Editeur : Actes sud junior
Nombre
de pages : 124
Résumé : Surmenage scolaire, pic de stress, ou
trouble plus grave ? Arthur est hospitalisé pour cause d’épisode délirant. Le
collégien passionné d’histoire se prend depuis peu pour Germaine Berton, une
militante anarchiste, meurtrière d’un leader de l’Action française en 1923...
Qu’arrive-t-il à Arthur, qui ne reconnaît plus les siens ni le monde qui
l’entoure ? Parents, professeurs, camarades de classe, médecins, tous
s’interrogent. Avec leur sensibilité, et aussi leurs peurs.
Un grand merci à lecteurs.com
pour l’envoi de ce volume dans le cadre des Explorateurs Young-Adult.
- Un petit extrait -
« Quand j'ai décidé de devenir psychiatre, je savais qu'un jour ça arriverait. Je devrais me retrouver seule face à un patient, et face à sa famille. Mais les études de médecine sont si longues, le chemin paraît interminable... Je me disais j'ai le temps de me préparer. Quand ça arrivera, c'est que ce sera le bon moment. Je serai prête. Je ne sais pas si on est jamais prêt à annoncer à un parent que son enfant a une maladie grave. »
- Mon avis sur le livre -
Quand on regarde les étagères de mes
bibliothèques, le doute n’est pas permis : ce que j’aime, ce sont les gros
pavés. Plus un livre est gros, plus il m’attire … On se demande donc
pourquoi et comment J’ai tué un homme a pu atterrir chez moi ! Tout simplement parce qu’au moment de
répondre à la proposition d’Aline de chez lecteurs.com, je me suis concentrée
sur les résumés sans même regarder le nombre de pages. Et, clairement, le
résumé de ce tout petit livre avait de quoi m’intriguer, moi qui suis très
sensible à la question des maladies psychiques. Et à vrai dire, au vu de cette
thématique, je ne m’attendais clairement pas à recevoir un roman aussi court !
J’étais donc un peu perplexe au moment de débuter ma lecture : comment l’autrice
allait-elle réussir à répondre à la question de la quatrième de couverture (« Qu’arrive-t-il
à Arthur ? ») en si peu de pages ?
Arthur, quatorze ans, a toujours été très
secret, très solitaire : son truc à lui, ce n’est pas le foot ou même les
sorties avec les copains, mais bien plus les études … et en particulier l’histoire.
Arthur est passionné par cette matière, et s’intéresse tout particulièrement au
mouvement anarchiste et libertaire des années 1920. Rien de bien inquiétant …
jusqu’au jour où Arthur plonge en plein épisode délirant : persuadé qu’il
est Germaine Berton, meurtrière d’un leader de l’Action française en 1923, le
jeune homme est hospitalisé dans un service psychiatrique. Et tout comme le
battement d’aile d’un papillon est réputé pour être à l’origine d’une tempête à
l’autre bout du globe, la crise d’Arthur influe sur la vie de ceux qui l’entourent :
parents, médecins, professeurs, infirmiers, camarades de classe …
A mes yeux, le point éminemment positif de ce
court roman, c’est bien sa forme. Roman-choral dans toute sa splendeur, J’ai tué un
homme nous promène de points de
vue en points de vue. Tantôt c’est Arthur lui-même, perdu dans les méandres de
son délire, qui a la parole. Tantôt c’est sa mère, son père, sa professeure d’histoire,
ses camarades de classe, mais aussi l’infirmier psychiatrique ou l’interne chargée
d’annoncer le diagnostic aux parents … Toutes ces personnes qui, d’une façon ou
d’une autre, sont impactées par la maladie d’Arthur. Pour sa mère, c’est tous
ses rêves d’avenir pour son fils unique qui s’effondrent. Pour son père, c’est
la peur qui domine, une terreur née de toutes ses croyances quant à cette
maladie fort méconnue et utilisée à torts et à travers par les journalistes,
cinéastes et mêmes auteurs. Pour sa prof d’histoire, c’est la culpabilité qui
grandit : peut-être que si elle ne lui avait pas conseillé de lire l’autobiographie
de Germaine Berton, son élève n’aurait pas sombré … L’un après l’autre, ils s’expriment.
