samedi 21 septembre 2019

Kaleidoscope - Marie Caillet


Kaleidoscope, Marie Caillet

Editeur : Castelmore
Nombre de pages : 281
Résumé : Pour Naomi, adolescente timide et réservée, rien ne va plus : elle est obligée de déménager pour suivre sa mère et son copain à Dijon ! Au programme : maison délabrée, beau-père insupportable … et nouveau collège. Comment se refaire des amis quand on n’ose pas parler ? La vie perd toutes ses couleurs pour Naomi, jusqu’au jour où sa grand-mère lui offre un kaléidoscope peu ordinaire… Lorsqu’elle regarde à travers, la jeune fille voit des portes s’ouvrir sur des mondes inconnus et fabuleux, qui lui promettent des heures d’évasion. Arbres aux mille secrets, créatures cruelles et merveilleuses, nature changeante aux décors inconnus … À force de fuir la réalité, Naomi ne risque-t-elle pas de se perdre un peu plus … ?

Un grand merci aux éditions Castelmore pour l’envoi de ce volume et à la plateforme Babelio pour avoir rendu ce partenariat possible.

- Un petit extrait -

« Et, soudain, un grésillement de panique remonte ma colonne vertébrale et se diffuse sur mon crâne.
— Où est Diego ? […]
— Il ne doit pas être loin…
— Je te l’ai laissé à Paris ! Je ne l’ai pas pris chez Mamé !
Ma panique croît, tourbillonne, ébranle le solide loquet qui boucle ma bouche depuis des heures. Le visage de maman se crispe.
— Naomi, on a des dizaines de cartons à défaire. Christophe et moi, on s’est démenés pour préparer vos chambres à temps. J’ai dû ranger Diego ailleurs, c’est tout. En attendant, tu peux te débrouiller sans lui, non ?
Elle pose sa question avec une intonation particulière, que je décrypte aisément : « À douze ans, tu as passé l’âge d’avoir un doudou, quand même ! »
Soudain, c’est comme si le verrou qui me scellait les lèvres glissait dans ma gorge et s’y coinçait. Mes larmes montent et se pressent contre lui. Elles s’accumulent jusqu’à me faire mal. Je sais bien que c’est stupide, mais l’absence de ma panthère en peluche me donne l’impression de perdre les pédales. Retrouver Diego était la seule chose qui me donnait envie d’entrer dans cette maison. »

- Mon avis sur le livre -

Sur le rabat de la couverture de mon carnet d’écriture, j’ai collé un post-it reprenant une citation de ce bon vieux Dumbledore : « Les mots sont, à mon avis qui n'est pas si humble, notre plus inépuisable source de magie. ». Je l’ai en effet exprimé à plusieurs reprises sur ce blog, et je le redis aujourd’hui encore : à mes yeux, les auteurs sont de vrais magiciens. Ils transforment de simples mots en portails vers d’autres mondes, ils métamorphosent ces amas de lettres en véritables voyages au pays de l’imaginaire. Ils nous offrent des moments d’évasion, des moments de pur bonheur en compagnie de personnages que l’on a l’immense honneur de rencontrer et d’accompagner durant quelques centaines de pages. Mais avec Kaleidoscope, Marie Caillet m’a offert quelque chose de plus grand encore : elle m’a aidé à faire face à une vague de souvenirs pas forcément agréables, que je cadenassais profondément au fin fond de ma mémoire et qui continuaient pourtant à me hanter, à me faire mal. Ce livre n’a pas guéri toutes mes blessures, bien loin de là, mais pour la première fois depuis plus de dix ans, ces souvenirs se sont imposés à moi sans déclencher de crise de larmes ou de panique … Et rien que pour cela, je remercie Marie.

Le petit monde de Naomi, douze ans, n’est plus que chaos : non seulement ses parents ont divorcés, non seulement sa mère s’est trouvé un nouveau petit copain, mais voilà que ce dernier a décrété qu’il leur fallait prendre un nouveau départ et quitter la région parisienne pour la Bourgogne ! Et comme si cela ne suffisait pas, Diego, sa panthère en peluche, a disparu pendant le déménagement, et la rentrée scolaire a lieu dans quelques jours à peine ! Un véritable cauchemar pour la timide hypersensible qu’est la jeune fille ! Jour après jour, le monde semble perdre toutes ses couleurs pour ne former qu’un déprimant camaïeu de gris … Jusqu’à ce que sa grand-mère lui offre un très curieux Kaléidoscope lui permettant d’explorer des mondes mystérieux et colorés, peuplés de fées et d’animaux fabuleux. Désormais, Naomi sait comment s’évader de ce quotidien si effrayant … Mais est-ce une si bonne chose que de fuir ainsi la réalité ?

