Editeur : l’école des loisirs
Nombre
de pages : 341
Résumé : Il revient de loin, Edward. Jusqu’à l’âge
de 7 ans, il a vécu enfermé dans un appartement avec sa mère, sous l’emprise
d’un homme alcoolique et violent. Lorsqu’il est délivré de son bourreau, il
peut enfin découvrir le monde qui l’entoure. Mais est-il libre pour de bon ?
Recueilli par les services sociaux, puis ballotté de famille d’accueil en
famille d’adoption, Edward se construit en tentant d’oublier son passé. Mais au
fil des années, ce passé le suit pas à pas et ne cesse de se rappeler à lui. La
force, le courage et la volonté lui suffiront-ils pour lui échapper ?
- Un petit extrait -
« Je m’étais mis à aimer passionnément les livres. J’avais l’impression que chacun d’eux me donnait des clefs pour devenir normal. Qu’ils n’avaient été écrits que pour moi, comme autant de cours particuliers tranquilles et sans danger, sur la façon de vivre des autres. Mieux encore, ils faisaient renaitre en moi la certitude qu’il existait une infinité de moyens de tracer son chemin dans la vie sans éveiller les soupçons. […] Même si vos soucis sont différents, les livres vous montrent au moins que vous n’êtes pas seul à vous en faire. Vous n’avez plus besoin d’avoir peur que ce soit anormal. »
- Mon avis sur le livre -
Il y a quelques semaines, j’évoquais avec une
amie lectrice ce qui est probablement la plus grande contradiction de mon
existence : je suis hypersensible – et ça me complique considérablement la
vie, car c’est jugé inacceptable dans notre société de pleurer « pour un
rien » à bientôt vingt-quatre ans … bonjour la tolérance – mais je n’hésite
pas pour autant à me plonger dans des livres jugés « difficiles ». Bien
sûr, il y a certaines limites que je ne peux pas dépasser – ce qui m’oblige
parfois à refuser telle ou telle proposition de service presse, car je sens que
le livre en question me perturbera beaucoup trop –, mais cela ne me fait pas
particulièrement « peur » d’ouvrir un thriller, un policier ou un
drame de temps en temps. Au fil des années, j’ai appris à garder suffisamment
de distance avec l’histoire relatée pour la savourer sans qu’elle ne me dévore.
J’en suis vraiment soulagée, car cela me permet de me plonger dans des récits
qui m’intriguent et m’attirent même si ceux-ci abordent des thématiques très
difficiles …
Les premières années de sa vie, Eddie les a
passées recroquevillé dans un coin du salon, s’efforçant de se faire le plus
petit possible tandis qu’Harris, alcoolique et tyrannique, s’acharnait sur sa
mère. Son seul lien avec le monde extérieur, ce sont des cassettes vidéos sur
lesquelles sont enregistrées de vieilles émissions, dans lesquelles Mr Perkins
emmènent ses petits téléspectateurs à la découverte d’une caserne de pompiers,
d’une ferme, d’une pizzeria, tout en leur rappelant qu’il faut toujours mettre
de la crème solaire en été et qu’il faut bien se laver les dents tous les jours
… Le petit garçon a sept ans lorsque la police et les services sociaux
défoncent la porte, mettant fin à son interminable calvaire. D’abord placé dans
une famille d’accueil aimante, puis adoptée par une famille bienveillante, le
petit Eddie s’en sort étonnamment bien pour un enfant séquestré et maltraité …
Jusqu’au jour où une simple sortie scolaire vient remettre en question l’équilibre
précaire de sa santé mentale …
Si je devais résumer en deux mots ce roman,
je n’hésiterai pas bien longtemps : simplicité et dureté. Les premières
pages donnent immédiatement le ton du récit : c’est incisif, brut,
tranchant. Tout commence par l’irruption fracassante d’une unité de police dans
un appartement saccagé, dévasté, ravagé : ils y trouvent une femme
couverte d’hématomes qui semble ne même pas se rendre compte de leur présence,
et un petit garçon vêtu de haillons qui se terre dans son coin. Il y a cette
urgence qui vous prend aux tripes : il faut les sortir d’ici,
immédiatement, avant que l’homme responsable de cette horreur revienne. En
moins de temps qu’il ne faut pour le dire, la mère et le fils sont exfiltrés de
ce logement insalubre et conduits à l’hôpital. C’est ainsi que débute la
nouvelle vie d’Eddie … Mais ne nous faisons pas d’illusions : la vie n’est
pas un conte de fée, et contrairement à ce qu’on aimerait espérer, un peu
d’amour et de douceur ne suffiront pas à effacer ces traumatismes infantiles.
