samedi 4 juillet 2020

Les silencieux n'en pensent pas moins - Azelma Sigaux


Les silencieux n’en pensent pas moins, Azelma Sigaux

Editeur : Faralonn
Nombre de pages : 341
Résumé : 2279. La planète s’apprête à traverser une crise sans précédent. L’ère de l’immortalité touche à sa fin, embarquant les populations dans un tourbillon d’interrogations, et les dirigeants dans des stratagèmes où l’éthique n’a pas sa place. Deux personnages occuperont un rôle crucial à l’aube de ce nouveau pan de l’Histoire. D’un côté Harold, usé par ses relations familiales et des capacités qui le dépassent, de l’autre Jeanne, frustrée par son extraordinaire absence de facultés. Au cœur de la forêt primaire, aux côtés de la dernière tribu libre du monde, tous deux s’appuieront sur la Nature et le Vivant pour trouver des réponses à leur quête de sens.

N.B. : Cette histoire se déroule chronologiquement après Les Éphémères sont éternels, du même auteur. Pour autant, les deux livres peuvent se lire indépendamment et dans l’ordre qui vous plaira.

Un grand merci à Azelma Sigaux pour l’envoi de ce volume (et la petite dédicace).

- Un petit extrait -
« Puis, au fond de ses entrailles, le garçon ressentit une douleur qui ne lui appartenait pas, et qui par sa violence le cloua au sol. D’un coup, une série d’images envahit son cerveau. D’abord, une scène montrant des hommes enchainés, fouettés, puis vendus. Ensuite, la vidéo d’une souris découpée vivante, patte par patte, sur ce qui ressemblait à un établi de laboratoire. Puis, celle d’un oiseau amaigri, mourant péniblement de faim. Un bosquet brûlant de l’intérieur sous l’effet des herbicides à peine déversés. Une femme s’immolant par le feu devant une entreprise. Un requin amputé de son aileron, chutant conscient, mais inerte, au fond de l’eau. Un arbre tronçonné. Une abeille désorientée, asphyxiée. Un enfant frappé. Un dromadaire s’écroulant de fatigue sous le poids de touristes obèses. Une foule de manifestants tentant d’échapper aux balles des policiers. Un blaireau violemment déterré par un chasseur et sa horde de chiens. Un enfant observant son père se faire exécuter en pleine rue. Une tribu d’indiens pendus à la branche d’un arbre. Un ours polaire dans un désert. […] Déjà terrifiants par eux-mêmes, les clips s’accompagnaient de sons, et surtout de sensations. Harold vivait les événements autant qu’il les voyait. Il étouffait en même temps que le poisson sorti de l’eau. Il agonisait comme l’homme assis sur cette chaise électrique. Il pâtissait tout autant que le grand chêne scindé en deux.  »
- Mon avis sur le livre -

J’ai pour habitude de dire qu’il y a deux types de romans : les « romans-intrigues » – dont le seul objectif est de captiver le lecteur et lui faire vivre par procuration des aventures palpitantes – et les « romans-messages ». Dans cette seconde catégorie, l’histoire racontée n’est finalement qu’un prétexte : l’essentiel n’est pas dans le récit, mais bien dans le message qui s’y cache. Puisque l’homme s’obstine à fuir la réalité en se tournant vers la fiction, certains auteurs ont bien compris qu’il fallait s’aider de la fiction pour dépeindre la réalité. Pour ouvrir les yeux volontairement aveuglés de ceux qui refusent de voir la réalité en face. Pour tirer la sonnette d’alarme : l’apocalypse n’existe pas seulement dans les ouvrages et films de science-fiction, elle toque à notre porte, elle se cache au cœur-même de notre quotidien … Il est loin le temps où les auteurs pouvaient se contenter de divertir les foules : désormais, il faut les avertir. Et cela, Azelma Sigaux le fait à travers chacun de ses ouvrages, et c’est justement pour cette raison que je les aime tant ...

Après des siècles d’asservissement et de dépendance volontaire au révolutionnaire sérum d’immortalité, les hommes doivent faire face à la plus terrible des pénuries : le bogo, ce poisson unique et increvable dont était tiré ce sérum d’éternité, est mort … Tandis que dans les hautes-sphères, les puissants de ce monde – qui disposent bien évidemment d’un stock personnel de Bogolux – piétinent allégrement toutes considérations éthiques et morales afin d’assurer leurs arrières, les peuples se lamentent sur leurs sorts sans se douter de ce qui les attend … Une nouvelle ère est sur le point d’advenir. Sans le savoir, Harold et Jeanne vont se retrouver au cœur de ces bouleversements. Lui, l’hyperempathique exténué par ses capacités extrasensorielles qui lui pourrissent l’existence, et elle, mortelle dénouée de tout don en quête de sens. Pour des raisons qui leur sont propres, tous deux vont se retrouver sur la Terre d’Amande, cette île jusqu’alors préservée du fléau humain, sur laquelle vit l’ultime tribu libre du monde. Sans le savoir, ils vont devenir la voix de tous ces opprimés qui souffrent en silence …

