : retrouver ses parents …

A la lecture du résumé, ce qui m’a véritablement donné envie de découvrir ce roman, c’est toute cette affaire de Préventorium. « Tout enfant présentant un caractère potentiellement déviant devra, dès l’âge de trois ans, être retiré à ses parents pour être interné au Préventorium » … Au nom de la sécurité, de la prévention de la délinquance, la législation prévoit d’arracher des gosses de trois ans à peine à leur famille pour les parquer dans des centres pseudo-médicaux afin de « soigner » cette prédisposition à la violence et au crime. Plus encore, au nom de la sécurité, on n’hésite pas à inoculer à des gosses une molécule dont on ne connait pas les effets secondaires, on exploite ces enfants comme des rats de laboratoire sous prétexte que des tests psychologiques effectués à l’âge de deux ans révèlent qu’ils sont des meurtriers en devenir. Que ne fait-on pas au nom de la sécurité ! Imaginez : dans certains cas, ce sont les parents eux-mêmes qui, trouvant leur enfant « trop difficile », les abandonnent au Préventorium. Car c’est bien connu : un enfant qui rechigne à manger ses épinards ou à faire sa sieste sans pleurer tuera père et mère dans quelques années … La formulation même de la loi fait froid dans le dos : « potentiellement déviant ». Littéralement «  qui risque de s’éloigner de la norme ». Il suffit donc d’avoir la suspicion que l’enfant ne rentrera pas dans le moule pour justifier son internement. Tyrannie de la standardisation poussée à son extrême : il faut protéger la société de ces individus atypiques, différents. Anormaux, donc dérangeants. Effrayants, même.

Le problème, c’est que cet aspect des choses … n’est que survolé. C’est vaguement évoqué pour justifier l’existence du centre dans lequel sont enfermés nos jeunes héros, pour donner un cadre à leur enfermement, mais rien de plus. C’est fort dommage, car à lire quelques chroniques par-ci par-là, c’est tellement peu expliqué que beaucoup semblent ne pas avoir tout compris : il faut vraiment se concentrer pour remettre les pièces du puzzle en place et ne pas faire de contresens malheureux. Plus généralement, je trouve que c’est un récit qui manque sérieusement de consistance, de profondeur : tout va beaucoup trop vite, tout manque d’approfondissement. Tout s’enchaine à un rythme qui se veut trépidant, mais qui donne plutôt le sentiment de lire un synopsis, tout au plus un premier jet : il se passe ci, puis ça, et encore ceci, et enfin cela. On passe directement de A à Z sans transition aucune. Pendant douze ans, les occupants du dortoir B ne se sont jamais posé la question de savoir s’il y avait un dortoir A, pendant douze ans, ils ont à peine chercher à savoir pourquoi ils ne pouvaient ni sortir ni recevoir de visites de leurs parents, pendant douze ans ils ont accepté les médicaments sans même savoir de quelle maladie ils souffraient … et hopla, du jour au lendemain, ils se posent tellement de questions qu’ils vont voler leurs dossiers médicaux et contacter l’extérieur. En l’espace de douze ans, ils n’ont jamais pu ne serait-ce qu’aller dans la cour sans en avoir l’autorisation car les gardes sont très vigilants et inflexibles, et voilà qu’ils réussissent une évasion du premier coup sans rencontrer de véritable résistance … Et ainsi de suite.

C’est d’autant plus dommage que même la révélation finale, supposée être incroyable, nous laisse quelque peu de marbre. Alors bien sûr, c’est pour le moins inattendu … mais peut-être trop inattendu, justement. C’est trop gros, ça tombe comme un cheveu sur la soupe tel un deus ex machina des plus lourdauds … et des plus inutiles, puisqu’à peine la « bombe » lâchée, on jette négligemment le mot fin. Tout ça pour ça, en somme. L’auteur s’est bien joué du lecteur, il l’a mené par le bout du nez du début à la fin, très bien … mais à part la satisfaction d’avoir berné le lecteur, qu’est-ce que cela apporte véritablement ? Le plot twist est superbement bien mené, rien à redire, mais je n’en vois pas l’intérêt narratif. L’intérêt pour l’histoire. D’autant plus qu’il ne faut pas se mentir : celle-ci manque déjà quelque peu d’originalité (les gamins cobayes qui développent des super-pouvoirs, ça n’a plus rien de révolutionnaire de nos jours). Il aurait donc fallu que le dénouement, que la fin, change de l’ordinaire, apporte un petit quelque chose de nouveau au genre. Un peu d’audace, nom d’un petit bonhomme en mousse ! Ce n’est pas parce qu’on destine un livre au jeune public qu’il faut rester bien sagement dans les sentiers battus, qu’il faut rester dans ce qui déjà vu et revu : même le jeune lecteur aura le sentiment d’avoir « déjà lu » ça quelque part, et il n’aura pas tort. Et comme tout va très vite, il n’aura même pas la possibilité de s’attacher véritablement à un personnage : ils forment une sorte d’entité indéfinie, mais leur individualité est à peine effleurée. A part le narrateur qui attire un tantinet plus de sympathie, on n’arrive pas vraiment à se sentir concerné par leur sort, ils restent d’illustrés inconnus, des prénoms posés sur le papier, sans consistance.

En bref, vous l’aurez bien compris : j’attendais énormément de ce roman, d’autant plus que j’avais beaucoup apprécié Asynchrone du même auteur, mais j’ai été quelque peu déçue. Alors bien sûr, ça reste une lecture sympathique, sans aucune prise de tête, divertissante … Mais il m’a vraiment manqué quelque chose pour être véritablement convaincue par ce récit qui manque selon moi d’originalité et de profondeur : je n’ai pas réussi à m’attacher aux personnages, et je n’avais aucune raison de m’en faire pour eux puisque tout leur tombait tout cuit dans le bec. Et surtout, je n’ai pas ressenti le moindre enjeu : ok, ils veulent sortir, c’est parfaitement normal. Et oui, bien sûr, ils voudraient retrouver les parents du petit Jão, c’est plutôt gentil de leur part. Mais après ? Et bien après, rien. Baissez le rideau. Secouez-le vaguement avec une ultime révélation pour faire genre qu’il y a quelque chose derrière. Et éteignez les lumières : le spectacle est fini. C’est vraiment dommage, car je trouve qu’il y avait de bonnes idées derrière, qu’il y avait du potentiel, mais rien n’a été exploité, juste effleuré, juste survolé. Alors peut-être qu’une suite est prévue, je ne sais pas, rien ne l’indique en tout cas … Mais je l’avoue, même si je suis curieuse de savoir les répercussions de cette évasion, à la fois pour nos jeunes héros et pour tout le système, je ne suis pas certaine d’avoir vraiment envie de lire cet hypothétique second opus : je me suis un tantinet ennuyée avec celui-ci. Mais si cela peut vous rassurer, je suis vraiment l’exception qui confirme la règle, car tous les autres avis que j’ai eu l’occasion de lire sont pour le moins dithyrambiques : puisque je n’ai pas aimé plus que cela, je pense que les autres lecteurs vont tous adorer, vous y compris ! Je reconnais ne pas comprendre ce qu’ils y trouvent de si extraordinaire, mais si tout le monde le dit, ils ont sûrement raison !

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