Et même si, dans un premier temps, notre brave et sensible petit Edward semble
bien remonter la pente, on pressent que le passé va brutalement ressurgir un
jour ou l’autre. Pour le pire plus que pour le meilleur …
A travers l’histoire d’Eddie, c’est le
parcours de vie de centaines d’enfants placés et adoptés que nous invite à
suivre l’autrice. Car irrémédiablement, une même question finit par surgir,
parfois insidieusement, parfois violemment. Est-il véritablement possible de
faire table rase de son passé, de son enfance, de sa famille biologique ? Peut-on
véritablement se construire sereinement quand nos racines sont branlantes ?
Et c’est alors que le titre du livre prend tout son sens : les liens du
sang seraient-ils plus forts que ceux du cœur ? Une implacable malédiction
se cache-t-elle dans nos veines, nous condamnant à marcher dans les traces de
nos géniteurs bien malgré nous ? Alors qu’il grandit, Eddie est de plus en
plus hanté par la crainte de ressembler un jour à son bourreau … Mais le plus
terrible, finalement, c’est que c’est pour oublier cette peur que le jeune
homme va progressivement sombrer dans les mêmes travers que cet homme qu’il
craint et hait tant. Et le lecteur assiste impuissant à cette descente aux
enfers, le cœur serré de voir ce jeune homme innocent ployer sous le poids d’un
si cruel fardeau.
Simplicité et dureté, disais-je : comme
vous l’aurez remarqué, c’est une intrigue « extraordinairement banale »
que nous offre ici l’autrice, sans fioriture inutile, sans péripétie superflue,
toute centrée sur la difficile reconstruction de ce gamin malmené par l’existence.
Rien de plus, rien de moins qu’une tranche de vie. Relatée par Eddie et par
tous ceux qui gravitent autour de lui : Rob le travailleur social, Eleanor
la psychologue, Linda l’assistance maternelle, Alice la sœur adoptive … Chacun
leur tour, ils nous dressent un portrait saisissant de cet enfant sauvé de l’enfer.
Roman polyphonique dans toute sa splendeur, Blood Family ne se contente ainsi pas d’évoquer les
conséquences « à long terme » des abus psychologiques et des
déterminismes génétiques, mais aborde également la question de l’adoption du
point de vue des parents. Avec justesse, en remisant au placard les grands
discours bien-pensants, Anne Fine nous plonge au cœur des doutes et même des
regrets de ces hommes et de ses femmes qui élèvent « les enfants des autres »,
qui tentent de leur apporter tout l’amour et le soutien possible pour les aider
à rebondir, mais qui se demandent parfois s’ils ont fait le bon choix …
En bref, vous l’aurez bien compris, c’est un
roman particulièrement poignant et émouvant que nous offre ici l’autrice. Sans
jamais sombrer une seule fois dans le larmoyant à outrance ou l’apitoyant démesuré,
Anne Fine n’épargne absolument rien au lecteur, le confrontant à la vérité dans
toute sa rudesse : on ne ressort jamais indemne de ce genre d’épreuves,
jamais, même avoir tout l’amour et toute la bonne volonté du monde. Il reste
toujours quelque chose de ces douleurs, de ces peines, de ces peurs. On
pourrait reprocher à ce récit d’être trop pessimiste … mais il faut se rendre à
l’évidence et reconnaitre qu’il est tout simplement réaliste. La fin est à mes
yeux particulièrement marquante de ce point de vue : elle nous laisse en
plan, avec un grand point d’interrogation vu qu’on peut s’imaginer le pire
comme le meilleur, la voir comme la preuve de la guérison d’Eddie ou comme les
prémices d’une rechute à venir. Au lecteur de se faire sa propre opinion … En
tout cas, c’est un roman certes difficile par moment, mais que j’ai énormément
apprécié car il est si riche, si puissant, et si bien écrit, tout en finesse,
vraiment une très belle lecture que je n’oublierai pas de sitôt !
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