mercredi 3 novembre 2021

14-14 - Paul Beorn et Silène Edgar

14-14, Silène Edgar et Paul Beorn

 Editeur : Castelmore

Nombre de pages : 349

Résumé : Adrien et Hadrien ont treize ans et habitent tous les deux en Picardie. Ils ont les mêmes préoccupations : l’école, la famille, les filles … Une seule chose les sépare : Adrien vit en 2014 et Hadrien en 1914. Grâce à une boîte aux lettres mystérieuse, les deux adolescents vont s’échanger du courrier et devenir amis. Mais la Grande Guerre est sur le point d’éclater pour Hadrien et leur correspondance pourrait bien s’interrompre de façon dramatique …

 

 

 

- Un petit extrait -

« Ce ne sont pas les paroles qu'il voudrait prononcer mais, quand on est en colère, on n'a pas le choix des mots. Ceux qui nous viennent à la bouche, ce sont les plus pointus, les plus méchants, ce ne sont jamais les plus vrais. »

- Mon avis sur le livre -

 A l’époque, à la fois si proche et si lointaine, où les salons littéraires pouvaient encore avoir lieu sans la moindre restriction ni menace d’annulation au dernier moment, je pouvais passer des heures et des heures à éplucher la liste des auteurs présents, à décider lesquels je souhaitais à tout prix aller voir, auxquels j’allais acheter un livre sur place … Je m’y prenais à l’avance, car en grande timide que je suis, je tenais à avoir lu au moins un ouvrage de chaque auteur que je comptais rencontrer, pour m’aider à tenir une conversation un peu plus soutenue qu’un misérable « Bonjour je m’appelle Marie ». Commençaient alors de véritables marathons littéraires : selon les aléas des livraisons postales, je n’avais parfois qu’une semaine devant moi pour lire plus d’une dizaine de romans, parfois assez imposants (car la littérature de l’imaginaire aime les gros pavés) ! Nul besoin de préciser que je ne prenais alors pas le temps de rédiger une chronique pour chacune de mes lectures : tout au plus je me contentais de décider quelle note j’allais mettre sur Livraddict, puis je me promettais inlassablement qu’un jour, je prendrais la peine de relire posément chaque livre … Mais comme beaucoup de résolutions littéraires, celle-ci met parfois bien du temps avant d’être honorée : trois ans pour ce roman, lu pour la première fois en prévision des Imaginales 2018 !

2014. Cette fois-ci, c’est la bonne : Adrien, treize ans, est enfin prêt à déclarer sa flamme à Marion, sa meilleure amie de toujours. Mais voilà que cette dernière lui pose un lapin, lui annonçant par texto qu’elle est en couple avec Frank, un élève de troisième que tout le monde respecte, admire et apprécie … tout son contraire, en somme. Le cœur lourd de chagrin et de colère, Adrien esquive l’interrogatoire maternel en prétextant devoir écrire une carte de vœux à son cousin Hadrien, qu’il n’a plus vu depuis de très nombreuses années … quelle corvée ! 1914. Hadrien a treize ans, deux petites sœurs, une amoureuse et une grande ambition : il espère bien obtenir une bourse pour partir étudier au petit lycée, à la ville, et devenir ingénieur. Mais son père ne voit pas d’un très bon œil son intérêt grandissant pour les études, et refuse catégoriquement de le voir quitter un jour la ferme … Lorsqu’il reçoit une lettre de son cousin Adrien, dont il n’a pas le moindre souvenir mais à qui tout semble réussir dans la vie, Hadrien est tout d’abord rempli d’agacement et de jalousie. Mais au fil de leurs échanges, les deux garçons vont doucement se rendre compte qu’ils ont bien plus de choses en communs qu’ils ne pouvaient l’un et l’autre imaginer … mais également qu’une différence de taille les sépare : un siècle !

Dans ce roman à quatre mains pas tout à fait comme les autres, les deux auteurs relèvent un sacré défi : raconter une histoire d’amitié entre deux adolescents vivant à un siècle d’intervalle ! Sans que l’on ne sache vraiment comment ni pourquoi – même si un simulacre d’explication nous est apportée à la fin, c’est en réalité très loin d’être le plus important –, voici qu’Adrien et Hadrien, le premier vivant en 2014 et le second en 1914, entament une improbable correspondance épistolaire. Dans les premiers temps, nos deux adolescents révoltés par l’injustice de leur quotidien trouvent un exutoire parfait en s’efforçant d’impressionner l’autre en lui racontant des sornettes … Mais très rapidement, ils vont s’ouvrir mutuellement leurs cœurs et transformer ces incessantes vantardises en véritables confidences. Ils vont se raconter les petits et gros tracas de leur vie quotidienne : les conflits avec les parents, les rivalités scolaires, les peines de cœur … C’est à la fois assez amusant et assez intéressant de constater que, même si cent ans les séparent, Adrien et Hadrien ont en réalité des préoccupations fort similaires, bien que s’exprimant différemment : les études et l’avenir, la famille, les amitiés et les premiers émois amoureux … Que cela soit en 1914 ou en 2014, les doutes, les peurs et les peines de l’adolescence semblent être les mêmes.

