Editeur : Les Arènes
Nombre
de pages : 334
Résumé : Moscou, mars 1960. En Union soviétique, les
échecs sont un sport national et le champion du monde, Maxim Koroguine, est le
héros du régime. Avec lui, le jeu d’échecs est devenu une science de la
logique. Surgit alors un jeune prodige de 23 ans, Mikhail Gelb, surnommé
Mishenka, romantique et imprévisible. Pour Mishenka, les échecs sont un
langage, une forme de poésie. On dit de lui qu’« il pense avec ses mains ». En
compétition pour le titre mondial, le champion et son challenger s’affrontent,
durant deux mois. Leur match est suivi par des millions de passionnés.
- Un petit extrait -
« A la présentation de l’homme de radio, Gelb répondit avec enthousiasme. Il parlait avec l’aisance d’un tout récent diplômé en littéraire, parsemant ses longs commentaires de toutes sortes de citations et de calembours. On l’écoutait avec plaisir, même si d’obscures allusions durent échapper à bon nombre d’auditeurs. Avec plaisir, oui, car il compliquait la vision alors prédominante d’un jeu que le nom de Koroguine avait longtemps résumé à lui seul, vision le réduisant à un simple exercice de calcul. Et voilà que ce jeune challenger évoquait un roman, citait des vers, multipliait les plaisanteries (drôles, qui plus est). Il n’y avait d’ailleurs rien d’affecté dans ses propos : il donnait l’impression de ne pouvoir s’empêcher de parler ainsi, mêlant alexandrins et échecs, comme si une telle profusion de pensée était la source même, le fondement, de son don. »
- Mon avis sur le livre -
C’est au collège que j’ai entendu parler pour
la toute première fois de Daniel Tammet, tandis que je cherchais quelques
prénoms de personnes handicapées célèbres afin d’écrire le texte de la comédie
musicale annuelle (pour ceux que ça intéresse, il était question dans cette
pièce de respect, de tolérance, de bienveillance et d’acceptation des
différences d’autrui, rien que cela). A l’époque, j’avais surtout retenu de lui
qu’il avait appris l’islandais en quelques jours, ce que je trouvais totalement
incroyable étant donné que j’étais alors totalement incapable d’apprendre trois
verbes irréguliers d’anglais sans m’emmêler les pinceaux. C’est donc très
curieuse que je me suis plongée dans ce roman : comment un autiste
Asperger allait-il nous raconter cette histoire tirée d’une histoire vraie ?
Moscou, en 1960. Notre protagoniste,
journaliste de son état, est chargé de couvrir le match opposant le champion du
monde d’échecs, Maxim Koroguine, et son challenger Mikhail Gelb, dit Mishenka.
A travers eux, deux visions du jeu s’affrontent : calcul froid et
pragmatique du côté du détenteur actuel du titre, poésie et intuition pour le
jeune prodige de 23 ans qui lui fait face. Pendant deux mois, la nation toute
entière va vibrer au rythme des parties qui s’enchainent sans jamais se
ressembler …
Je ne m’en cache pas : je ressors plutôt
mitigée de cette lecture. D’un côté, j’ai beaucoup aimé la plume de Daniel
Tammet, sa façon très particulière de décrire l’ambiance d’une salle de telle
sorte qu’on a le sentiment de s’y trouver pour de bon, sa manière de raconter
sans vraiment le faire, en suggérant plutôt qu’en imposant … Et de l’autre, je
me suis sentie perdue. Je ne connais rien aux échecs, bien que je trouve ce jeu
passionnant, et je n’ai donc absolument rien compris aux parties racontées, aux
enjeux de chaque déplacement, aux subtilités des stratégies utilisées de part
et d’autres … Je ne saisissais pas non plus l’émoi des grands maitres face à
certains choix des deux joueurs, ne comprenant pas où se situait le scandale
dans tel ou tel coup. Bref, je pense que seul un grand joueur d’échecs peut
véritablement comprendre ce livre, qui a toutefois de très belles qualités !
La première étant le génie littéraire de
Daniel Tammet. Contrairement à d’autres blogueurs, qui regrettent de « ne
pas en savoir assez sur les personnages », j’ai pour ma part été charmée par
ce choix. Certes, on ne sait pas grand-chose de la psychologie et de la
personnalité profondes des protagonistes, on ne sait que ce que le narrateur
sait lui-même, voit et entend, leurs mimiques, leurs prises de parole, leur
attitude. Le lecteur est comme la foule, cette immense foule qui se presse au
théâtre où se déroule le match, cette immense foule rivée aux postes de radio
pour suivre les parties par l’intermédiaire des propos du commentateur, cette
immense foule qui achète chaque matin les journaux pour lire le compte-rendu
des rencontres. Il ne connait rien de ces deux hommes qui s’affrontent jour
après jour, seulement ce qu’ils laissent paraitre. Et très honnêtement, dans ce
roman relatant un match d’échecs, où seuls comptent les résultats de chaque
partie, avons-nous réellement besoin d’en savoir plus ? Non. Et c’est bien
pour cela que j’aime Daniel Tammet, il ne s’est pas forcé à ajouter des
informations parfaitement inutiles. C’est inédit, c’est du génie.
De la même façon, je le redis, sa plume est
vraiment incroyable. Très poétique, très rythmée, sa narration est toute en
finesse et en légèreté. On ne s’ennuie pas en lisant Daniel Tammet, même
lorsque l’on ne comprend pas tout ! Il a ce pouvoir de transporter le
lecteur là où il veut. Quand il décrit le théâtre, empli de monde, quand il
décrit l’usine, bourdonnante d’activité, il parvient à transformer les phrases
en ambiance, en sons et odeurs, en lumières et ombres. C’est un véritable bond
dans le temps et l’espace qu’il nous propose : l’espace de trois-cent
pages, on se retrouve littéralement plongé au cœur du Moscou de 1960, comme si
on y était. C’est brillant. De plus, Daniel Tammet suggère plus qu’il ne
raconte : tout est dans les sous-entendus, les non-dits. C’est à l’imagination
du lecteur de prendre la suite, de reconstituer l’action telle qu’elle n’est
pas décrite, telle qu’elle est évoquée. Car chez Daniel Tammet, tout est dans
le détail : c’est au froncement de sourcils que le lecteur comprendra la
fatigue de Koroguine, à sa façon de se raidir qu’il saisira l’incertitude de
Mishenka. C’est inhabituel, comme façon de raconter, mais j’aime vraiment
beaucoup. J’ai hâte de lire un autre ouvrage de Daniel Tammet pour retrouver
cette poésie des mots !
En bref, vous l’aurez compris, si je suis
tombée amoureuse du style d’écriture de Daniel Tammet, innovant et étonnant, je
n’ai pas réussi à m’intéresser réellement à l’histoire, ne connaissant pas suffisamment
les échecs pour saisir toutes les subtilités de cette intrigue dont les
fondations ne sont autres que des parties d’un championnat du monde. Ce n’est
donc ni une bonne lecture, ni une totale déception : c’est un entre-deux
très délicat à définir, un milieu très difficile à cerner. Une lecture mitigée,
je pense que c’est vraiment le terme qui convient pour ce roman, qui plaira
très certainement à ceux qui maitrisent bien les règles de ce jeu qui me semble
aussi passionnant que complexe !
Ce livre
a été lu dans le cadre de la Coupe des 4 maisons
(plus
d’explications sur cet article)
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