Ayant beaucoup aimé le « premier tome » (bien que, comme l’indique l’autrice, il est parfaitement possible de lire celui-ci sans avoir lu Les éphémères sont éternels … mais personnellement, je vous le recommande tout de même très chaudement), j’étais vraiment curieuse de découvrir ce qui allait advenir maintenant que le sérum d’immortalité n’existe plus. D’un côté, je voulais croire que l’autrice allait nous dresser le portrait d’un futur « radieux », d’une humanité qui aurait appris de ses erreurs pour reconstruire un nouveau monde plus harmonieux … mais je me doutais que ce n’allait pas être le cas. En effet, bien que ça fasse un peu mal au cœur de l’admettre, mais je sais bien que l’homme retombe aisément dans ses pires travers. C’est donc un futur bien sombre que nous dépeint ici l’autrice : un futur où les hommes, au nom de la sacro-sainte croissance économique qui assure le petit confort des plus riches au détriment de la masse des plus pauvres, recommencent à polluer et à piller les ressources naturelles de plus belles. Un futur où les hommes sont prêts à tout … sauf à faire des efforts. Le portrait n’est pas très reluisant, mais il est bien malheureusement très fidèle …

Comme je m’y attendais, c’est donc un véritable plaidoyer que nous offre l’auteur sous le couvert de la fiction … Un plaidoyer en faveur de la nature, de notre Terre, de nos frères les animaux, que nous décimons, que nous détruisons, que nous anéantissons sans vergogne pour notre petit confort personnel. Tous ces opprimés silencieux, victimes de notre soif de « toujours plus », de notre sentiment de supériorité, de notre inconscience également. Car saccager ainsi notre planète, c’est nous conduire nous-même à notre propre perte, c’est couper la branche sur laquelle on est assis … « La plupart sait tout ça depuis longtemps, mais ne veut pas voir la vérité en face. Les gens préfèrent l’ignorer, ou considérer les victimes comme des objets insensibles. C’est plus simple comme cela. Sinon, ça reviendrait à tout remettre en question … Y compris le mal qu’ils ont eux-mêmes causé, indirectement ou non » : ces propos de l’Arbre, ils sont d’une justesse inouïe. Ils décrivent bien l’engrenage infernal dans lequel nous sommes enfermés. Nous savons pertinemment bien que la Terre ne pourra pas suivre la cadence bien longtemps … mais comme pour y remédier, il faudrait nous-mêmes faire quelques sacrifices, on se contente de hausser les épaules en se disant qu’il est trop tard pour faire marche arrière et que, du coup, il faut se contenter de profiter.

Ce livre ne nous apprend donc rien : il ne fait que mettre en lumière, en évidence, en valeur, tout ce que nous souhaitons volontairement occulter, oublier. Il nous oblige à faire face à nos propres contradictions, à ôter nos œillères pour voir la vérité en face. Comme Harold et Jeanne, ces deux jeunes gens perdus qui ont fini par trouver le sens de leur existence, l’autrice se faire la porte-parole de la Terre, des animaux, de ces hommes, femmes et enfants qui subissent nos lubies d’hommes « civilisés ». Et par la même occasion, elle nous rappelle tout ce que la nature a à nous offrir : l’émerveillement et l’apaisement, la beauté et la sérénité, la sagesse et la simplicité. Certains passages m’ont tiré les larmes aux yeux : ce moment où Harold –  dont je me sens très proche vu que je suis hypersensible, et donc régulièrement « agressée » par les émotions environnantes qui me submergent et m’angoissent – trouve la paix en s’appuyant contre un arbre, ce moment où il a aidé une maman fourmilier à retrouver son bébé … Des petits instants de grâce qui s’opposent par leur douceur à tous ces passages qui nous relatent la cruauté humaine : quand les soldats oppriment ce peuple innocent et insouciant dans leur quête d’un nouveau bogo, quand ces mêmes soldats « foncent dans le tas » et déracinent des centaines d’arbres en écrasant des milliers d’êtres vivants pour ne frayer un chemin dans la jungle …

En bref, vous l’aurez bien compris, ce n’est pas un livre que l’on peut aimer pour son potentiel « romanesque », mais que j’ai personnellement apprécié pour son message, puissant et percutant, et pour la façon dont il a été brillamment amené sous cet « enrobage » fictionnel. C’est un roman qui fait – malheureusement – écho à notre actualité socio-économico-politique et écologique … mais également à mes convictions, car c’est un roman en faveur de la protection de l’environnement et des animaux, en faveur également d’une humanité plus humaine, où personne ne sera plus opprimé par son voisin, où chacun sera véritablement respecté. Et même si l’histoire n’est finalement qu’un prétexte, comme je le disais plus haut, il n’empêche qu’elle est très bien menée : les deux personnages principaux sont vraiment attachants, la tension enfle progressivement jusqu’à l’apothéose finale, et la plume de l’autrice est vraiment belle. C’est donc un livre qui fait passer un agréable moment de lecture tout en éclairant les consciences, en ouvrant les cœurs à cet appel des Silencieux qui n’en pensent pas moins …

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