Et pourtant … même eux finissent par comprendre que quelque chose cloche : Hadrien ne comprend pas ce que lui veut son cousin lorsqu’il lui demande « son numéro » ou « son adresse e-mail », et Adrien se demande bien ce qu’est ce fameux « prix d’excellence » que son cousin aurait reçu sept années d’affilée et pourquoi diable la famille de Simone n’emmène-t-elle pas le petit Albert chez le médecin alors qu’il a une pneumonie … Les auteurs ont en effet eu l’intelligence de ne pas « enjoliver » la vie d’Hadrien au siècle dernier, de ne pas « dissimuler » les aspects les plus tragiques de cette époque. Nous qui sommes tellement habitués à nous rendre chez notre médecin traitant ou à la pharmacie en brandissant notre carte vitale pour être remboursés des frais médicaux, nous qui pouvons donc nous soigner quel que soit notre niveau social, nous qui considérons tout ceci comme parfaitement normal puisque c’est ce que nous avons toujours connu, voici que nous nous prenons de plein fouet le désespoir et la douleur de la famille d’Albert, petit garçon de six ans emporté par la maladie car sa mère, veuve, n’avait pas les moyens de faire venir le médecin. C’est un livre qui, sans jamais être moralisateur, remet malgré tous les choses à leur juste place : nous avons beaucoup de chance de vivre à notre époque, et pourtant nous nous plaignons plus que jamais …

Et c’est sans parler de la guerre qui approche à grands pas … Alors que ni Hadrien ni aucun  de ses contemporains ne se doutent de rien, dans quelques mois à peine, l’Allemagne va déclarer la guerre à la France, sonnant le début d’un conflit des plus meurtriers. Adrien, qui va finir par comprendre que son « cousin » et lui ne vivent pas à la même époque, a pour sa part pleinement conscience du danger qui menace celui qui est devenu son confident le plus intime, son ami le plus fidèle … Lui qui n’avait jusqu’à présent jamais accordé le moindre d’intérêt aux cours d’histoire (à quoi bon s’intéresser aux empires coloniaux européens à la veille de la guerre, ils sont tous morts de toute façon ?), se penche avec effroi sur cette effroyable période de l’Histoire : la première guerre mondiale. Il ne peut pas rester les bras croisés, sans rien faire, alors que le village d’Hadrien et sa famille va être totalement dévasté par les bombardements ! Il faut absolument qu’il convainque Hadrien de partir et d’emmener avec lui tous ceux qui lui sont chers, pour aller se réfugier à Paris, chez son grand-père, par exemple ! Sans en avoir l’air, poussé par cette envie viscérale de protéger son ami, Adrien va en apprendre énormément sur ce conflit … et le lecteur aussi ! Et tout comme Adrien, on tremble, on tremble pour Hadrien, on tremble pour tous ceux qui vont mourir, qui sont morts … Le passé et le présent se mélangent, pour nous aussi.

En bref, vous l’aurez bien compris, j’ai énormément apprécié ce roman à quatre mains ! Je suis tombée sous le charme d’Adrien et Hadrien, deux adolescents touchants et attachants qu’on aimerait beaucoup prendre dans nos bras pour les consoler, les réconforter : si on a bien évidemment plus de pleine pour Hadrien, dont le quotidien est clairement plus difficile, on en a aussi pour Adrien, peut-être trop sensible et gentil pour notre époque où tout semble étonnement bien plus compliqué … Et que dire de l’histoire à proprement parler ? Elle est à la fois fort originale et plutôt classique, suffisamment « commune » pour ne pas demander trop d’explications (nous comprenons rapidement que c’est à cause de ces deux boites aux lettres surgies de nulle part que les deux adolescents correspondent d’une époque à l’autre sans le savoir) et suffisamment singulière pour être intrigante et passionnante. Les auteurs ont ainsi su trouver le juste équilibre : c’est jeunesse, bien sûr, et tout se « dénoue » peut-être trop rapidement et facilement, mais ce n’est jamais, ô grand jamais enfantin. Le style est soigné, élégant même, tout en restant parfaitement abordable. L'histoire, elle aussi, est à la fois sobre et riche, brève mais profonde, ni trop pédagogique ni trop « creuse » : juste ce qu’il faut pour faire rêver le jeune lecteur d’une grande et belle histoire d’amitié tout en lui inculquant mine de rien quelques connaissances historiques !

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