Car voilà bien la grande originalité de ce
petit récit : point de narration, point de description, uniquement des
paroles, des dialogues, des confessions. Chapitre après chapitre, l’un après l’autre,
chacun de leur côté. Comme autant de pièces d’un même puzzle : celui de la
maladie. Au début, c’est Arthur qui mène la danse : il avoue avoir commis
un crime, un meurtre. C’est un flux de paroles ininterrompu, un aveu empli d’excitation
et de passion. Il s’emballe, il s’emporte, il s’enflamme. Il brouille les
pistes pour le lecteur qui se demande le rapport avec la quatrième de
couverture : que vient donc faire une Germaine Berton, morte depuis
presque 80 ans, ici ? Au gré des divagations d’Arthur, le lecteur fait un
bond dans le passé – et découvre ou redécouvre une facette de l’histoire assez
peu connue – tout en prenant conscience de l’ampleur de la catastrophe. Car
dans l’esprit d’Arthur, c’est le chaos le plus total : il est persuadé d’être
une femme, meurtrière d’un leader de l’Action française en 1923 … Il est
persuadé que les infirmières sont de mèche avec l’Action française, que sa professeure d’histoire
est une nomme avec laquelle il serait ami(e) …
Certains le comprendront avant même que le
diagnostic soit officiellement posé et dévoilé : Arthur souffre de
schizophrénie. Et contrairement à nombre de romanciers qui utilisent cette
maladie à tort et à travers, ne faisant qu’accentuer les préjugés et fausses
croyances qui courent à son propos, Charlotte Erlih a fait pas mal de
recherches … et cela se ressent. C’est criant de réalisme. Dans les symptômes,
en premier lieu : exit le « dédoublement de personnalité » qui
est un trouble distinct de la schizophrénie – car Arthur n’a pas deux
personnalités, il délire « juste » –, l’autrice met en scène avec
beaucoup de finesse le sentiment de persécution, les idées délirantes, les
hallucinations auditives mais aussi l’émoussement de l’émotivité qui sont le
lot commun des malades. Sans oublier, bien sûr, les conséquences « invisibles » :
le rejet de la société qui leur colle l’étiquette de « psychopathes sur pattes »,
les troubles de l’attention et de la mémorisation qui deviennent un frein aux
études et donc à l’insertion sociale … Tout cela, Charlotte Erlih le dépeint
avec brio.
En bref, vous l’aurez compris, c’est un petit
roman fort intéressant que nous propose l’autrice. J’ai énormément apprécié la
forme de ce récit pas comme les autres : c’est comme si elle avait
posé des micros à divers endroits, dans la chambre d’Arthur, dans le bureau du
psychologue de Pia, dans celui du psychiatre qui reçoit les parents, dans la
maison de la professeure qui se confie à son mari, pour recueillir des
témoignages qui forment un tableau criant de réalisme de la maladie et de ses
conséquences. Ce serait un véritable régal d’en faire une lecture publique,
avec divers lecteurs éparpillés aux quatre coins d’une pièce, avec un jeu de
noirs et de lumières au gré des prises de paroles … Pour cela et pour l’aspect « pédagogique »,
je le recommande vivement. Malgré tout, je reste un peu sur ma faim : c’est
court, beaucoup trop court, et j’ai comme le sentiment que l’auteur est resté
en surface des choses au lieu de les approfondir pour encore mieux sensibiliser
… On croise les personnages si furtivement qu’on a pas le temps de ressentir de
l’empathie pour eux, et c’est dommage. Une bonne lecture, donc, mais pas un
coup de cœur.
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