Avec ce roman, Marie Caillet quitte son genre de prédilection – la fantasy – pour nous offrir un contemporain saupoudré d’une  petite pincée de fantastique … ou plutôt de poésie. Car le pouvoir du Kaléidoscope n’est finalement qu’un prétexte pour guider Naomi dans la plus terrifiante des quêtes initiatiques : grandir. Car tous les changements que vit la jeune fille – le divorce de ses parents, le déménagement, la rentrée dans un nouveau collège – ne sont finalement que la partie émergée du véritable bouleversement qui s’opère en elle : Naomi n’est plus tout à fait une enfant, mais pas encore une adolescente. Elle se trouve à l’effrayante frontière entre ces deux stades de la vie, et ne sait pas comment la franchir. Car Naomi se sait, se sent, différente de tous ses camarades de classe, qui semblent avancer dans la vie avec aisance tandis qu’elle-même est dévorée par l’angoisse, par ses émotions exacerbées qui menacent à tout instant de la submergée comme un tsunami. « J’ai l’impression que je ne sais pas faire comme les autres. Que j’existe à moitié », dit-elle. Au collège, pour éviter de revivre le même cauchemar que l’an passé, Naomi longe les murs, se fait la plus discrète possible, tente à tout prix d’éviter les faux pas et les impairs sociaux … Sans succès. Malgré tous ses efforts, les moqueries commencent à s’élever sur son passage, et personne ne veut d’elle dans son groupe d’amis …

J’ai rarement un livre aussi … juste. Ce que Naomi décrit, j’aurai pu l’écrire, et cela m’a bouleversée. C’est comme s’il n’y avait aucune barrière encore Naomi et moi, comme si nos deux identités s’étaient fondues en une seule : en lisant les (més)aventures de Naomi dans son nouvel établissement scolaire, je me suis revue, en cinquième, totalement effrayée à l’idée de remettre les pieds dans un collège après le désastre de l’année passée. Je me suis revue raser les murs, tenter de devenir invisible pour ne pas attirer l’attention, tenter, aussi, de m’intégrer à un groupe pour ne pas être toute seule – car être seule, au collège, signifie de facto être la cible privilégiée de moqueries, de rejet collectif. Quand on est hypersensible, quand on est anxieux, quand on est un peu différent, quand on est timide, le collège devient rapidement synonyme d’enfer quotidien. Et cela d’autant plus qu’on ne sait pas mettre les mots sur cette souffrance : on est mal dans notre peau, mais on n’arrive pas à l’exprimer. Petit à petit, nos émotions nous enferment dans une sorte de carapace … qui menace à tout instant de se fissurer et de laisser déferler d’honteux torrents de larmes refoulés. Tout cela, Marie Caillet l’exprime avec une justesse, une délicatesse et une puissance rares. 

Et puis arrive le Kaléidoscope et ses mondes colorés. Véritable rayon de soleil dans ce quotidien pluvieux. Grâce à cet objet, si banal au premier abord, Naomi apprend à traquer le moindre éclat de couleur, de lumière, qui lui permettra d’ouvrir un passage vers cet autre monde, si enchanteur, qui lui permet de s’évader, de se ressourcer. De se retrouver elle-même. D’apprendre à devenir elle-même, libérée de la peur et de la peine qui l’assaillent dans la réalité. Ce livre, finalement, c’est une ode passionnée à l’imagination, à ses pouvoirs, à ses bienfaits. Car contrairement à ce qu’on dit souvent, se perdre dans des mondes imaginaires – par le biais du Kaléidoscope pour Naomi, ou de la lecture pour d’autres, par exemple – n’est pas forcément une mauvaise chose … Parfois, c’est l’imaginaire qui permet de se relever, d’avancer. Parce que l’imaginaire offre une arme pour affronter la dureté du monde, offre un refuge qui permet de reprendre des forces. Et aussi parce que l’imaginaire nous confère un pouvoir, qui donne confiance en soi. L’imaginaire n’est pas un piège ou un danger, mais bien au contraire un moyen de s’épanouir … D’autant plus que, parfois, croire en l’imaginaire est ce qui permet de faire de belles rencontres.

En bref, vous l’aurez bien compris, j’ai eu un vrai coup de cœur pour ce petit livre incroyablement émouvant, admirablement bien écrit, qui fait écho à ma propre histoire et apporte une vraie bouffée d’espoir. Avec beaucoup de finesse et de douceur, Marie Caillet évoque la solitude et la détresse d’une pré-adolescente perdue, qui ne sait pas où est sa place dans ce monde qui lui semble si effrayant, qui ne sait pas encore qui elle est. Elle évoque aussi la question du harcèlement scolaire, de la phobie scolaire, de la timidité et de l’hypersensibilité, avec une justesse extraordinaire. Elle parle également des grands bouleversements que peuvent connaitre beaucoup de jeunes : divorce des parents, déménagement … Et surtout, elle nous fait rêver, avec cette petite pincée de fantastique vraiment bien dosée, à la limite de la poésie onirique. Vraiment, je conseille ce livre aux petits comme aux plus grands, à tous ceux qui ont su garder leur âme d’enfant et à tous ceux qui entre progressivement dans l’adolescence.

Ce livre a été lu dans le cadre du Tournoi des 3 Sorciers
(plus d’explications sur cet article)

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